Architecture : Rabat, Ville Lumière ?
Rénovations et ouvertures de musées, joyaux architecturaux… La capitale marocaine compte briser son image de ville ronflante pour devenir une place forte de la culture.
C’est une réputation qui colle à la peau de la capitale administrative et politique du Maroc : on s’y amuserait bien moins qu’à Casablanca, sa voisine, poumon économique du royaume. « La culture va être un moyen de dynamiser Rabat ! Cela a même déjà commencé », se réjouit pourtant Mehdi Qotbi, infatigable président de la Fondation nationale des musées, nommé en 2011 à la tête de cette institution par le roi dont il est réputé proche.
Budget de la fondation pour l’année 2017 : 80 millions de dirhams (environ 7 millions d’euros). Et ce sans compter les nombreux apports privés et les soutiens de la part de grandes entreprises nationales. Qotbi a de l’entregent et il concrétise une volonté royale. En octobre 2014, il a inauguré le Musée Mohammed-VI d’art moderne et contemporain avec le monarque. Dans la foulée, le vieux musée archéologique de la ville a été rénové pour rouvrir, en avril 2017, sous le nom de Musée de l’histoire et des civilisations. Dans la superbe et touristique Kasbah des Oudayas, le Musée des bijoux est, lui, en rénovation.
Place à la « politique des musées »
L’ouverture du Musée Mohammed-VI a amorcé un tournant. Place à la « politique des musées », après une « politique des festivals » qui a vu émerger des événements musicaux tout au long des années 2000, dont Mawazine, le plus « grand public », qui a lieu à Rabat. La bâtisse, en plein centre-ville sur l’une des plus grosses artères de la capitale, sera bientôt voisine d’un grand théâtre de 27 000 m². Un bâtiment érigé dans la vallée du Bouregreg – plus de 6 000 ha actuellement en construction, en contrebas de la capitale. Les travaux d’aménagement de la vallée devraient prendre fin en 2019.
Le « grand théâtre de Rabat », comme il est pour le moment baptisé par l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg, comprendra une salle de spectacle pouvant accueillir 1 800 personnes et un amphithéâtre d’une capacité maximale de 7 000 personnes. Ses lignes épurées sont les dernières qu’ait signées l’architecte irako-britannique Zaha Hadid, décédée en 2016, récipiendaire du prix Pritzker, le plus prestigieux dans le domaine. Les courbes du bâtiment dialoguent avec celles du pont et du fleuve. Les plans promettent une construction bien plus moderne que le très classique et néomauresque Musée Mohammed-VI dessiné par le Marocain Karim Chakor.
Nous aurions préféré des infrastructures de proximité, des cinémas de quartier, plutôt qu’un théâtre de cette envergure », regrette Omar El Hyani
Ces projets, ou du moins certains d’entre eux, suscitent néanmoins des interrogations. Omar El Hyani est élu au conseil de la ville de Rabat. Cadre passé par le fonds institutionnel consacré aux entreprises des nouvelles technologies, le Maroc Numeric Fund, il regrette : « Nous aurions préféré des infrastructures de proximité, des cinémas de quartier, plutôt qu’un théâtre de cette envergure. »
La problématique des surcoûts
Pour le théâtre de Rabat, qui doit être achevé fin 2018, la facture s’élève à environ 1,7 milliard de dirhams. Une salle d’environ 1 800 places doit aussi ouvrir à Casablanca fin 2018, à un peu plus d’une heure de route de là. « Et le Théâtre Mohammed-V de Rabat, déjà existant, est sous-utilisé. Au-delà des infrastructures, il y a la question des contenus… »
Parmi les multiples outils devant assurer le rayonnement de Rabat et la valorisation de son patrimoine culturel, l’exécution du programme Rabat Ville Lumière, lancé en 2014 et doté d’une enveloppe globale de plus de 9 milliards de dirhams, a aussi soulevé des questions. La Fédération de la gauche démocratique, dont est membre Omar El Hyani, a saisi la Cour des comptes à la mi-février, soupçonnant un non-respect du cahier des charges, des surcoûts et regrettant un manque de transparence.
Dans la vallée, un musée verra aussi le jour, dont la gestion devrait échoir à la fondation que dirige Qotbi : le Musée national de l’archéologie et des sciences de la terre. Le Maroc est une terre riche en fossiles et autres squelettes de dinosaures, et la presse internationale rend souvent compte des nouvelles découvertes en la matière.
Objectif d’ici 2020 : 4 millions de touristes par an
Ce nouveau musée sera dominé par le mausolée Mohammed-V, non loin du Chellah, deux sites touristiques et historiques. La rumeur court déjà dans la capitale que c’est Franck Gehry qui officierait en tant qu’architecte. Qotbi confirme que l’Américano-Canadien est venu en repérage, mais l’agence répond de son côté : « Des discussions sont en cours avec de grandes signatures de l’architecture mondiale. » Différentes voix officielles ont, ces dernières années, donné le chiffre de 4 millions de touristes par an comme objectif d’ici à 2020.
Pour Qotbi, ces multiples projets forment un tout logique et, surtout, engendrent une saine dynamique. Le plus vieil établissement touristique de la ville, l’hôtel Balima, joyau Art déco situé quelques centaines de mètres en contrebas du Musée Mohammed-VI, achèvera sa rénovation en 2019.
Rabat va rayonner. Dans le Maroc, dans le monde. Pour les Rbatis et pour les autres », se réjouit Qotbi.
« Cette année-là, Rabat devrait accueillir une biennale d’art méditerranéen organisée par la fondation en partenariat avec l’Institut du monde arabe (IMA) de Paris », se réjouit Qotbi, qui a rencontré Jack Lang, patron de l’IMA, en janvier 2018, à ce sujet.
En 2017, quelques semaines avant le retour du Maroc dans l’Union africaine, la capitale avait accueilli des œuvres du Malien Malick Sidibé et du Franco-Congolais Kouka Ntadi à l’occasion d’un festival, L’Afrique en capitale, diligenté en haut lieu et organisé en quelques semaines seulement par la fondation. « Rabat va rayonner. Dans le Maroc, dans le monde. Pour les Rbatis et pour les autres », se réjouit Qotbi.
Réservé à une élite ?
Le « grand théâtre de Rabat » sera installé sur la côte ouest du Bouregreg, qui sépare la capitale de Salé. Cette ville, plus populaire que Rabat, est aussi moins bien lotie en matière d’infrastructures culturelles, et de loin. Le tramway, dont les premières lignes ont été ouvertes en 2011, était un gage d’inclusion pour les deux cités. Mais comment s’assurer que le théâtre n’est pas un lieu réservé à une élite rbatie et internationale ?
Pour le moment, « concernant la gestion du [théâtre], plusieurs études ont été lancées depuis 2016… », nous dit-on du côté de l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg. La question de la démocratisation des lieux de culture a aussi été posée à Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées, qui a organisé des événements, comme une rétrospective Giacometti. Il a la réponse : « Au Musée d’art contemporain, environ 70 % des visiteurs sont des scolaires de classes sociales et de régions très différentes », se plaît-il à rappeler.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles