Sarkozy, l’homme pressé

En visite éclair à Alger et à Tunis, le président français a réussi à « vendre » à ses hôtes son projet d’Union méditerranéenne. Mais le plus dur est à venir.

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Nicolas Sarkozy a réservé au Maghreb son premier déplacement hors d’Europe, mais n’a séjourné que quelques heures à Alger et à Tunis, les 10 et 11 juillet. Au menu de cette minitournée amputée de son étape marocaine (celle-ci a été reportée à la mi-octobre, à la demande de Rabat, pour des « raisons de calendrier ») : la présentation de son projet d’Union méditerranéenne et la relance de la coopération bilatérale.
Arrivé à 11 heures dans la capitale algérienne à bord de l’Airbus présidentiel, le chef de l’État français est accompagné de Bernard Kouchner, son ministre des Affaires étrangères d’ouverture, avec lequel il affiche une évidente complicité, et de Rama Yade, sa jeune secrétaire d’État aux Droits de l’homme, dont c’est la première sortie officielle. Sur le tarmac de l’aéroport, il est chaleureusement accueilli par Abdelaziz Bouteflika. Les deux hommes se connaissent bien : depuis 2003, ils se sont rencontrés à de nombreuses reprises.
Sous bonne escorte, ils prennent la direction de la résidence d’État de Zéralda, à l’ouest d’Alger, où ils s’enferment pour un tête-à-tête de deux heures trente. Le temps pour eux d’enterrer le traité d’amitié entre les deux pays et de convenir du principe d’une visite d’État, début décembre, pour sceller la mise en place du « partenariat d’exception » censé le remplacer.
À l’issue du déjeuner et d’une promenade digestive d’une quinzaine de minutes dans les jardins de la résidence, Sarkozy tient une conférence de presse en présence de son hôte, impassible. Seul à s’exprimer, conformément à l’usage en vigueur à Alger, le président français défend une nouvelle approche des relations franco-algériennes : « L’amitié, explique-t-il, se nourrit davantage de projets que de traités, de discours, de paroles Je n’ai pas connu la guerre d’Algérie, ce n’est pas ma génération, je suis venu ici en ami, avec la volonté de participer à une entente entre deux peuples souverains et indépendants. »
Fidèle au credo exposé lors de son discours de Toulon, le 7 février, il exclut toute idée de repentir pour les crimes de guerre commis par la France en Algérie, pendant la colonisation. Une démarche qu’il assimile à de la haine de soi et qui, pourtant, sous-tendait la logique de réconciliation défendue par son prédécesseur. « Je ne viens ici ni pour blesser ni pour m’excuser, annonce Sarkozy. Que chacun porte sur nos histoires respectives le regard qu’il souhaite. Ne divisons pas l’avenir en faisant renaître le passé. »
Sans entrer dans les détails, le président français esquisse alors les contours du « partenariat d’exception » en gestation avec l’Algérie, qui sera formalisé lors de sa prochaine visite, en décembre. S’il n’exclut pas l’hypothèse de ventes d’armements, c’est dans le domaine énergétique que les développements les plus spectaculaires sont à attendre, même si les négociations à ce sujet s’annoncent ardues. Pour sécuriser ses approvisionnements en gaz naturel, la France souhaite explorer les voies d’une coopération – ou d’un partenariat – entre GDF et Sonatrach. De leur côté, les Algériens commencent à réfléchir à « l’après-pétrole » et souhaitent développer les énergies renouvelables, en particulier le nucléaire civil.
En attendant, Sarkozy s’envole pour Tunis, où il atterrit dans l’après-midi du 10 juillet. Il s’entretient pendant une heure environ avec Zine el-Abidine Ben Ali, qu’il retrouve, dans la soirée, pour un dîner de travail. Les deux hommes, qui, aux dires du président français, ne se connaissaient pas très bien, parlent essentiellement de coopération sécuritaire et de lutte antiterroriste. Paris et Tunis ont décidé de renforcer la collaboration entre leurs services de renseignements, qui, ces derniers temps, a connu quelques légers couacs. « Tous les malentendus sont dissipés, il n’y a plus l’ombre d’un nuage entre nos deux pays », pavoise un diplomate français à l’issue du dîner officiel.
Sarkozy, qui loge à l’hôtel Résidence, à Gammarth, improvise un point presse nocturne avec les journalistes de sa délégation, dans les jardins de l’établissement. Interrogé sur les droits de l’homme, il botte en touche en des termes qui ne sont pas sans rappeler ceux utilisés naguère par Jacques Chirac, ce grand défenseur du régime tunisien. Pas question de condamner un pays qui réussit son développement économique et lutte efficacement contre le terrorisme. La Tunisie, estime-t-il, est « en cheminement vers la démocratie ».

