Le président, les juges et les élections
Le chef de l’État n’entend ni passer l’éponge sur les ratés du scrutin du 24 juin ni se laisser impressionner par la plainte que des ONG ont déposée à Paris.
En cet après-midi pluvieux du 9 juillet, Denis Sassou Nguesso reçoit dans sa suite de l’hôtel Meurice, à Paris. Coïncidence : son gendre Omar Bongo Ondimba, président du Gabon, est également présent dans le même palace de la rue de Rivoli. Ce qui a sans doute pour avantage de faciliter les contacts familiaux, un peu compliqués ces derniers temps, mais aussi les rendez-vous des personnalités françaises, qui vont de l’un à l’autre. Dans l’ascenseur, on a pu ainsi croiser ces jours-ci les ministres français Michèle Alliot-Marie, Bernard Kouchner, Brice Hortefeux, Jean-Marie Bockel, le secrétaire général de l’UMP Patrick Devedjian, le secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant, mais aussi Christophe de Margerie, de Total, et même Bernard Tapie. Rien n’a changé, en somme, par rapport aux « années Chirac », et même si les présidents congolais et gabonais sont dans le collimateur des ONG, des fonds vautours et de quelques juges d’instruction, ils sont toujours aussi courtisés par une classe politique française qui, toutes tendances confondues, sait où se situent ses intérêts – sans compter les hommes d’affaires.
DSN donc, 64 ans, toujours la même élégance, le même regard perçant et la même crispation des mâchoires quand on aborde les sujets qui le fâchent. Rappel des faits : le 19 juin, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire suite à une plainte déposée par trois associations contre les présidents Sassou Nguesso, Bongo Ondimba, Obiang Nguema, Dos Santos et Compaoré, plainte visant en particulier les deux premiers pour « recel et détention de biens publics ». Sont en cause, côté Sassou : une villa au Vésinet, un appartement à Paris et « divers logements » au nom de ses enfants et neveux. Dire qu’Otchoembe (équivalent mbochi de « la force tranquille ») a mal pris ce coup de boutoir judiciaire est un euphémisme. Sur les marches de l’Élysée, la semaine passée, à la sortie d’un tête-à-tête avec Nicolas Sarkozy, il a parlé de « racisme » et de « néocolonialisme ». Le fait que cette ligne de défense puisse paraître un peu courte à certains ne le gêne pas. Il la revendique.
« J’ai choisi le lieu et le moment pour le dire, explique-t-il, si cela les démange tant d’enquêter sur les biens supposés des chefs d’État en France, pourquoi ne viser que les Subsahariens ? Et les émirs du Golfe ? Et les autres ? Oui, c’est une forme de racisme. La même qui fait qu’un Charles Taylor a été arrêté, incarcéré, jugé et menotté en public alors qu’un Pinochet n’a jamais fait un jour de prison en Angleterre ou au Chili et a même eu droit à des obsèques nationales ! » Les yeux fixés dans ceux de son interlocuteur, Sassou poursuit, tendu : « On est allé photographier l’immeuble de l’avenue Rapp où je possède un appartement de deux chambres, pour faire croire que tout le bâtiment m’appartenait. Avec des robinets en or dans la salle de bains, qui plus est. C’est honteux. » Quand on lui fait remarquer qu’en France Dominique de Villepin vient de subir deux perquisitions et Jacques Chirac vit son début de retraite sous la menace des juges, le chef de l’État congolais ne se démonte pas : « Ça, ce sont les lois françaises, qui s’appliquent à des citoyens français. Chez moi, au Congo, un président de la République ne peut être traduit en justice que par la Haute Cour congolaise. Il n’est pas à la merci de juges étrangers, encore moins d’ONG qui n’ont aucune légitimité. »
A-t-il évoqué cette affaire avec Nicolas Sarkozy, lors de leur entretien du 5 juillet ? « Non, pas spécialement. Mais je ne suis pas du tout sûr que le président Sarkozy soit d’accord avec cette manière de faire. » La politique africaine de la France a-t-elle changé depuis le départ de Chirac ? « En ce qui concerne les relations franco-congolaises, je ne perçois aucun changement de fond », assure DSN, qui précise : « En réalité, les autorités françaises ont toujours su, sans qu’il ait jamais été besoin de le leur rappeler, que leur pays avait au Congo des intérêts non négligeables. »
Une parenthèse. Le temps pour Denis Sassou Nguesso de donner quelques ordres brefs : dans trente minutes, il ira rendre visite à son vieux compère Justin Lekoundzou, alité à domicile, en banlieue parisienne. Lekoundzou, alias Maradona, s’était beaucoup éloigné de lui ces derniers temps, allant jusqu’à menacer de basculer dans l’opposition et de s’exiler loin du Congo. Ce geste de Sassou est donc tout à fait symbolique et il le prépare avec soin. Puis la conversation reprend autour d’un autre sujet qui fâche : les élections législatives congolaises, dont le premier tour s’est déroulé le 24 juin dans des conditions plutôt calamiteuses. Bug informatique, dysfonctionnements multiples, listes aléatoires. Résultat : deux sessions de rattrapage les 8 et 15 juillet, et un second tour repoussé d’une semaine, au 29 juillet. « Ce premier tour a été en partie raté, j’en conviens, reconnaît le président, il y a eu de graves défaillances, surtout à Brazzaville et à Pointe-Noire, mais, en province, cela a été globalement correct. » En province, notamment dans le Pool, région jusqu’ici rebelle à toute consultation, où l’ex-icône de l’opposition Bernard Kolélas et son fils Parfait ont été élus alors que le pasteur Ntumi, guide mystique des derniers Ninjas, et l’ex-Premier ministre André Milongo ont été battus dans leurs fiefs respectifs.
Ratages localisés donc, mais spectaculaires et qui donnent de la démocratie congolaise une assez piètre image. « Et tout cela pour rien ! soupire DSN, alors que tout devait être propre, transparent, sous le regard des observateurs étrangers. C’est d’autant plus agaçant que lorsque j’ai reçu, deux jours avant le scrutin, le ministre de l’Administration territoriale et son directeur des Affaires électorales, ainsi que le président de la Commission électorale, tous trois venus nous remettre, à mon épouse et à moi, nos cartes d’électeur, je leur ai clairement posé la question : Êtes-vous certains que tout est prêt ? Ils m’ont répondu oui, avec assurance. » D’ores et déjà, rappelle-t-il, des sanctions ont été prises contre deux hauts fonctionnaires du ministère de l’Administration territoriale, coupables de négligences.
Des lampistes ? « Pour le reste, j’attends les résultats de l’enquête que j’ai commandée, répond Sassou, à l’échelon des responsabilités techniques, les sanctions nécessaires sont tombées. En ce qui concerne les responsabilités politiques, des décisions seront sûrement prises en temps voulu. » Nous n’en saurons pas plus. Tout juste le chef de l’État congolais tient-il à assurer, en guise de conclusion, que le second tour, lui, sera fiable. Déjà, il a l’esprit ailleurs. Dans deux jours, il sera à São Tomé pour la fête nationale et très bientôt à Windhoek, pour une visite officielle en Namibie. Surtout, il a un vieux complice de trente ans, malade, à visiter
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