Vol au-dessus d’un nid de képis

À l’approche du second tour de la présidentielle, le 27 juin, la violence politique se déchaîne. À l’instigation d’une poignée de généraux et de faucons accrochés à leurs privilèges. Et avec l’aval d’un Robert Mugabe dont la date de péremption est largem

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

A peine Morgan Tsvangirai, le chef de l’opposition zimbabwéenne, avait-il été libéré au terme de sa troisième garde à vue en huit jours que Tendai Biti, le numéro deux du Movement for Democratic Change (MDC), a été à son tour incarcéré, le 12 juin. Accusé de trahison et de propagation de fausses nouvelles, il risque la peine de mort.
Cette ambiance tendue tranche avec le calme qui prévalait au Zimbabwe avant le premier tour de l’élection présidentielle, le 29 mars. À l’époque, l’opposition était libre de tenir meeting et ses militants d’y assister. Mais l’échec du président Robert Mugabe, qui n’a officiellement recueilli que 43,2 % des suffrages, joint à celui de la Zanu-PF, son parti, aux élections législatives, ont changé la donne : les faucons du régime ont repris la main.

Trente opposants tués
Une journaliste du Herald, le quotidien contrôlé par l’État, raconte qu’« avant chaque meeting, les responsables de la Zanu-PF et de l’armée acheminent sur place, parfois sous la menace, les populations des environs. Mugabe n’est au courant de rien et continue de se croire très populaire ». L’organisation Human Rights Watch a recensé plus de trente morts dans les rangs de l’opposition et plusieurs centaines de maisons incendiées.
Un « haut diplomate occidental » cité par le quotidien britannique The Independent confirme les déclarations de Tsvangirai selon lesquelles le pays serait désormais gouverné par une « junte militaire ». Même son de cloche chez le politologue John Makumbe, de l’université de Harare : « Certains membres de la Zanu-PF et du ministère de la Défense se sont discrètement emparés du pouvoir à l’issue d’une sorte de coup d’État. Tandis que Mugabe s’agite sous les projecteurs, ils gouvernent dans l’ombre. »
De son côté, la BBC affirme être en possession d’un document confidentiel accablant pour le Joint Operations Command (JOC), que dirige le général Constantine Chiwenga, commandant en chef des forces armées, et auquel appartiennent le général Paradzai Zimondi, directeur des services pénitentiaires, Augustine Chihuri, chef de la police, et plusieurs membres des services secrets, tous fidèles du chef de l’État depuis la guerre d’indépendance. C’est cette cellule de crise qui gérerait désormais sa campagne électorale. Bien avant le premier tour de la présidentielle, la hiérarchie militaire avait fait savoir qu’elle ne reconnaîtrait pas d’autre chef que Mugabe. Comme le dit Chiwenga, « il est normal que l’armée défende son président contre les agents de l’Occident ».
Les membres du JOC n’ont nulle confiance en Tsvangirai, qu’ils soupçonnent, une fois élu, de vouloir les traduire devant une juridiction internationale pour divers crimes de guerre commis au lendemain de la guerre de libération. Plusieurs hauts responsables, parmi lesquels le général Perence Shiri, commandant en chef de l’armée de l’air, et l’ancien patron des services secrets, Emmerson Mnangagwa, aujourd’hui ministre de l’Aménagement rural et prétendant à la succession de Mugabe, sont impliqués dans les massacres du Matabeleland, dans le sud du pays, entre 1982 et 1987 (20 000 morts dans la population ndebele). Le Royaume-Uni s’est montré conciliant tant que le Zimbabwe était membre du Commonwealth, mais aujourd’huiÂÂ

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Manne financière
Les « sécurocrates » du JOC disposent d’un soutien limité à la base, mais tiennent le parti présidentiel d’une main de fer et brandissent le spectre des sanctions en cas de victoire de l’opposition. Lors de la redistribution des terres à laquelle la réforme agraire a donné lieu, en 2000, les leaders politiques et religieux – de même que la famille présidentielle – se sont octroyé les fermes les plus productives de l’ancien grenier à blé de l’Afrique australe. Une formidable manne financière, aujourd’hui menacée par le MDC. Tsvangirai a en effet promis de procéder à un audit et de confisquer leurs fermes aux propriétaires qui en possèdent plusieurs.
Pour calmer les velléités contestatrices au sein de l’armée et de la police, les salaires des militaires sont passés, quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle, de 300 millions à 1,3 milliard de dollars zimbabwéens (environ 25 euros). Comme le reste de la population, ces derniers souffrent cruellement de l’inflation (160 000 %) et n’ont souvent pas de quoi se nourrir. Mais, même affamés, ils n’ont d’autre choix que d’obéir aux ordres tant que leurs officiers font bloc autour de Chiwenga.
Lors du lancement de la candidature de l’ancien ministre des Finances, Simba Makoni, on avait cru l’armée divisée. Des rumeurs avaient fait des généraux Solomon Mujuru, ancien commandant en chef des armées, et Vitalis Zvinavashe, son prédécesseur, des soutiens potentiels du candidat dissident. Elles ont été démenties par les faits.
Dernière journaliste occidentale à l’avoir rencontré, Heidi Holland explique que Mugabe « n’est ni fou ni sénile, mais que la rancÂÂur et la haine qu’il nourrit à l’égard du Royaume-Uni l’aveuglent ». À 84 ans, même s’il ne tient plus vraiment les rênes du pays, Comrade Bob est résolu à se battre. Jusqu’au dernier Zimbabwéen.

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