Venkataramani Srivathsan : « Pour Olam, l’essentiel est d’identifier les maillons les plus rentables »
Négociant d’anacarde au Nigeria hier, cultivateur de palmiers au Gabon aujourd’hui, fabricant de sauce tomate au Ghana demain… Et la liste est loin d’être exhaustive ! Présent dans 25 pays africains, le groupe singapourien Olam poursuit sa diversification.
Agro-industrie : vos moulins vont trop vite
Originaire du Nigeria où elle a commencé ses opérations en 1989 en exportant des noix de cajou, la maison de négoce Olam est devenue en un peu plus de deux décennies l’un des acteurs les plus importants au monde dans le secteur des matières premières agricoles. Présente dans 65 pays, la compagnie basée et cotée à Singapour a développé une véritable stratégie depuis 2013 pour renforcer ses positions en Afrique, où elle est aujourd’hui présente dans le négoce, la production et la transformation.
Âgé de 49 ans, Venkataramani Srivathsan est l’un des principaux initiateurs de ce virage africain. Expert-comptable de formation, il est entré en 1994 chez Olam, où il a d’abord exercé plusieurs fonctions opérationnelles sur le continent avant de devenir directeur exécutif pour l’Afrique et le Moyen-Orient.
Propos recueillis par Olivier Caslin
Jeune Afrique : Quelle place tient l’Afrique dans les activités d’Olam ?
Venkataramani Srivathsan : Nous sommes aujourd’hui présents dans 25 pays africains, qui ensemble assurent 20 % de nos approvisionnements et représentent 25 % des bénéfices du groupe. Et ces chiffres devraient continuer à augmenter significativement, car nous prévoyons d’effectuer d’importants investissements dans les cinq prochaines années. Principalement en nous renforçant dans des filières comme la production d’huile de palme, de riz, le conditionnement de fruits et légumes ou le broyage de cacao. Les opportunités ne manquent pas, en particulier en Afrique de l’Ouest.
Comme la minoterie au Sénégal ?
En effet. Nous étions déjà présents dans cette filière au Nigeria et au Ghana, et nous sommes en train d’investir au Cameroun pour démarrer la production l’an prochain. C’est un secteur très sensible, sur lequel nous pensons disposer de l’expertise nécessaire pour faire la différence aussi bien en matière d’approvisionnement des moulins que concernant la maîtrise de la distribution. Nous suivons donc cette filière de très près.
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Est-il aujourd’hui plus facile d’investir en Afrique que par le passé ?
Tous les indicateurs sont au vert. Le continent va voir sa population croître de manière très impressionnante, et de larges superficies de terre arable sont encore disponibles.
Même s’il reste de nombreux obstacles en matière d’infrastructures ou de sécurité, nous avons le sentiment qu’il existe aujourd’hui une véritable prise de conscience pour résoudre ce type de problèmes. Cela nous rend très optimistes. Nous sommes persuadés que certains pays comme le Nigeria ou l’Éthiopie vont jouer un rôle de plus en plus important sur la scène économique mondiale.
On l’oublie souvent, mais Olam est né en Afrique. Quel a été le modèle de développement suivi par la compagnie depuis vingt-cinq ans ?
Olam a en effet été créé au Nigeria. C’était à l’origine un business lancé par le groupe familial indien Kewalram Chanrai, établi dans le pays et à travers la sous-région depuis plus de cent ans. Le mandat initial d’Olam était surtout de fournir les matières premières – anacarde, cacao, coton – aux autres filiales du groupe.
La compagnie a ensuite commencé à travailler pour d’autres clients, avant de se diversifier dans l’agro-industrie lors des diverses vagues de privatisation de ce secteur en Afrique. Tout cela à un moment où la demande en produits agricoles était en forte augmentation. Olam a ensuite été introduit à la Bourse de Singapour en 1995 et, depuis, la compagnie n’a cessé de grandir et de se développer pour gagner sa place parmi les grandes maisons de négoce.
Simple négociant à l’origine, Olam est devenu au fil des années producteur, transformateur et même transporteur. Pourquoi cette stratégie d’intégration ?
Je dirais que c’est un mode de croissance naturel et logique pour les négociants qui ont des ambitions mondiales et qui souhaitent conserver une position dominante sur leurs filières. Spéculer sur les prix en achetant et vendant de gros volumes de matières agricoles ne nous intéresse pas.
Pour Olam, le plus important est de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’achat de productions aux petits paysans à l’approvisionnement des plus grands groupes industriels de la planète, en essayant toujours d’être le plus compétitif possible. L’essentiel est d’identifier les maillons les plus rentables pour se concentrer dessus. Dans le blé par exemple, les opérations de transformation ou de distribution présentent un intérêt économique, mais pas le conditionnement. À nous de bien sélectionner nos activités.
Est-ce la stratégie que vous appliquez au Gabon ?
