Le style Sarkozy

Très attendue, sa première tournée subsaharienne est pour la fin de ce mois…

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Comme le Maroc, qui aura finalement droit à une visite d’État spécifique, l’Afrique du Sud mérite apparemment mieux qu’une étape de quelques heures, genre « hit and run », dans le cadre de la tournée subsaharienne que Nicolas Sarkozy entreprendra – toujours au pas de course – dans les tout derniers jours de ce mois de juillet. Le président français n’ira donc pas étreindre Nelson Mandela, comme prévu, mais il devrait se rendre successivement au Sénégal, au Ghana et dans les deux Congos. Le tout en deux jours et demi.
Certains détails (notamment les nuitées à Dakar et, peut-être, à Kinshasa) restent à boucler, et il n’est pas tout à fait exclu qu’une escale supplémentaire soit ajoutée, à Libreville, au Gabon. « Cela dépendra, suppute un proche du dossier, du degré d’agacement manifesté par le doyen Bongo Ondimba à l’idée de se voir ainsi exclu. Cela dit, dans un cas comme dans l’autre, on gérera. »
Comment interpréter l’itinéraire choisi pour cette première tournée du nouvel élu au sud du Sahara ? Si Dakar est une porte d’entrée classique et Brazzaville, où Sarkozy devrait prononcer un discours, une porte de sortie imposée par la géographie et la courtoisie (« On ne pouvait pas décemment visiter Kinshasa et ne pas traverser le fleuve », explique-t-on à l’Élysée), le Ghana et la RD Congo sont des nouveautés (Jacques Chirac, par exemple, ne s’y était jamais rendu). D’un côté, un pays anglophone, symbole de bonne gouvernance et qui célèbre le cinquantième anniversaire de son indépendance. De l’autre, le plus grand pays francophone du continent, en pleine sortie de crise militaro-humanitaire. Mélange de tradition et d’imagination, ce casting est somme toute très sarkozien.

C’est au 2, rue de l’Élysée, dans le bureau de Bruno Joubert, le conseiller Afrique, que se concoctent avec minutie les ingrédients du voyage. Ancien directeur de la stratégie à la DGSE et ancien directeur Afrique au Quai d’Orsay, Joubert est un quinquagénaire discret qui cultive la modestie des exécutants, mais dont la connaissance des dossiers est surprenante. Ses propositions et ses analyses, il les transmet ensuite à ceux qu’il appelle en souriant « mes maîtres ». En l’occurrence, le conseiller diplomatique Jean-David Levitte, dont il dépend, et, à travers lui, le président. S’il n’a pas, contrairement à Michel de Bonnecorse, son prédécesseur, qui traitait en tête à tête avec Chirac, le contact direct avec Sarkozy, il n’en dirige pas moins la section la mieux dotée du futur Conseil national de sécurité à la française. Avec bureaux autonomes et, à ses côtés, deux jeunes collaborateurs, Rémy Maréchaux (plutôt Afrique centrale et orientale) et Romain Sernan (plutôt Afrique de l’Ouest).
Joubert, qui s’est rendu les 9 et 10 juillet à Abidjan en compagnie de Jean de Gliniasty, le directeur Afrique du Quai, n’est évidemment pas le seul intervenant en matière africaine. De Bernard Kouchner, qui ne veut à aucun prix être réduit au rôle de ministre des Affaires humanitaires et de la gestion des crises, à Jean-Marie Bockel, le secrétaire d’État à la Coopération, qui découvre le continent et entend s’y tailler une place, en passant par Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, dernier recours de ce qui reste des fameux « réseaux », les acteurs « africains » cherchent leurs marques et leur place sur le terrain.
Pour l’instant, tout se déroule sans trop de heurts. Seul le positionnement atypique de Brice Hortefeux, à qui l’intitulé de son ministère (Immigration, Identité nationale et Codéveloppement) permet d’être présent partout, semble poser problème, d’autant que le personnage a une certaine tendance à jouer perso. Enfin, Rama Yade, la secrétaire d’État aux Droits de l’homme, est également en droit de revendiquer sa case sur l’échiquier, même si elle a fait clairement savoir qu’elle ne souhaitait pas, sous prétexte de ses origines sénégalaises, être cantonnée à l’Afrique.

