Trois exclusions

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Je me propose cette semaine de commenter et, si je le peux, d’éclairer trois évolutions d’inégale importance, mais dont je pense que chacune d’elles aura des prolongements dans les mois et les années à venir.

1. L’Europe, le Fonds monétaire international (FMI) et nous.
Avec une rapidité et une facilité inhabituelles – le temps d’un petit déjeuner de leurs ministres des Finances -, les vingt-sept pays de l’Union européenne* ont désigné le futur directeur général du FMI : ce sera le Français Dominique Strauss-Kahn.
Il succédera à l’Espagnol Rodrigo de Rato y Figaredo, démissionnaire, et prendra ses fonctions en octobre prochain.

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Les Européens ont occupé ce poste tout au long des soixante années d’existence de l’institution, et ils pensent qu’il leur revient jusqu’à nouvel ordre.
La tradition et une règle non écrite (qu’ils ont respectée il y a encore deux mois en laissant au président des États-Unis le privilège de « nommer » le président de la Banque mondiale) répartissent en effet le pouvoir économique et financier international entre les Américains (du Nord) et les Européens (de l’Ouest).
Ils en excluent le reste du monde.

Si les Européens ont fait si vite, c’est qu’ils avaient, par chance, sous la main, en la personne de « DSK », comme on le surnomme communément, un très bon candidat. La plupart d’entre eux l’ont choisi pour son expérience et ses qualités, et non pas pour sa nationalité française – qui était pour lui, en l’occurrence, un handicap : trois de ses compatriotes, Jean-Claude Trichet (Banque centrale européenne), Jean Lemierre (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et Pascal Lamy (Organisation mondiale du commerce), détiennent déjà les directions générales de grandes institutions internationales et les autres Européens estiment que cela commence à faire beaucoup – et même trop – pour un seul pays.

Je crois, pour ma part, que, même dans une compétition ouverte à des candidats de tous les continents, DSK aurait eu, de par sa personnalité, de grandes chances de l’emporter.
Évoquant ses atouts, des journalistes ont souligné qu’il était un bon économiste, mais aussi polyglotte : outre l’anglais, il parle couramment l’allemand (ce qui n’a pas été pour rien dans le fait qu’Angela Merkel a estimé d’emblée qu’il était un « bon candidat »). Je peux ajouter que cet homme de 58 ans a grandi au Maroc et passe ses vacances à Marrakech, où il possède une maison. Et qu’il prend la peine d’apprendre l’arabe, à raison de plusieurs heures par semaine, avec un professeur
L’homme n’est donc pas en cause. Il n’aura guère de mal, d’ici au mois d’octobre, à se faire adouber par les représentants des autres continents et, une fois nommé, il entreprendra, avec des chances sérieuses de la réussir, sa difficile mission : redonner vite à l’institution une âme et un rôle. Rien de moins.

Mais, aussi doué et volontaire qu’il soit, Dominique Strauss-Kahn n’entrera véritablement dans l’Histoire et ne sera fidèle au socialisme dont il s’est nourri que si, dans cinq ou dix ans, grâce à lui, son successeur n’est pas, une fois de plus – qui serait une fois de trop -, le meilleur candidat européen (de l’Ouest) pour le poste

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2. Remèdes aux maux de l’Afrique subsaharienne. Je ne quitte pas le domaine du développement international en commentant pour vous le graphique ci-dessous. Il montre qu’en matière de lutte contre la pauvreté, l’Afrique subsaharienne fait, hélas, moins bien que les autres continents.
Le reste du monde réalise des progrès sans précédent dans ce domaine, grâce, en particulier, à la miraculeuse croissance de la Chine et de l’Inde : en 1990, près de 32 % de la population des pays en développement vivaient avec moins de 1 dollar par jour. Ce chiffre a été ramené à 19,2 % en 2004, et devrait être inférieur à 16 % en 2015.

