Jusqu’où ira la rébellion ?
Les attaques répétées des insurgés touaregs fragilisent de plus en plus le pays. Et inquiètent l’armée, qui soupçonne l’existence de ramifications extérieures.
Il ne se passe plus un jour sans que le Niger ne s’enfonce davantage dans la crise. La situation sécuritaire dans le Nord, région uranifère où se concentre également l’essentiel des promesses pétrolières du pays, ne cesse de se dégrader. Depuis février, des rebelles touaregs terrorisent les ressortissants étrangers qui travaillent dans le secteur minier et s’attaquent régulièrement aux unités des Forces armées nigériennes (FAN). Qualifiée de « ramassis de bandits, de coupeurs de route et de trafiquants de drogue » par les autorités de Niamey, le chef de l’État Mamadou Tandja en tête, la rébellion s’est dotée, le 18 avril, d’une structure politique : le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) dirigé par Agaly Alambo.
Comme Mano Dayak, figure emblématique de la communauté touarègue durant les années 1980, disparu en 1995, Alambo est né avec du sable dans les yeux. C’était en 1964, à Iférouane, dans le Kawar (Nord-Est). « J’ai vécu une enfance heureuse, se souvient-il. Ce n’était pas l’opulence, mais je ne peux pas dire que nous vivions dans la misère. » La scolarité était rythmée par la transhumance et les cures salées de septembre, mois durant lequel les éleveurs mènent leurs troupeaux vers des pâturages riches en sel.
Mais l’année 1975 marque le début de la sécheresse dans le Sahel qui frappe de plein fouet les populations, dont un grand nombre de Touaregs. La famille Alambo n’a plus les moyens d’assurer la scolarité du jeune Agaly. À 18 ans, ce dernier quitte le Niger pour s’installer à Tamanrasset, en Algérie, où il travaillera comme apprenti chez un mécanicien. En 1984, il revient sur ses terres. Au moment où la revendication identitaire touarègue, jusqu’alors embryonnaire, se transforme en rébellion armée, Alambo se range derrière le Front de libération de l’Aïr et de l’Azawagh (FLAA, de Rhissa Ag Boula) sans jamais tirer le moindre coup de feu. « Je suis un politique, ce n’est pas moins honorable que d’être un combattant », revendique-t-il à l’époque.
En 1995, les rebelles touaregs et le gouvernement nigérien signent un accord de paix parrainé par l’Algérie, le Burkina Faso et la France. Alambo quitte le maquis et « hérite », en 1996, d’un poste de sous-préfet à Arlit, ville minière du Nord-Est, véritable poumon économique du Niger. Mais il n’est pas homme à se contenter d’un fauteuil qui, aussi confortable soit-il, le cantonne aux tâches administratives. Il démissionne en 1998 et crée, à Agadez, l’agence de voyages Touareg Tour. Au fil des ans, les démons de la politique finissent par le rattraper. Le désormais prospère opérateur touristique n’hésite pas à alerter les autorités centrales sur la dégradation des conditions de vie des autochtones. « Les gouvernements successifs n’ont jamais respecté les engagements pris au moment des accords de paix, constate-t-il. Pour leurs recrutements, les sociétés minières ont systématiquement écarté les populations touarègues. Nos ex-combattants réintégrés dans l’armée régulière n’ont pas eu d’évolution de carrière. L’exploitation de l’uranium a pollué la terre, rendant les cultures maraîchères impossibles. »
Alors que son frère, Boubacar, prône le recours à la force, Agaly, lui, croit à une solution politique. En mai 2006, dans le nord du Mali voisin, des rebelles touaregs organisent une attaque contre deux camps militaires, à Kidal et à Ménaka, à la frontière du Niger. Et créent, dans la foulée, l’Alliance démocratique pour le changement (ADC) qui engage des pourparlers avec Bamako. Le 4 juillet de cette année-là, un accord de paix est signé. Au Niger, Boubacar Alambo exulte et persuade son frère de prendre les armes. En février 2007, la rébellion nigérienne signe son premier coup de force : l’attaque d’un casernement des FAN qui fait trois morts dans les rangs de l’armée régulière.
Deux mois plus tard naît le MNJ. La direction politique échoit à Agaly Alambo et le commandement militaire à Mohamed Acharif, un capitaine des FAN qui a fait défection pour rejoindre la rébellion. Quant à Boubacar, il trouve la mort le 22 juin au cours de l’attaque par le MNJ d’une garnison de Tazzarzet. À l’issue de l’opération, le Mouvement annonce avoir tué 15 soldats loyalistes et en avoir capturé 72 autres finalement remis au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Quelques jours plus tard, le 4 juillet, les rebelles enlèvent dans la région d’Ingall, à 1 000 km de Niamey, un ressortissant chinois travaillant dans une société de prospection d’uranium. « Je suis contre les prises d’otages, mais la Chine est trop impliquée avec le régime prédateur en place à Niamey, explique Alambo. Et cet otage doit servir d’avertissement à tous ceux qui, avec la complicité du gouvernement, continuent de piller nos ressources, de polluer nos terres et notre eau en nous déniant les droits les plus élémentaires. Nous allons confier notre invité chinois au CICR. Mais gare à ceux qui ne tiennent pas compte de nos revendications légitimes. »
Le MNJ réclame, en effet, une meilleure distribution des revenus issus de l’exploitation de l’uranium. Depuis 2006, 15 % des bénéfices des sociétés minières sont alloués aux collectivités territoriales concernées, mais les rebelles exigent plus, beaucoup plus. Ils demandent à ce que la moitié des profits servent au financement de projets de développement de leur région. Mais Niamey continue de faire la sourde oreille. Le président Tandja, malgré l’appel au dialogue de l’ensemble de la classe politique, nie l’existence d’un mouvement touareg dans le nord du pays et refuse de négocier avec les « bandits » du MNJ. Lesquels inquiètent pourtant de plus en plus les FAN.
Pour la première fois, le 10 juillet, l’armée nigérienne, par la voix de son porte-parole, a évoqué à la télévision la possibilité d’un « soutien extérieur » apporté au mouvement d’Alambo. L’intéressé, qui dément bénéficier d’un quelconque appui venant de l’étranger, ne se félicite pas moins des « très bons contacts » qu’il entretient avec ses frères touaregs du Mali. Notamment avec Ibrahim Ag Bahanga, signataire, le 4 mai 2006, de l’accord de paix avec le pouvoir malien, et en dissidence depuis le 17 mai 2007. Date à laquelle il a attaqué une unité militaire à Tin Zawaten avec l’appui d’éléments nigériens.
Alambo le reconnaît. « Ce n’était pas préparé à l’avance, confirme-t-il à J.A. Mes éléments étaient en mission spéciale auprès d’Ibrahim. Quand il a décidé de passer à l’action, ils se sont naturellement mis sous ses ordres. » Une nouvelle inquiétante que d’aucuns perçoivent comme le signe d’une alliance entre les rebelles des deux pays. D’autres, plus pessimistes, craignent même l’émergence d’un mouvement touareg transnational qui pourrait enflammer le Sahel. Mais on n’en est pas encore là.
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