Défense : l’Élysée devra trancher

Comment se doter d’un second porte-avions sans augmenter le budget des armées ? En opérant des coupes claires dans certains programmes. Reste à savoir lesquels.

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

La politique française de défense est à la croisée des chemins. Première inconnue, les intentions réelles du nouveau président de la République. À l’instar de tous les autres candidats, Nicolas Sarkozy s’est peu exprimé sur le sujet au cours de la campagne. Après s’être prononcé, dans un premier temps, en faveur du maintien du budget des armées à son niveau précédent, il a affirmé que la France devait se doter d’un second porte-avions. Sans doute a-t-il compris qu’il était stupide de dépenser des sommes colossales pour acheter des avions de combat susceptibles d’intervenir loin de leurs bases et de ne pouvoir les utiliser que la moitié du temps en raison des longues périodes d’immobilisation que nécessite l’entretien des navires.
Un budget de la Défense stable et un second porte-?avions : voilà deux objectifs clairs. Comment les atteindre ? Le président ne l’a pas encore dit. Peut-être pour tester son nouveau ministre et voir ce qu’il propose, avant d’arbitrer. La seconde inconnue est précisément le personnage mis à la tête des armées.
Hervé Morin, le nouveau ministre de la Défense, est surtout connu comme président du groupe UDF au cours de la dernière législature. Et semble un peu « tombé du ciel ». Et pourtant, depuis qu’il a passé plusieurs années au cabinet de François Léotard, alors ministre de la Défense, il a toujours maintenu son intérêt pour la « chose » militaire et préservé ses compétences. Il va en avoir besoin ! Car ce qui l’attend n’est pas simple. En effet, à côté des incertitudes, il y a au moins une certitude : tout ce qui a été prévu, voire engagé par Michèle Alliot-Marie et ses prédécesseurs, ne « passe » absolument pas, à budget constant. Pour réaliser le fameux « modèle d’armées 2015 », les meilleurs experts financiers, comme Louis Gautier, estiment qu’il faudrait reporter l’échéance à 2020 et trouver 70 milliards d’euros supplémentaires ! Cela sans parler du second porte-avions, qui, lui, n’est pas encore officiellement programmé, ni, a fortiori, des besoins à satisfaire pour faire face aux menaces nouvelles et aux évolutions des technologies.
Des coupes claires dans des programmes déjà lancés sont donc inévitables. Les armées n’ont déjà pas les moyens de « fonctionner » correctement : les matériels sont parfois hors d’usage faute de crédits suffisants pour commander les pièces de rechange nécessaires. Ce n’est donc pas en « serrant la vis » que l’on pourra trouver les crédits nécessaires à la satisfaction de toutes les commandes en cours. Il faudra trancher dans le vif !

Ces choix essentiels seront-ils obligatoirement dramatiques pour le niveau de défense de la France ? Peut-être pas. Car il existe, fort heureusement, des gisements d’économies si l’on veut bien considérer certaines dépenses non pas en fonction des souhaits des industriels publics ou privés, mais en fonction des intérêts de la France. A-t-on, par exemple, vraiment besoin de trois escadrons de vingt Rafale nucléaires pour l’armée de l’air ? C’est-à-dire de soixante avions en sus des Rafale nucléaires de la marine. Quel est le scénario qui permettrait de justifier autant de frappes nucléaires aériennes simultanées ? Faut-il rappeler qu’un seul des missiles ASMP qui équiperont les futurs Rafale possède une charge nucléaire vingt fois plus puissante que la bombe d’Hiroshima ? Que la France – contrairement à la Grande-Bretagne – souhaite conserver une composante nucléaire aéroportée est tout à fait compréhensible. Pour dissuader une puissance nucléaire émergente d’attaquer un voisin, les missiles stratégiques des sous-marins nucléaires sont en effet peu adaptés. Mais il faut savoir raison garder. Soixante fois vingt Hiroshima, cela fait vraiment beaucoup !

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Autre économie possible, voire autre gaspillage à dénoncer : la destruction de missiles stratégiques presque neufs et la transformation ruineuse de trois sous-marins lance-missiles parfaitement opérationnels et indétectables, y compris par les Américains. Ils sont équipés de missiles M. 45 à têtes multiples, elles-mêmes remarquablement discrètes, ou furtives comme on dit aujourd’hui. Ces missiles ont été mis en service à partir de 1998. Les derniers n’ont donc été installés que tout récemment. Autant dire qu’ils sont presque neufs. Un quatrième submersible de même génération est en construction. Ses aménagements intérieurs sont très différents de ceux des trois premiers, puisqu’il sera équipé d’un nouveau missile, le M. 51, de plus longue portée et de plus gros diamètre. Rien que de très normal si les plans actuels ne prévoyaient de « casser », à grands frais, les trois premiers sous-marins pour leur permettre d’accueillir aussi les M. 51. L’intérêt stratégique est très discutable, car il n’est pas obligatoirement mauvais de disposer de missiles différents pour faire face à des menaces distinctes. Le M. 45 a des têtes de moins grande portée que celles du M. 51, mais elles sont plus furtives, et donc plus à même de transpercer des défenses antimissile de qualité. En tout cas, la productivité d’une transformation aussi coûteuse est désespérément faible. Certains industriels de l’armement peuvent y trouver quelques avantages, mais sûrement pas le contribuable. Les armées françaises peuvent employer beaucoup mieux les crédits correspondants. En particulier, tous les calculs montrent que si l’on ne se ruine pas à transformer les trois sous-marins, on peut facilement économiser de quoi commander le second porte-avions avec ou sans les Britanniques.
Dans un tout autre domaine, est-il possible d’imaginer des économies importantes en matière d’implantations outre-mer et d’opérations extérieures ? Des économies : sans doute. Des économies importantes : non. En dehors du territoire métropolitain, les dépenses les plus lourdes concernent les 16 500 militaires des forces de souveraineté déployés dans les DOM-TOM. Compte tenu du rôle économique de ces forces et de leur contribution au maintien de l’ordre public, il est difficile d’imaginer une réduction significative de leur volume. Il en va un peu de même pour les forces dites de présence, prépositionnées en Afrique (un peu plus de 5 000 militaires au total). Ces forces sont très utiles pour permettre à la France de faire face aux engagements de coopération et de défense qu’elle a pris auprès de nombreux États africains. Il n’y a qu’à Djibouti, où sont stationnés près de 2 900 militaires, que des économies pourraient être significatives.
Reste les opérations extérieures : les fameuses Opex. Encore ne faut-il pas exagérer leur poids dans le budget de la Défense : à peu près 600 millions au cours des dernières années. Aujourd’hui, des réductions d’effectifs sont en cours, surtout en Côte d’Ivoire. Elles vont se poursuivre sauf drame nouveau, mais elles ne concerneront que quelques milliers d’hommes sur les 12 500 déployés l’an dernier dans treize pays.
En réalité, ce n’est pas en réduisant simplement les dépenses extérieures qu’Hervé Morin pourra éviter de faire des coupes sévères dans les programmes d’armement. Que proposera-t-il au président Sarkozy ? Nul ne le sait aujourd’hui. Mais une chose est sûre : l’heure des choix fondamentaux approche.

*Ancien général de brigade de l’armée de l’air française.

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