Mamady Youla, Premier ministre guinéen : « Notre défi est de passer du potentiel au concret »
Relance économique, inégalités sociales, emploi des jeunes, infrastructures, place de la Guinée sur le plan international… Le Premier ministre guinéen répond à Jeune Afrique sur les grands défis face auxquels le pays est confronté.
La Guinée face au choc social
La croissance est forte et soutenue. Les revendications sociales le sont aussi en matière de pouvoir d’achat, d’accès aux services de base et, surtout, d’emploi des jeunes. Les Guinéens veulent du changement. Et ils le font savoir.
Nommé à la fin de décembre 2015 pour conduire le gouvernement du second quinquennat d’Alpha Condé, Mamady Youla, 56 ans, est un Premier ministre actif. Redéploiement des activités dans les secteurs minier, agricole et énergétique, mobilisation des investisseurs, amélioration de la gouvernance… Il tient la barre du Plan national de développement économique et social (PNDES) 2016-2020.
Titulaire d’un DEA en macroéconomie de l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, Mamady Youla a commencé sa carrière au sein de la Banque centrale de Guinée, avant de devenir conseiller du ministre des Mines (1997-2003), puis du Premier ministre (2003-2004).
De 2004 jusqu’à sa nomination à la primature, il avait rejoint le secteur privé pour prendre la direction générale de Guinea Alumina Corporation et, depuis 2012, il présidait la Chambre des mines et la Plateforme de concertation du secteur privé guinéen, dont il est l’un des fondateurs.
Jeune Afrique : Deux ans après son lancement, où en est le PNDES ?
Mamady Youla : Il faut d’abord porter un regard rétrospectif sur la situation. Fin 2015, on sortait de deux années extrêmement difficiles, après l’épidémie d’Ebola, qui a durement affecté notre économie. Les investissements avaient été différés, la croissance avait chuté, le déficit budgétaire s’était dramatiquement creusé, l’inflation était à la hausse. Bref, les déséquilibres s’étaient installés.
La Guinée avait dû rompre un certain nombre d’accords, notamment avec le FMI, car elle ne pouvait plus tenir ses engagements. Mon équipe et moi-même avons commencé par rétablir la confiance et le dialogue avec nos partenaires. De janvier à mars 2016, nous avons rétabli le programme en cours avec le FMI et, pour la première fois dans notre pays, l’avons conduit à son terme.
Le premier pilier du PNDES porte sur « la promotion de la bonne gouvernance au service du développement »
Au début de ce plan, la Guinée avait bénéficié d’une réduction de sa dette extérieure, ce qui a posé les bases pour en préparer et en négocier un nouveau. Nous avons relancé la croissance, qui a atteint 6,6 % en 2016 et devrait s’établir à 6,7 % pour 2017 selon les estimations. Ces taux sont parmi les plus hauts du continent ces deux dernières années et sont les plus élevés en Guinée depuis quarante ans.
Résultat, en assainissant notre économie, nous avons pu développer un cadre de référence : le PNDES 2016-2020. Et en novembre 2017, nous avons réuni à Paris nos partenaires, qui nous ont apporté un soutien franc et massif à hauteur de 21 milliards de dollars [environ 17 milliards d’euros].
Cependant, les populations s’impatientent face aux récurrents problèmes de délestage, de ramassage des ordures, au mauvais état des routes…
Je veux rappeler certaines choses. Nous sommes en 2018, c’est le 60e anniversaire de l’indépendance, et le chef de l’État est arrivé au pouvoir il y a sept ans, à la fin de 2010. Avec la mise en service du barrage de Kaléta cinq ans plus tard, la capacité installée du pays en matière d’hydroélectricité représente déjà plus du double de la capacité installée au cours des cinquante années précédentes.
Et si l’on y ajoute les 450 MW de celui de Souapiti, en cours de construction, on aura atteint une puissance installée de 700 MW en dix ans, contre moins de 100 MW en plus de cinquante ans… Il ne faut pas oublier qu’un barrage, c’est long à réaliser. Si l’on avait trouvé un complexe comme Kaléta ou Souapiti en 2010, on se serait attelé à en construire d’autres et on aurait moins de problèmes aujourd’hui.