Les pouvoirs publics de ce pays se sont lancés ces dernières années dans un large programme de diversification et d’industrialisation de l’économie. Ils ont décidé de créer une zone économique spéciale [ZES], que nous avons rapidement identifiée comme une occasion unique à saisir puisqu’elle permet de rayonner sur toute la sous-région. Nous sommes devenus partenaires du gouvernement à hauteur de 40 % et nous sommes convaincus que ce projet va être un puissant levier de croissance pour le pays. La ZES a déjà permis d’attirer en deux ans près de 2 milliards de dollars [environ 1,5 milliard d’euros] d’investissements directs étrangers. Cela étant dit, nous regardons d’autres projets similaires dans d’autres pays, mais pas en tant qu’investisseurs car ce n’est pas notre coeur de métier.
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Et la foresterie ? Vous venez d’annoncer que vous sortiez du secteur au Gabon…
Nous étions encore en phase d’exploration au Gabon sur ce secteur. Cela ne veut pas dire que la filière bois ne nous intéresse pas. Nous prévoyons de nous impliquer davantage au Congo, où nous enregistrons d’excellents résultats. Au Gabon, par contre, nous préférons rester concentrés sur les produits agricoles comme l’hévéa et l’huile de palme.
Pourquoi cette relation particulière avec le Gabon ?
Nous sommes arrivés en 1999, à un moment où le gouvernement ouvrait le pays et cherchait des investisseurs. Ce n’est pas un marché aussi important que le Nigeria, mais il est situé au coeur du continent, entre l’Afrique de l’Ouest et le marché sud-africain, qui peuvent être tous deux des clients potentiels pour nos produits agricoles et nos engrais. C’est également une région idéale pour cultiver l’hévéa et le palmier à huile, avec des conditions très proches de celles de la Malaisie. Tout cela rend le Gabon très intéressant aux yeux d’Olam.
Olam est présent en Asie et en Afrique depuis plus de vingt ans. Ces marchés ont-ils des points communs ?
Le principal problème auquel nous sommes confrontés dans les pays émergents en général concerne le manque d’infrastructures de transport et d’installations de stockage. Et sur ce point, l’Afrique est loin derrière la majorité des pays d’Asie. Les réalités culturelles sont également très différentes, et c’est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de travailler avec les populations locales ou de former la main-d’oeuvre nécessaire sur place. Et là aussi, l’Afrique a encore un long chemin à faire par rapport à l’Asie.
Ce qui est sûr, c’est que le continent regorge de terres arables à valoriser. Mais les législations foncières sont encore souvent inadaptées aux standards internationaux.
Et les rapports avec les pouvoirs publics, sont-ils différents ?
Dans l’agro-industrie, quel que soit le continent, les gouvernements sont des acteurs incontournables et indispensables, par les politiques agricoles qu’ils mettent en place et par les projets d’équipements qu’ils décident. Nous sommes donc habitués à collaborer avec eux et, sur ce point, les relations ne sont pas très différentes en Asie et en Afrique. L’important est de travailler ensemble le mieux possible pour relever les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
Est-ce difficile pour Olam de trouver en Afrique les terres dont la compagnie a besoin pour ses projets de production ?
Ce qui est sûr, c’est que le continent regorge de terres arables à valoriser. Mais les législations foncières sont encore souvent inadaptées aux standards internationaux. Cela étant, Olam ne désire pas toujours être propriétaire. Ce qui nous intéresse, c’est d’être capables de valoriser la terre dans un objectif de production. Et nous avons appris en Afrique que ce n’est pas parce que le gouvernement vous accorde une concession que vous allez pouvoir travailler comme vous l’entendez. Il faut d’abord obtenir l’autorisation des populations locales, sinon vous ne pouvez rien faire. Ce n’est pas qu’une question de propriété ou d’utilisation de la terre, mais davantage de droit à l’utiliser.
Vous développez donc des relations spéciales avec les communautés, notamment en direction des petits paysans ?
Nous travaillons avec plus de 3 millions de fermiers en Afrique. Notre engagement social est très fort et va bien au-delà du cadre du business. Avec nous, ils ont accès aux meilleures pratiques agronomiques, aux meilleures semences. Ils améliorent leurs rendements, peuvent obtenir des microcrédits pour s’équiper. Nous leur garantissons l’accès au marché international, nous construisons des routes pour désenclaver les régions rurales. Depuis sa création, Olam a tissé un lien très solide avec ses petits producteurs. C’est aujourd’hui notre principale force.
Que pensez-vous du processus d’industrialisation en cours sur le continent ?
Pour nous, la transformation locale reste une niche à explorer, mais pour l’instant seulement dans les pays d’Afrique de l’Ouest où nous sommes présents. Dans cette région, nous comptons bien développer nos capacités de production, par exemple dans la sauce tomate au Nigeria ou au Ghana. Cette étape d’industrialisation dans les pays émergents est rendue difficile par la quasi-absence d’infrastructures de qualité.
Le secteur privé a également un rôle important à jouer. Notamment en formant la main-d’oeuvre aux exigences d’une chaîne de production locale, comme nous l’avons fait dans nos usines d’anacarde en Côte d’Ivoire. La transformation crée de la valeur ajoutée et des métiers mieux qualifiés. Il faut arrêter d’exporter des produits agricoles d’Afrique pour les transformer en Asie avant de les vendre en Europe.
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