Et l’Union méditerranéenne ? On en sait un peu plus sur ce projet évoqué par Sarkozy dès le soir de son élection, le 6 mai, et qui, à l’évidence, constitue l’une de ses priorités diplomatiques.
L’UM n’a pas vocation à se substituer ni au processus euro-méditerranéen de Barcelone, lancé en 1995, ni au « dialogue 5 + 5 », ce forum informel à tonalité nettement sécuritaire inauguré en décembre 2003, à Tunis. Elle regroupera l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen – y compris donc Israël -, à l’exclusion de tous les autres, Allemagne et pays d’Europe du Nord compris. Elle sera instituée par une conférence intergouvernementale, à une date et en un lieu qui restent à préciser, au cours du premier semestre de 2008. Le projet, qui a recueilli l’adhésion de l’Italien Romano Prodi et de l’Espagnol José Luis Zapatero, se traduira par la mise en uvre de politiques communes dans les domaines de l’environnement, du développement économique, de la sécurité, des migrations et du dialogue des cultures.
Explicitement inspirée de la Communauté économique du charbon et de l’acier (Ceca) imaginée, au début des années 1950, par les pères fondateurs de l’Europe, Robert Schumann et Jean Monnet, l’UM vise à créer des solidarités de fait et une zone de prospérité par le biais d’actions concrètes comme la dépollution de la Méditerranée. Avantage de la formule : reléguer au second plan le conflit israélo-arabe et la question du Sahara, pierres d’achoppement traditionnelles, qui furent, par exemple, à l’origine de l’échec du processus de Barcelone.
En revanche, la nouvelle approche fera sans doute grincer quelques dents du côté des sociétés civiles des pays du sud de la Méditerranée. Pour ces dernières, en effet, le volet politique du partenariat Euromed, qui visait à définir « un espace commun démocratique, respectueux des droits de l’homme et des libertés fondamentales », constituait une référence réconfortante – même s’il n’a jamais été véritablement appliqué.
Reste que la mise en place de l’Union méditerranéenne sera longue et compliquée. Elle a cependant recueilli l’assentiment enthousiaste des hôtes maghrébins de Sarkozy. Il ne sera pas de trop.

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Les Marocains, qui devraient le recevoir au mois d’octobre, manifesteront-ils autant d’allant ? Ne risquent-ils pas de prendre ombrage des attentions et des compliments dont il a gratifié Bouteflika pendant toute son étape algéroise ? Indéniablement, le style Sarkozy diffère du style Chirac, caractérisé un tropisme marocain très marqué. Mais gardons-nous de surinterpréter les signaux émis par le président français, qui étaient peut-être avant tout destinés à flatter et à amadouer un partenaire algérien réputé coriace.
Car l’inflexion, si inflexion il y a, concernera davantage la forme que le fond. En dépit d’un rafraîchissement passager, la relation franco-marocaine reste d’une exceptionnelle densité. La position française sur l’affaire du Sahara – plutôt favorable à Rabat – n’a pas varié. Et ne variera pas. « La politique de la France ne se décide pas en fonction de la date d’un voyage », a conclu Nicolas Sarkozy.

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