Tribune : l’entrepreneuriat, un projet politique

Le président du fonds d’investissement Investisseurs & partenaires défend les PME, les seules selon lui à pouvoir lutter efficacement contre le chômage. Or, déplore-t-il, ces dernières ne sont pas assez prises en compte par les politiques publiques.

État et multinationales © Dom

État et multinationales © Dom

Jean-Michel Severino Jean-Michel Severino (France), ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), aujoiurd’hui dirigeant d’Investisseurs et Partenaires (I&P), une équipe d’investissement de mission (impact investors) consacrée à la promotion des entrepreneurs africains et des petites et moyennes entreprises (PME) africaines. A RFI, le 30.09.2016. © Vincent Fournier/JA

Publié le 16 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Soutenir l’entrepreneuriat est une préoccupation croissante des pays africains comme de leurs partenaires internationaux. Parmi ces derniers, le président Macron en a fait un thème majeur de sa première intervention publique en Afrique, à Ouagadougou.

Les raisons économiques en sont bien claires : 450 millions d’Africains vont arriver sur le marché du travail d’ici à 2050. Les fonctions publiques ne les embaucheront pas. Les grandes entreprises sont très productives : elles embaucheront peu de gens par unité de capital investi. Il faut donc que se créent ou se développent de nombreuses nouvelles petites entreprises, étant donné la faiblesse du tissu entrepreneurial de la plupart des pays sur le continent.

Il n’y a pas à opposer État et entreprise dans l’enjeu du développement

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Une entreprise qui naît, ce ne sont pas seulement des emplois créés. Ce sont aussi des bénéfices apportés à des clients dont la vie est améliorée par l’offre nouvelle : un accès à des biens et services essentiels comme à des plaisirs ou à un meilleur confort. Ce sont aussi des fournisseurs qui se créent ou qui prospèrent. Enfin, si l’entreprise est formelle – et ce point est essentiel –, ce sont des impôts qui entrent dans les caisses de l’État et des organismes de sécurité sociale.

Il n’y a pas à opposer État et entreprise dans l’enjeu du développement. Si cette dernière fournit aussi directement des biens et services sociaux, ceux que l’État délivre ne sont rendus possibles que par la prospérité des entreprises, directement via l’impôt sur les sociétés, et indirectement via la TVA et les impôts sur le revenu dont elle est à l’origine. L’entreprise, et particulièrement une nouvelle entreprise qui se crée, c’est donc toute une chaîne de valeurs matérielles et immatérielles privées comme publiques qui se met en place : en un mot, du développement.

Trop souvent, citoyens et entrepreneurs (informels) ne paient pas d’impôts et demandent donc peu à leur État

Mais si l’émergence entrepreneuriale est capitale, c’est pour une raison sociétale plus encore qu’économique. Bien que les pays africains soient infiniment variés, le pacte social, sa composante fiscale en particulier, est encore précaire dans un grand nombre d’entre eux. Les prélèvements obligatoires sont faibles au regard du PIB dans la plupart des pays du continent. Ils sont concentrés par ailleurs sur un nombre restreint de grandes entreprises d’une part et, d’autre part, fondés sur l’anonymat des droits de douane et de la TVA. Trop souvent, citoyens et entrepreneurs (informels) ne paient pas d’impôts et demandent donc peu à leur État, dont ils subissent la corruption et l’inefficacité avec une étonnante résignation.

De son côté, l’État lui-même, pour cette raison fiscale identique, est faiblement redevable à ses contribuables, auxquels il rend trop peu de services. Promouvoir et densifier un tissu de PME formelles payant leurs impôts et cotisations vise le cœur de cette déchirure dans le tissu social. Cela revient à introduire dans le jeu sociétal une catégorie d’acteurs ayant un besoin vital de services publics efficaces pour prospérer, ainsi que le poids social et symbolique pour exiger ces services d’un État qu’ils paient, tandis qu’ils transforment la société par leur activité comme par la richesse et le bien-être qu’ils créent. Il s’agit, au fond, de renforcer le pacte fiscal qui est central dans toute démocratie.

Peut-être est-il plus facile et plus prestigieux de négocier quelques arrangements ou contrats avec de grands acteurs plutôt que de se lancer l’amélioration des conditions de travail d’un très grand nombre d’acteurs très décentralisés

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Est-ce la raison profonde pour laquelle, au-delà des discours rituels, convenus et toujours enflammés, consacrés à la promotion des start-up et des petites sociétés familiales, tant de gouvernements tournent en fait leur énergie vers les grandes entreprises et les groupes étrangers, ou rêvent d’asseoir leur prospérité financière sur les revenus du pétrole comme des zones franches ? Les uns comme les autres sont certes utiles. Et peut-être est-il plus facile et plus prestigieux de négocier quelques arrangements ou contrats avec de grands acteurs (sans compter parfois d’agréables à-côtés) plutôt que de se lancer dans la tâche difficile d’améliorer les conditions de travail d’un très grand nombre d’acteurs très décentralisés, occupés à des activités souvent bien prosaïques (fabriquer des tables, des chaises ou des briques, assurer des services d’eau, ou transformer des produits agricoles, le tout pour les consommateurs locaux).

Peut-être les PME formelles rencontrent-elles aussi de leur côté des difficultés, vu leur éparpillement, à se constituer en force politique, comme c’est le cas dans les grands pays industrialisés, où les syndicats professionnels sont un acteur important de l’échiquier national.

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Mais peut-être qu’au fond trop peu d’acteurs politiques souhaitent vraiment changer une règle du jeu qui leur convient bien : elle leur permet de demander peu à leurs contribuables tout en ne leur donnant pas grand-chose. N’est-ce pas particulièrement le cas des pays riches en matières premières, où la fiscalité nationale est dérisoire, et, bien souvent, le degré de corruption, extrême ?

Les petites entreprises sont le plus souvent les plus tardivement et les plus mal payées par les administrations et les entreprises publiques

Toujours est-il que les agendas des PME de la plupart des pays africains apparaissent dans les faits très limités dans leurs ambitions. Lorsque l’on regarde le contenu précis des programmes de promotion du secteur privé, les petites entreprises sont rarement le cœur de cible des politiques publiques (et il en a longtemps été de même pour les agences internationales de développement !).

Les ministères – rarement les plus réputés – chargés de plancher sur le sujet, sont occupés par des dossiers politiques très lourds. Les petites entreprises sont le plus souvent les plus tardivement et les plus mal payées par les administrations et les entreprises publiques : elles concentrent, en termes relatifs à leur chiffre d’affaires, le plus gros des arriérés intérieurs des États.

Il s’agit pourtant de l’un des défis les plus importants pour la résilience des sociétés africaines et la fabrication de la démocratie sur le continent. Il s’agit sans doute, à côté de celui des infrastructures, qui occupe la première place dans le discours public, du combat le plus important des années à venir pour la croissance économique et la fourniture des services essentiels aux populations. C’est à ce combat sociétal – que la réponse au défi de l’emploi rend par ailleurs inévitable – que les politiques de développement sont désormais convoquées de manière urgente, si elles veulent changer le cours des choses en Afrique.

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