Les raisons de la stagnation (ou des trop faibles progrès) de l’Afrique subsaharienne ont été recensées par l’économiste Jeffrey Sachs. Lisez son analyse :
Les producteurs agricoles africains se heurtent à de nombreuses barrières lorsqu’ils veulent exporter, telles que les subventions dont bénéficie le coton aux États-Unis et en Europe, et qui font chuter les cours mondiaux.
Ces barrières devraient être éliminées.
Cependant, les principaux obstacles que doivent surmonter les exportations africaines ne se trouvent pas sur les marchés mondiaux, mais en Afrique même.
L’Afrique n’a pas les routes sur lesquelles on peut rouler, l’énergie sur laquelle on peut compter, les ports utilisables et la main-d’uvre saine et compétente qui lui permettraient d’être compétitive pour la plupart des produits industriels.
C’est une situation à laquelle il peut être remédié si l’aide promise par les pays donateurs est assez importante pour que l’Afrique puisse construire une infrastructure, former une main-d’uvre et créer un système de santé publique.
En quelques lignes, Jeffrey Sachs donne et le diagnostic et la thérapie. Il n’y a rien à ajouter.

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3. La troisième exclusion que je voudrais tenter d’éclairer concerne le Moyen-Orient. J’ai écrit ici même, la semaine dernière, à propos de cette région, « ça va bouger ».
Eh bien ! nous sommes servis : en quelques jours nous avons vu les principaux acteurs se mettre en place et donner un aperçu de la partie qu’ils vont jouer.
Tony Blair a confirmé ce que nous annoncions : il va se rendre à Jérusalem, mais ne veut pas être confiné au rôle de garde-malade de l’Autorité palestinienne et de son président.
– Ce président, Mahmoud Abbas, déclare à qui veut l’entendre que, le Hamas lui ayant manqué, il ne veut plus avoir affaire à lui. Suivant l’exemple d’autres potentats arabes, il en vient à récuser les représentants de la majorité du peuple qu’il veut libérer de l’occupation.
Il gouvernera avec la minorité et s’en remet à ses nouveaux protecteurs : ils lui ont promis qu’ils récompenseront enfin sa modération et il semble avoir oublié que leurs précédentes promesses ont rarement été tenues
– En exécution d’une directive américaine, les ministres des Affaires étrangères des deux pays de la Ligue arabe qui entretiennent des relations officielles avec Israël (l’Égypte et la Jordanie) ont fait leurs valises pour se rendre à Jérusalem. Ils ont accepté la charge de « vendre l’offre de paix arabe » aux Israéliens, qui, ne la trouvant pas assez attrayante, demanderont à ses auteurs de vouloir bien l’améliorer.
– Ayant persuadé George W. Bush lors de ses discussions avec lui, à Washington, que c’est de bonne tactique, Ehoud Olmert a pris l’initiative d’interpeller, à la télévision, le président syrien Bachar al-Assad pour lui dire en substance : « Négocions, puisque vous le voulez, mais sans intermédiaire ni témoin. Sachez cependant que le prix de notre évacuation par étapes de votre Golan a sensiblement augmenté.
« Il vous faudra, certes, nouer des relations diplomatiques et commerciales avec nous, mais vous devrez aussi et surtout rompre avec l’Iran, lâcher le Hezbollah et le Hamas, venir à nous complètement nu. Vous n’y êtes pas prêt ? Nous attendrons ; vous y viendrez plus tard » Assad a répondu en résumé : « Pas encore prêt Plus tard, peut-être »

Les pays arabes du Moyen-Orient sont actuellement affligés de dirigeants médiocres, surclassés par les dirigeants des États-Unis et d’Israël, tout aussi médiocres, mais plus volontaires et dotés de plus de moyens qu’eux, qui les manipulent à loisir pour mieux contrôler les destins de leurs peuples

*Le représentant du Royaume-Uni a émis de sérieuses réticences, qui ont été tout simplement ignorées.

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