Arachide : la stratégie Suneor

Privatisée en 2005, l’ancienne Sonacos cherche à promouvoir l’huile d’arachide sénégalaise.

Publié le 16 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Comment vendre une huile délaissée depuis plus d’une vingtaine d’années ? C’est la délicate équation à laquelle Suneor, l’ancienne Sonacos, est confrontée depuis que ce géant sénégalais en piteux état a été repris, en mars 2005, par la société française Advens, spécialisée dans le négoce agricole. En l’espace de vingt ans, la flamboyante Sonacos, étendard de l’industrie sénégalaise, a presque périclité au point d’afficher au tournant du millénaire une perte cumulée frôlant les 100 millions d’euros. Entre-temps, la France, débouché traditionnel de l’huile sénégalaise, lui avait tourné le dos : alors que l’huile d’arachide représentait 80 % de la consommation dans l’Hexagone en 1980, le chiffre est tombé à 5 % en 2005. Le tournesol a damé le pion à la cacahuète. Les risques allergiques, les menaces supposées sur la santé auront fait le reste. Faute d’une campagne marketing adaptée, dépassée par l’offensive des huiles de tournesol, de soja ou d’olive, l’huile venue du pays de la Téranga a été marginalisée sur son marché de prédilection ainsi qu’au niveau mondial.
Antoine de Gasquet, président de la maison de courtage Baillon-Intercor, spécialisée dans les huiles végétales, confirme : « Dans le monde, 130 millions de tonnes d’huiles sont produites. L’huile d’arachide représente environ 5 millions de tonnes. » Le Sénégal, en raison de sécheresses successives, mais aussi d’une désorganisation de la filière, a particulièrement souffert. « La production n’est pas très constante, souligne Gasquet, à la différence de l’Argentine, qui produit en plus d’autres huiles végétales. » Résultat : les ventes du Sénégal sur le marché international font le Yo-Yo, affectant lourdement l’image du pays. De près de 100 000 tonnes en 1990, elles sont passées à 60 000 tonnes en 1993 avant de remonter à plus de 110 000 tonnes en 2001 et de s’effondrer à 20 000 tonnes environ en 2004

