Emmanuel Macron va-t-il achever la Françafrique ?

Derrière la volonté affichée du président français de rompre avec la politique de l’ancien monde, un impératif : la lutte contre les vagues migratoires.

Emmanuel Macron et Ibrahim Boubacar Keita à la base de Gao le 19 mai 2017 © Christophe Petit Tesson/AP/SIPA

Emmanuel Macron et Ibrahim Boubacar Keita à la base de Gao le 19 mai 2017 © Christophe Petit Tesson/AP/SIPA

Christophe Boisbouvier

Publié le 7 juin 2018 Lecture : 7 minutes.

Emmanuel Macron lors de sa visite aux troupes de l’opération Barkhane, Gao, Mali, le 19 mai 2017. © Christophe Petit Tesson/AP/SIPA
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Emmanuel Macron et la Françafrique

Les dirigeants africains le découvrent après beaucoup d’autres : le président français est un grand séducteur. Mais ses gestes hautement symboliques en faveur du continent sont subordonnés à un objectif prioritaire : la lutte contre les vagues migratoires.

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« On m’a dit que c’était un amphi marxiste, je me suis dit que je devais venir », a-t-il lancé, sur le ton du défi, aux quelque 800 étudiants de l’université de Ouagadougou, le 28 novembre dernier. Avec les ouvriers de l’usine Whirlpool, à Amiens, dans le nord de la France, comme avec les étudiants burkinabè, Emmanuel Macron aime la castagne. En réponse à une question (non filtrée) d’un étudiant sur le néocolonialisme de l’armée française, il a réussi à faire applaudir les soldats de l’opération Barkhane.

Le goût du risque, Macron le manifeste aussi dans son casting africain. Qui pour prendre la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), en octobre prochain ? Comme l’a annoncé Jeune Afrique, il a proposé le poste à Louise Mushikiwabo et a fini par la convaincre. Depuis neuf ans, la ministre rwandaise des Affaires étrangères accuse pourtant la France d’être complice du génocide des Tutsis, au Rwanda, en 1994… Quand un ami africain lui glisse : « Attention, tu vas introduire le loup dans la bergerie », il se contente de sourire. Qui pour copiloter le projet de restitution des biens culturels à l’Afrique ? L’écrivain sénégalais Felwine Sarr, qui continue pourtant d’affirmer que « la France n’a pas renoncé à son imaginaire impérial et colonial ».

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Des « prises de guerre » à l’international

Comme avec l’écologiste ombrageux Nicolas Hulot sur la scène intérieure, le président français tente de multiplier les « prises de guerre » à l’international. Objectif : séduire. Felwine Sarr admet qu’Emmanuel Macron « est en mouvement dans l’espace symbolique » et qu’il « amorce une réinvention de la relation, qui doit déborder sur les autres espaces ». Autres gestes significatifs : le visa de longue durée pour les diplômés africains de France, le projet de faire passer aux étudiants africains des diplômes français en Afrique et le lancement de la plateforme « sport et développement » – c’était le 21 février, à l’occasion de la visite très médiatique de George Weah à Paris.

Mais, au-delà des gestes sociétaux et symboliques, quels changements politiques ? Chez Macron, ni dogme socialiste ni « droit-de-l’hommisme ». Fini les échanges de SMS complices avec les chefs d’État de l’Internationale socialiste, fini les bouderies ostentatoires avec les autocrates. « Macron ne va certainement pas refaire le coup de François Hollande à Kinshasa, en octobre 2012, confie un proche du nouveau président. Il ne va pas jouer avec Kabila sur l’air de : “Je suis à côté de toi, mais je fais exprès de ne pas te serrer la main.” Macron est avec les Africains comme avec tout le monde. C’est pour cela qu’il a déclaré, à Ouaga : “Il n’y a plus de politique africaine de la France.” »

Macron sait bien que, s’il renonçait à faire le sale boulot au Sahel, il ne serait peut-être plus reçu en visite d’État à Washington

Plus de politique africaine, vraiment ? Difficile à croire. À l’Élysée, une équipe « africaine » est en place. Elle comprend les conseillers Franck Paris, Marie Audouard et, pour l’Afrique du Nord, Ahlem Gharbi, plus le tout nouveau Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), piloté par Jules-Armand Aniambossou. Bien entendu, il n’y a rien d’équivalent pour les autres continents. Surtout, comme le dit un haut diplomate français : « Macron sait bien que, s’il renonçait à faire le sale boulot au Sahel, il ne serait peut-être plus reçu en visite d’État à Washington. »

Comme Hollande, Macron suit donc de près les crises en cours en RD Congo, où ses proches souhaitent « des élections sans Kabila », ou au Togo, où la situation est jugée politiquement « anachronique ». Il laisse, certes, les pays de la sous-région monter en première ligne, mais il envoie des émissaires auprès de Joseph Kabila et de Faure Gnassingbé. Pourtant, comme il est accaparé par les convulsions du Moyen-Orient, il ne prend pas toujours au téléphone les chefs d’État africains qui souhaitent lui parler. « Hollande était plus facile à joindre », regrette un ministre africain des Affaires étrangères.