D’autre part, nous savons que la Guinée doit faire face à un niveau élevé de pertes techniques sur le réseau d’électricité et à un problème de paiement des factures. Lorsque la société d’électricité [EDG] a voulu y remédier en posant des compteurs prépayés, elle a été confrontée à de fortes résistances.
Enfin, qu’il s’agisse des routes ou du ramassage des ordures, la situation en 2010 n’était pas très brillante et, si, aujourd’hui encore, nous devons nous occuper de ces questions, c’est bien parce qu’elles n’ont pas été prises en compte avant.
Que dites-vous à ceux qui doutent de la bonne gouvernance ?
À l’heure des réseaux sociaux, la moindre petite chose est amplifiée. L’exécution du PNDES implique la mise en œuvre de grands projets, avec des enjeux économiques et financiers qui nécessitent un relèvement du niveau des standards.
Le premier pilier du PNDES porte justement sur « la promotion de la bonne gouvernance au service du développement ». En 2017, le gouvernement a d’ailleurs préparé et soumis au Parlement une loi anti-corruption qui a été adoptée. Désormais, le système judiciaire dispose des outils nécessaires pour se saisir des cas de fraude ou de corruption. Et c’est notre priorité, car les mauvaises pratiques nous retardent.
Le président Alpha Condé a clairement ramené la Guinée au centre du jeu
En résumé, « Guinée is back soon » ?
Cette belle formule du président Condé prend en effet tout son sens [sourire]. Dans les années 1960-1970, la Guinée était un phare pour nombre de pays africains. Elle avait envoyé ses troupes pour libérer la Guinée-Bissau, l’Angola, le Mozambique… Elle soutenait l’ANC de Nelson Mandela en Afrique du Sud.
Dans les années 1990, elle a également participé à la stabilisation du Liberia et de la Sierra Leone. Pour jouer ce rôle-là, il fallait être un leader sur le continent, mais, depuis, toutes ses lumières s’étaient éteintes.
Le président Alpha Condé – qui a d’ailleurs été élu à la tête de l’Union africaine en 2017 – a clairement ramené la Guinée au centre du jeu. Nous sommes redevenus visibles et attractifs.
Pourtant, si Conakry dispose de plusieurs nouveaux hôtels haut de gamme, ceux-ci restent souvent à moitié vides…
Autrefois, lorsque je travaillais dans le secteur privé, j’avais souvent du mal à loger les investisseurs que je recevais à Conakry. Depuis 2011, la capitale a été dotée d’importantes capacités d’accueil, qui se remplissent progressivement au gré du développement des activités.
Nous mettons tout en œuvre pour rassurer les investisseurs locaux et étrangers
La Guinée dispose également d’un immense potentiel minier – avec les premières réserves mondiales de bauxite [lire pp. 114-116], du minerai de fer, de l’or, des diamants, etc. –, d’un fort potentiel agricole et de capacités hydroélectriques incontestables. L’objectif du PNDES est de passer du potentiel au concret, d’aller vers des réalisations tangibles.
Nous invitons les partenaires chinois, russes, émiratis, français, britanniques et tous les autres à œuvrer avec nous au développement des capacités de production dans tous les secteurs de notre économie. La prise en charge des risques sécuritaires représente un défi supplémentaire.
Nous mettons tout en œuvre pour rassurer les investisseurs locaux et étrangers, en particulier face à la menace qui a déjà touché certains pays voisins. Notre pays est engagé dans la lutte contre le terrorisme au Mali, avec plus de 800 hommes au sein de la Minusma.
Quel est votre message aux jeunes qui partent vers l’Europe en quête d’emploi ?
Nous voulons leur dire que leur avenir est ici, dans leur pays, et que nous œuvrons à créer les conditions pour qu’ils y croient. Nous travaillons notamment à la création d’occasions favorables concrètes dans l’agriculture, qui est un secteur porteur et à fort potentiel en matière d’emploi.
En relevant les niveaux de production et les rendements, nous assurerons l’autosuffisance alimentaire et nous créerons par ailleurs des richesses à travers des filières de rente (cacao, café, banane, anacarde) et grâce à la transformation de ces produits sur place. Il n’y a pas que le tout minier ! Et pour réussir ce pari, une autre de nos priorités est de relever le défi de la formation et de l’apprentissage.
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