Le dessous des cartes

Dans la course à la succession du chef de l’État, les ténors de l’opposition se livrent une âpre bataille de positionnement. Sans perdre de vue le Premier ministre, Lansana Kouyaté, dont on ignore tout des intentions.

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

C’est ce qu’on pourrait appeler un véritable tour de passe-passe. Le 10 juillet à la primature, alors que tout le monde s’attendait à une empoignade entre le Premier ministre, Lansana Kouyaté, et les dirigeants syndicaux, qui six jours auparavant lui avaient fait parvenir une virulente lettre ouverte, les protagonistes se sont quittés par des congratulations mutuelles. L’attitude des hôtes du « Petit Palais » (le bâtiment abritant les services de la présidence où le chef du gouvernement a installé son bureau et son cabinet) a tranché avec le ton emporté de la missive qui reprochait à Kouyaté de n’avoir encore rien exécuté de sa feuille de route.
C’est à peine si certains des adjoints de Rabiatou Sérah Diallo, secrétaire générale la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG, l’une des principales centrales syndicales du pays) ne se sont pas désolidarisés des propos « excessifs » de la lettre. L’un d’entre eux s’est même laissé aller à cette réflexion : « Nous n’avions pas besoin de porter le débat sur la place publique alors que nous avons la possibilité de dire directement à Kouyaté ce que nous pensons. » À l’issue de la rencontre, membres du gouvernement et leaders syndicaux ont d’ailleurs annoncé qu’ils se retrouveront bientôt autour d’un dîner pour « poursuivre leurs échanges sur les problèmes du pays ».
Après avoir conduit les révoltes populaires de janvier et février derniers, et réussi à imposer au chef de l’État, Lansana Conté, un « Premier ministre de consensus », le mouvement syndical guinéen est de plus en plus divisé. En atteste l’absence sur la lettre ouverte du 4 juillet de la signature d’Ibrahima Fofana, secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG). Pourquoi ce document, premier acte de défiance des centrales syndicales à l’égard du « gouvernement de consensus », a-t-il été paraphé par un second couteau de l’USTG ? La question intrigue et suscite conjectures et controverses. À défaut de désavouer la lettre, Fofana s’est plaint que celle-ci ait été rédigée à son insu. Mais où était-il exactement ? Dans une ville de l’intérieur du pays ou en France, à l’invitation du syndicat Force ouvrière, comme il se murmure à Conakry ?

Une seule certitude : l’heure est à la méfiance au sein des forces syndicales qui avaient fait mal au régime de Conté dont l’interminable fin de règne n’en finit pas de brouiller les cartes. Les alliances qui se tissent en vue de sa succession deviennent, de jour en jour, plus complexes. Sans crier gare, les Peuls, 35 % de la population, seule des trois grandes ethnies du pays à n’avoir jamais vu un des siens à la tête de l’État, s’organisent. L’implication décisive des jeunes issus de ce groupe au cours des manifestations populaires de janvier et février 2007 n’y est pas pour rien. Prenant subitement conscience de leur force, hommes d’affaires, hauts fonctionnaires, syndicalistes et cadres de la diaspora travaillent depuis plusieurs semaines en coulisse pour mettre en place une formation politique peule incontournable.
Un homme tente de récupérer le mouvement. Plusieurs fois ministre de 1996 à 2004, Premier ministre de décembre 2004 à avril 2006, Cellou Dalein Diallo a décidé de sortir du bois. Après mûre réflexion, cet homme prudent, qui a beaucoup hésité à quitter la famille politique de son ex-mentor, Lansana Conté, va bientôt se lancer sous de nouvelles couleurs. Trois hypothèses sont à l’étude : soit il réussit à prendre la haute main sur l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR), en mal de leader charismatique depuis la disparition de son chef, Siradiou Diallo, le 14 mars 2004 ; soit il crée sa propre formation ; soit il récupère un petit parti en sommeil pour lui redonner vie, comme l’ex-Premier ministre Sidya Touré le fit avec l’Union des forces républicaines (UFR) en 2000.
Aujourd’hui, l’une des forces politiques les plus en vue dans le pays, l’UFR est depuis le 26 mai à la tête de l’Alliance nationale pour l’alternance démocratique (Anad), un regroupement de treize formations, dont huit viennent du Parti de l’unité et du progrès (PUP), au pouvoir. Pour stopper l’hémorragie, l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla, imposé par Lansana Conté – qui l’avait sorti, le 16 décembre 2006, de la prison de Conakry où l’avait pourtant conduit une décision de justice – au poste de président d’honneur du PUP, a sorti le grand jeu. Il a obtenu le 3 juillet le retour au bercail des huit égarés, avant que Sidya Touré ne revienne à la charge pour récupérer cinq d’entre eux. Entré avec fracas sur le terrain politique, à force de meetings et de visites de proximité, Sylla tâche de redonner du souffle à un parti présidentiel en perte de vitesse, miné par des querelles de personnes et la sclérose des structures à la base. Censé se cantonner à un rôle symbolique, Sylla est en train de s’emparer de l’appareil, avec l’aide de Conté en personne.

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Le chef de l’État a confié à l’homme d’affaires la responsabilité de chercher – et de gérer – tous les moyens nécessaires au bon fonctionnement du parti. Pour renforcer son emprise sur le PUP, Sylla prépare un congrès qui va en renouveler toutes les instances, et qui lui offrira probablement l’occasion d’écarter tous les proches de ceux qui sont devenus par la force des choses ses adversaires : le président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, l’ex-homme fort du régime, Fodé Bangoura Dans la perspective des prochaines législatives, la guerre fait rage. Prévues pour 2008 (sans plus de précisions), ces échéances seront d’autant plus âprement disputées qu’elles promettent d’être, depuis l’ouverture démocratique du début des années 1990, les premières consultations réellement transparentes.

Recomposition politique, combinaisons d’appareils, retournements d’alliances, peaux de banane Les mois à venir promettent bien des surprises dans une Guinée qui, d’ordinaire, ne connaît qu’une actualité politique monotone. Trop tôt envoyé à la retraite, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Mamadou Bâ, n’a pas dit son dernier mot. Le 7 juillet, il a fait alliance avec Saliou Bella Diallo, démissionnaire du bureau politique de l’UPR et fondateur de Hafia, un parti en cours de constitution. Bâ serait également en discussion pour amener à ses côtés l’Union des forces démocratiques (UFD) et l’Union pour le développement et la solidarité (UDS), deux formations membres de la Coalition des forces vives pour le changement (CFVC).
Regroupement de onze partis, né en avril 2007, la CFVC est emmenée par le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) du principal opposant, Alpha Condé. La Coalition permet à ce dernier d’élargir son influence ailleurs qu’en Haute-Guinée et d’éviter l’isolement progressif qui le guette. D’autant qu’il doit faire face aux réserves que manifeste à son égard Jean-Marie Doré, chef de file de l’Union du peuple de Guinée (UPG), et à la complicité entre Sidya Touré et Mamadou Bâ.
Pas de cadeaux entre ténors de l’opposition, même si tous reconnaissent n’avoir qu’un seul et même adversaire, obstacle à leurs ambitions respectives. Il se prénomme Lansana, occupe l’ancien bureau du chef de l’État au « Petit Palais » et a la haute main sur le gouvernement ainsi que l’administration territoriale dont il a fait nommer tous les membres

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