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Le style a-t-il changé par rapport aux « années Chirac » ? Dans la forme, c’est une évidence. Depuis son arrivée à l’Élysée, Sarkozy a accueilli cinq chefs d’État africains (Ellen Johnson-Sirleaf, Omar Bongo Ondimba, Abdoulaye Wade, John Kufuor et Denis Sassou Nguesso) et un Premier ministre (le guinéen Kouyaté), mais n’a déjeuné (ou dîné) avec aucun – rituel pourtant solidement institué par son prédécesseur. Les entretiens sont plus courts (trente à quarante minutes), parfois furtifs (quinze minutes pour la présidente du Liberia) et, dit-on, beaucoup plus directs, très « matter of facts » quant au langage utilisé.
Autre différence : le fait pour un chef d’État de se rendre à Paris ne se traduit plus automatiquement par un rendez-vous à l’Élysée. Informés de cette nouveauté, certains ont préféré rester chez eux, et la liste d’attente commence à s’allonger. Jacques Foccart doit s’en retourner dans sa tombe !

Enfin, et même s’il a toujours son portable à portée d’oreille, Sarkozy n’est visiblement pas un adepte de la diplomatie téléphonique avec le continent. Passé la vague de félicitations qui a suivi son élection, le président français est – à une ou deux exceptions près – aux abonnés absents pour ses pairs subsahariens. Ces derniers apprécient modérément ces manières qu’ils jugent parfois un peu cavalières, tout en faisant le dos rond. On imagine ainsi que Bongo Ondimba a dû autant s’agacer que sourire en apprenant que l’Élysée avait tout fait pour qu’il ne soit pas le premier à en grimper les marches, au lendemain du 6 mai. De passage à Paris, Johnson-Sirleaf, jugée plus « politiquement correcte », fut in extremis invitée à ouvrir le bal. Seule similitude avec le style Chirac : Sarkozy a le tutoiement facile
Si la communication n’est donc plus la même, la politique africaine, elle, n’a pas – ou pas encore – changé. Sarkozy marque peut-être ses distances, ses collaborateurs non. Lui ne déjeune pas ? Qu’à cela ne tienne, Guéant le fait à sa place (avec Sassou Nguesso, Bongo Ondimba et d’autres) et les ministres français continuent de se bousculer dans les palaces et les hôtels particuliers réputés « mal acquis » (selon les ONG) des chefs d’État. Un seul ministre, dit-on, a refusé l’invitation d’un président d’Afrique centrale qui, de passage à Paris, souhaitait le rencontrer.
Faut-il croire, dès lors, que les promesses de rupture faites il y a un peu plus d’un an par le candidat Sarkozy dans son discours de Cotonou ne concernaient que la forme, et non le fond ? « Il n’a jamais été question dans l’esprit du président de faire table rase des vieux amis de la France, explique un proche. Encore moins de les tenir pour des pestiférés. Ce serait indécent, contre-productif, et ce n’est pas son genre. La refondation, ce n’est pas là qu’il faut la chercher, mais dans le discours qui est tenu devant nos partenaires africains : clarté, exigences mutuelles et absence de connivence. »
En attendant de la vérifier dans les faits, cette nouvelle démarche tarde à se manifester dans le dossier – il est vrai sensible – de la Côte d’Ivoire. À l’Élysée, même si l’approche est évidemment beaucoup moins personnelle et passionnelle que sous Chirac, on considère que la situation n’est pas mûre et qu’il convient d’y voir plus clair dans les intentions du président Laurent Gbagbo avant de répondre aux « messages, signaux et autres émissaires » que ce dernier aurait adressés depuis le 6 mai. « Sarkozy n’a ni sympathie ni antipathie pour Gbagbo ; il attend les élections », explique un familier du dossier. Un sentiment manifestement partagé par le chef de l’État ivoirien, persuadé (à raison) que rien ne peut être pire qu’avec Chirac.

Autre sujet délicat : le Rwanda, avec qui la France n’entretient plus de relations diplomatiques. Là aussi, c’est plutôt « wait and see », même si un diplomate bien informé confie, de l’air de celui qui prévoit une amélioration, qu’il est « encore un peu tôt pour en parler ».
Restent enfin les incontournables « petits juges » (qui ne sont certes pas petits au regard des embarras qu’ils causent parfois aux diplomates français). Sur ce point, notre interlocuteur – un proche du président – semble manier de la nitroglycérine. Hors de question que l’Élysée et le Quai d’Orsay se laissent prendre, comme à propos de l’affaire Borrel, la main dans le sac de l’ingérence. Question : « L’exécutif a-t-il quand même un droit de regard sur les empiétements du judiciaire lorsqu’il estime que ce dernier se trompe ? » Réponse, dans un soupir : « En France, cher Monsieur, les juges ne sont pas contrôlables. Mais allez expliquer cela à nos amis africains ! »

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