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Intesification des activités au Sahel

« Franchement, avec Macron, je vois des inflexions, des additions, notamment grâce à l’augmentation de l’aide publique au développement (APD), mais pas de changements », glisse un proche dudit Hollande. Au Sahel, son successeur « intensifie et accélère » – comme l’admet ce même « hollandais » – l’opération Barkhane. Entre la mi-février et la mi-avril, l’armée française, grâce à de bons renseignements, a réussi à neutraliser plusieurs lieutenants du chef jihadiste Iyad Ag Ghaly, mais sans parvenir à atteindre ce dernier. « On ne touche pas à notre dispositif avant la présidentielle malienne, confie un expert français, mais après on pourra peut-être l’alléger en organisant des patrouilles communes avec les forces du G5 Sahel. »

Pour qui « vote » Emmanuel Macron au Mali ? À Paris, le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) n’a pas bonne presse. « Quand on lui demande un choc de gouvernance, il faut le lui répéter tous les jours », grince un proche du président français. Un ancien décideur parisien ajoute : « Il y a six mois, Macron aurait sans doute penché pour l’opposition, mais celle-ci est divisée, et IBK a réussi un joli coup en nommant Premier ministre le “sécurocrate” Boubèye Maïga. Cela nous rassure. » À l’Élysée, on est dans l’expectative.

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L’impératif antimigratoire

C’est après cette consultation que Macron verra s’il peut programmer un retrait des soldats français du Sahel avant la fin de son mandat, en mai 2022. « Depuis qu’il est à l’Élysée, il ne nous a jamais fixé cet objectif, confie l’un de ses proches, mais il est vrai que plus on reste, plus on s’expose. » Outre la faiblesse des forces du G5 Sahel, le chef de l’État français est confronté à l’attitude des Algériens. « Iyad Ag Ghaly est un élément dans leur jeu, donc ils le protègent », soupire un décideur français. « Nous partageons plus d’informations antiterroristes avec les Russes et les Turcs qu’avec les Algériens », fulmine un expert du renseignement.

Plus encore que la lutte contre les jihadistes, c’est sans doute le contrôle des vagues migratoires qui est la priorité du président français en Afrique. Est-ce parce que le sujet est clivant ? Il en parle peu. Mais dès le 1er avril 2017, lors d’un meeting à Marseille, le candidat Macron déclarait : « Notre relation avec l’Afrique, ça ne peut pas être simplement d’être le réceptacle de la nécessité, c’est d’aider l’Afrique à réussir et, en même temps, de reconduire à la frontière celles et ceux qui sont venus et qui n’ont pas de titre de séjour. »

Après le discours un peu évangélique de Ouagadougou sur les temps nouveaux, on est revenus dans l’ancien monde

Le 23 avril, Macron fait voter en première lecture par des députés rétifs une nouvelle loi « asile-immigration » qui porte de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours la durée maximale de rétention des étrangers en attente d’expulsion. « Il y a un dramatique déficit de coopération de la part des pays d’origine dans les procédures de reconduite, déplore un haut diplomate. Avec l’allongement des délais de rétention, nous pourrons mettre en place avec les ambassades africaines des procédures plus efficaces. »

Cet impératif antimigratoire, un proche du président l’assume. « On ne va pas se mentir, dit-il. On n’augmente pas l’APD pour être agréable aux Africains, mais parce que c’est notre intérêt. Cela aide à lutter contre l’immigration. » Commentaire acerbe de Jean-François Bayart, de l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève : « Après le discours un peu évangélique de Ouagadougou sur les temps nouveaux, on est revenus dans l’ancien monde. La politique africaine de la France est strictement subordonnée à la lutte contre l’immigration. Macron est tout à fait dans la continuité de Sarkozy et de Hollande. »

Il lâche du lest sur quelques questions symboliques, mais la remilitarisation est à l’ordre du jour

Le pari d’Emmanuel Macron ? Enrôler l’Union européenne (UE) dans sa politique (intéressée) en faveur du développement de l’Afrique. « Si l’Afrique tombe dans l’obscurité, l’Europe aura les mêmes difficultés, car s’ouvrira une longue période de migration et de misère », a-t-il lancé à Ouagadougou sur le ton de Cassandre. Le 13 décembre à La Celle-Saint-Cloud, près de Paris, et surtout le 23 février à Bruxelles, le couple Macron-Merkel a réussi à mobiliser toute l’UE. Pour soutenir la force du G5 Sahel et le programme de développement Alliance pour le Sahel, 414 millions d’euros ont été débloqués.

Jusqu’à quel point casse-t-il les codes ? « Il est davantage dans la continuité qu’il ne le croit », glisse un proche de Sarkozy. « Il n’est pas une contradiction, il est une addition », souffle un dignitaire socialiste. « Il lâche du lest sur quelques questions symboliques, mais la remilitarisation est à l’ordre du jour. Or c’est un foyer structurant du contentieux franco-africain », affirme le penseur camerounais Achille Mbembe, qui ajoute toutefois : « Il pose quelques bases assez sérieuses d’un dialogue qu’il faut espérer constructif. »

Ce dialogue, Guy Labertit, l’ex-« Monsieur Afrique » du Parti socialiste, veut croire qu’Emmanuel Macron l’ouvrira sérieusement sur le franc CFA. « J’espère qu’il ira très loin », dit-il. À Ouagadougou, Macron est « sorti du facile », comme dit l’un de ses proches. L’admirateur de Bonaparte s’est mis en danger. Il lui reste quatre ans pour planter le drapeau de l’autre côté du pont d’Arcole.

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