Que sont les marins devenus ?

À l’instar des remparts de Mahdia, de nombreux vestiges antiques témoignent de la richesse du passé lié à la mer.

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

La Tunisie devrait-elle son histoire à la mer et son salut aux navires ? Tout porte à le croire dans ce pays arrimé à la grande bleue, qui fut, depuis la nuit des temps, un espace de navigation, de commerce et d’échanges. L’ancrage tunisien dans le monde marin et le rôle joué par ses flottes et ses navires dans les invasions et les guerres, mais aussi dans son ouverture vers les rives du Nord ont fait dire, en effet, que le bateau « fut à l’origine de la grandeur de Carthage ». Il n’est qu’à revenir à cette formule d’usage dans les familles tunisiennes : « Lkoulna jabitna louha », « Nous avons tous échoué ici sur une planche », une formule qui en dit long sur l’appartenance revendiquée du Tunisien à la mer, sur cette identité maritime qui a façonné le pays et qui se retrouve dans ses us et coutumes.

Les richesses du patrimoine tunisien l’attestent. Les mosaïques marines tunisiennes décorent de nos jours encore les bassins, les fontaines, les sols et les murs des édifices publics comme les maisons particulières. La mer y est un thème récurrent puisé dans le répertoire mythologique méditerranéen, avec ses convois de dauphins chargés de guider l’âme des défunts et de protéger contre le mauvais il, avec Vénus née de l’écume, Poséidon se déplaçant sur un char tiré par des divinités marines
Les auteurs anciens ont témoigné de la grande prospérité du cap Bon et les armées grecques et romaines furent émerveillées par l’opulence de cette péninsule. L’aventure phénicienne fut attestée par la fondation de Carthage, et il est de notoriété que les Phéniciens furent les meilleurs marins du globe. Avec Rome et Athènes, Carthage, cité maritime par excellence, domina le monde. Les historiens confirment d’ailleurs « que ce ne fut pas un mince mérite pour Rome que d’affronter courageusement sa grande rivale sur les flots », tant la marine de guerre des Carthaginois fut une des plus célèbres de l’Histoire. Trois siècles après les premiers Tyriens qui vinrent aborder dans le golfe de Tunis, le bateau d’Hannon le Magonide donna aux Carthaginois le contrôle des routes occidentales des métaux. Plus tard, au XXe siècle, l’arsenal médiéval de Mahdia fut classé le plus grand de Méditerranée.
La mémoire collective tunisienne porte le souvenir de grandes figures de la mer liées aux guerres et aux invasions, tel Charles Quint, faisant le siège de Tunis devant La Goulette, Saint Louis que la légende populaire confond avec le patron des mers, Sidi Boussaïd, Jawhir al-Siqilli, conquérant de la Sicile ou Roger II de Sicile, qui fut le premier chantre du dialogue islamo-chrétien, et jusque ces Tunisiens anonymes, partis défendre les Palestiniens sur le bateau Kerkennah, un jour de l’année 1947
C’est aux larges des côtes de Tunis que se sont écrites les plus fameuses pages de la piraterie méditerranéenne. Les flibustiers tunisiens étaient les plus redoutés et menaçaient toutes les marines marchandes. À preuve, la première convention qui fut signée entre les Américains et les Tunisiens, au XIXe siècle, porta sur la piraterie. Les États-Unis s’engageaient à payer une taxe au bey de Tunis afin qu’il les protège de ses brigands

la suite après cette publicité

Le déclin de la mer date de cette époque, justement. Si certains affirment qu’il avait commencé avec la mainmise de généraux à vocation terrestre, comme Hamilcar, Hasdrubal, ou Hannibal, d’autres n’hésitent pas à désigner la présence arabe, qui aurait donné un coup de frein à la Méditerranée latine. Le rapport des Arabes à la mer était en effet très détaché et l’on se rappelle la célèbre phrase de Tarek Ibn Ziad, lequel donna son nom à Gibraltar, pour galvaniser ses troupes : « Vous n’avez pas d’issues. La mer est derrière vous et l’ennemi est devant. » D’ici à ce qu’on conclue que les Arabes ne maîtrisaient pas la navigation, ni la mer
Mais c’est surtout le protectorat français qui va couper le lien fort de la Tunisie avec la mer. Désormais, la France et l’Angleterre se partagent la Méditerranée et en excluent aussi bien le Maghreb que la Turquie. Les Tunisiens sont interdits de naviguer. Ils ne peuvent plus affréter de bateaux. Les Italiens de Tunisie se voient obligés de demander à être naturalisés pour devenir armateurs. Les seuls à qui les Français accordent l’autorisation de prendre la mer sont les Djerbiens, qui s’en vont vendre les poteries à Annaba, en Algérie, et redescendent avec des céréales. « Le déclin de la Tunisie c’est le déclin de la mer, dit un marin, son essor est l’essor de ses activités maritimes. Alors, le temps est venu pour nous qu’on nous rende la mer ! »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires