Un gâchis sans nom !

Faute d’être parvenus à temps à leurs destinataires africains, des stocks financés par l’aide internationale pourraient être détruits

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Vantés pour leur efficacité, les médicaments à base d’artémisinine, lancés au début de 2007 avec force médiatisation, ne parviennent que difficilement à leurs destinataires. À tel point que certains envois massifs expédiés en Afrique par les bailleurs de fonds et les agences onusiennes, qui contournent les voies habituelles, ne seraient pas utilisés en raison de carences logistiques à l’arrivée et d’absence d’information vers les prescripteurs et les patients. D’une durée de vie limitée, ils risquent d’être détruits dans les prochains mois.
Cette défaillance, constatée par des rapports de terrain et des études universitaires européennes, semble mettre mal à l’aise l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui minimise cette situation sans toutefois la nier, préférant mettre l’accent sur quelques expériences réussies. Parmi celles-ci, la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui reçoit les dons des grandes fondations (Bill Gates, Clinton, entre autres) ou de la Banque mondiale ; ou encore l’opération Unitaid, qui a permis de réunir plus de 300 millions de dollars en 2007 grâce au prélèvement d’une taxe sur les billets d’avion, une contribution de solidarité internationale qui assure une certaine pérennité à la dotation en médicaments pour le paludisme, le sida et la tuberculose. Des partenariats s’ébauchent aussi entre le public et le privé qui permettent de relancer la recherche pour ces trois maladies phares et de mettre au point – on l’espère – de nouveaux médicaments et des vaccins.
Mais tout n’est pas réglé, loin de là. De leur sortie d’usine jusqu’au centre de santé ou au domicile du patient, leur distribution pâtit de graves erreurs stratégiques. Sauf en Zambie, par exemple, qui bénéficie d’un projet bien ficelé de stockage, de distribution et de formation des personnels sanitaires, condition sine qua non d’une stratégie antipaludique efficace. La plupart du temps, les centrales d’achats de médicaments des pays africains sont mises à l’écart. Les stocks de médicaments sont expédiés par Unitaid et le Fonds mondial sans concertation avec les gouvernements concernés. En outre, ces approvisionnements arrivent sous douane sans prise en charge des frais annexes, et il est demandé aux structures nationales, qui ont été exclues des négociations, de régler les frais de stockage, de transport et de distribution des médicaments. Autant de problèmes, et non des moindres, à surmonter.
L’Unicef, dont la mission est de s’occuper des enfants et non de stocker et de distribuer des médicaments, reçoit les envois d’antipaludiques et d’antirétroviraux pédiatriques achetés par la Fondation Clinton avec les fonds d’Unitaid. Elle devrait mettre sous traitement antirétroviral d’ici à la fin de 2007 plus de 100 000 enfants dans 34 pays d’Afrique et d’Asie. Un objectif que certains acteurs de terrain estiment démesuré au regard de l’état actuel des moyens de distribution. Les directeurs des centrales d’achats d’une vingtaine de pays francophones rassemblés en association, l’Acame*, se sont réunis le 19 juin à Ouagadougou pour inviter les bailleurs de fonds à entendre leurs doléances et leurs inquiétudes pour l’avenir. Ils estiment que continuer dans cette voie risque de compromettre les fragiles efforts d’amélioration des systèmes sanitaires africains et de faire disparaître, en les ruinant, les centrales d’achats nationales, qui dispensent les médicaments pour l’ensemble des maladies d’un pays donné et pas seulement pour le trio de choc du Fonds mondial. Un seul exemple, celui du Sénégal. Ce pays de 10 millions d’habitants, dont 40 % de citadins, a reçu 3,3 millions de doses de traitement ACT (nouveau composé à base d’artémisinine). Cet envoi était beaucoup trop important pour pouvoir être absorbé rapidement, selon les informations du Réseau médicaments et développement (Remed). Il est établi qu’un certain nombre de ces produits ont été distribués dans les dispensaires périphériques, mais ceux qui sont restés stockés devront être détruits, leur durée d’efficacité étant de deux ans. Si l’on considère le temps nécessaire à la validation des lots de médicaments ACT par l’industrie et à leur acheminement, les médicaments arrivés en janvier 2006 à Dakar avaient déjà six mois de vie. Aujourd’hui, les médicaments non distribués sont donc périmés Le cas du Sénégal n’est pas une exception. Des destructions sont également prévisibles au Gabon, entre autres.
Remplir les hangars de médicaments ne suffit donc pas, il faut aussi imaginer comment approvisionner les destinataires, et à quel prix. Car la distribution de médicaments ne peut pas être totalement gratuite sous peine de mettre à mal la stratégie de recouvrement des coûts, qui permet aux pays africains de renouveler leurs approvisionnements pharmaceutiques. Le Burkina et le Bénin possèdent des centrales d’achats bien entraînées. Pourquoi ne serviraient-elles pas de modèles ? C’est ce que recommandent les associations qui travaillent sur le terrain comme Pharmaciens sans frontières, Remed et la Centrale humanitaire médico-pharmaceutique (CHMP).
En engageant des fonds pour la formation et la mise à niveau des centrales déficientes, on renforcerait les capacités nationales. Encore faudrait-il mettre en place des expertises régulières sur les résultats attendus, comme l’explique le Dr Pascal Millet, professeur à l’université de ?Bordeaux-II : « Tous les pays ont un cahier des charges, une logistique de distribution des médicaments essentiels. Par contre, tout le monde sait très bien que cette procédure n’est pas suivie. Les raisons peuvent en être la corruption, bien entendu, mais aussi le fait qu’on n’ait pas d’indicateur d’efficacité, à aucun niveau. C’est le grand problème de l’Afrique de l’Ouest francophone, où notre coopération a mis en place des actions sans jamais se donner les moyens d’en mesurer l’efficacité. Le résultat est nul, on n’a aucun moyen de savoir ce qui est efficace. Permettre aux pays africains d’acquérir des médicaments en les faisant acheter par les bailleurs facilite leur acquisition à des prix abordables, c’est une bonne initiative, mais il faut aussi leur donner la possibilité de mettre en place leur cahier des charges et de leur montrer ce qui va et ce qui ne va pas Quand certains prétendent qu’on ne peut pas user du droit d’ingérence, c’est simplement parce qu’on ne sait pas gérer les problèmes de santé africains. D’où ces actions ponctuelles dans le désordre. Personne ne se demande si les centrales d’achats ne pourraient pas devenir opérationnelles. On les contourne ! Le retour de flamme d’une telle stratégie risque d’être très négatif si on ne trouve pas des solutions à court terme pour éviter cette destruction de médicaments et l’échec de la lutte contre le paludisme. » Enfin, d’aucuns s’étonnent de ne pas entendre la moindre prise de position de la part des chefs d’État africains.

* Bénin, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Mali, Mauritanie, Madagascar, Niger, République centrafricaine, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo.

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