C’est cette tendance lourde que Suneor veut contrer. Un véritable challenge, qui passe par plusieurs actions, inscrites dans un plan de dix-huit mois. « Nous exportons 98 % de notre production, explique Sébastien Loctin, qui s’occupe du marketing chez Suneor. Il nous fallait donc ouvrir de nouveaux marchés. Nous avons trouvé aux États-Unis et en Chine des acteurs locaux qui raffinent et commercialisent notre huile brute. » En 2006, la Chine a représenté 15 % des ventes et les États-Unis 40 % (le reste est écoulé en Italie et en France). Sur le marché européen, Suneor entend désormais s’employer à redorer l’image du produit. « Cela consiste à identifier les bienfaits de l’huile sénégalaise, précise Loctin. Nous avons pour cela créé un comité scientifique. » Composé de cinq personnes, ce comité a choisi comme porte-parole Hervé Robert, médecin nutritionniste et enseignant. Habitué des comités scientifiques mis en place par des entreprises, il a publié de nombreux ouvrages, dont un sur le chocolat. Objectif : donner une image « santé » à l’huile d’arachide. Parallèlement, une action en direction du grand public avec un plan de communication a été lancée, et des chefs proposant des recettes de cuisine ont été sollicités. Suneor a aussi crée un tout nouveau site Internet, sous forme de blog. Baptisé Le Goût du Sénégal (http://legoutdusenegal.com), il a été ouvert en mai 2007. Advens attaque sur deux fronts : mettre en valeur « l’origine Sénégal » et miser sur la « prescription » lorsqu’un produit est recommandé par les utilisateurs et non par le producteur lui-même. Les équipes marketing du groupe prennent notamment en exemple la firme américaine Intel, qui est parvenue à convaincre les fabricants d’ordinateurs PC de préconiser leurs microprocesseurs à leur clientèle.
Vient ensuite le développement de nouveaux produits. En ligne de mire principalement, l’arachide de bouche. Mais la fameuse cacahuète d’apéritif doit faire face à une réglementation européenne, datant des années 1990, qui fixe des normes sanitaires sur l’aflatoxine qui se trouve dans l’arachide. De surcroît, l’arachide de bouche non transformée n’a pas les mêmes implications industrielles et dégage moins de valeur ajoutée. Enfin, ce marché restera quantitativement toujours moins important que celui des huiles. « Notre deuxième priorité est le tourteau. Ensuite, nous réfléchissons à d’autres débouchés comme la farine de lait à base d’arachide », assure la direction de Suneor. Cette déclinaison de produits est sans doute commercialement pertinente mais en terme de stratégie, Advens ne peut compter que sur ses propres forces. Aucun lobby international, aucun État puissant n’a l’intention d’imposer l’arachide comme un produit phare. Et ce, contrairement à l’implication de l’Union européenne lorsqu’il a fallu promouvoir l’huile au tournesol « si légère, légère ». Les producteurs de tournesol sont européens, les débouchés internationaux. Pour l’arachide, les principaux producteurs – États-Unis, Chine ou Inde – vendent exclusivement sur leur marché intérieur. Le Sénégal, avec ses 11 millions d’habitants, est obligé de franchir ses frontières. Il représente 23 % des exportations mondiales. « C’est très dur de fédérer tout le monde. Ensuite, il est vrai que le développement de notre filière est plus stratégique pour le Sénégal que pour l’Argentine, qui produit essentiellement de l’arachide de bouche. L’huile n’est qu’une variable d’ajustement. Au final, nous sommes un peu seuls », concède Loctin. Les 150 000 euros investis en actions marketing au second semestre 2006, les 300 000 euros qui doivent l’être en 2007, ne sont-ils pas négligeables à l’échelle du marché mondial ? Quant au conflit avec Lesieur, il aura eu de douloureuses conséquences.

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À l’issue du processus de privatisation de l’ancienne Sonacos, la société Lesieur – soumissionnaire débouté avec son partenaire Guerté Sénégal – avait suspendu tous ses achats d’huile alors que les cuves de stockage installées à Dakar étaient pleines. La filiale de Sofiproteol était allée s’approvisionner en Argentine. Conséquence : sur la campagne 2004/2005, la Sonacos avait acquis plus de 250 000 t d’arachide, seules 150 000 t ont été triturées, faute de débouchés. « Les problèmes sont surtout nés de malentendus, tient à préciser Loctin, qui travaillait lui-même chez Lesieur avant de rejoindre son nouvel employeur. Aujourd’hui, les relations sont amicales : non seulement, ils sont redevenus clients mais ils sont très sensibles aux problématiques sociales liées à notre approche du monde paysan. Ils ne sont pas notre premier client ; mais j’espère qu’ils le redeviendront rapidement. » Il n’empêche, pour limiter les pertes subies, Advens a développé l’importation d’huile végétale, à base de soja, embouteillée sur place. Cette activité a permis d’afficher en 2006 un résultat positif malgré les difficultés de la filière arachide (lire ci-dessous). L’horizon s’éclaircirait-il ? Le salut pourrait venir des biocarburants. « Les paysans vont devenir des pétroliers », proclamait en février dernier, durant la campagne électorale, le président Abdoulaye Wade. « Cette nouvelle demande, avec les biodiesels et l’éthanol, constitue un gisement très important, souligne Antoine de Gasquet. Les céréales, le sucre et les huiles actuellement disponibles ne suffisent pas à répondre aux besoins. L’arachide, par substitution, devrait pouvoir en profiter. » Une bonne nouvelle pour les quatre millions de Sénégalais qui vivent de cette culture à la fois vivrière et d’exportation.

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