Sihem Habchi

Après s’être longtemps cherchée, cette Franco-Algérienne préside aujourd’hui le mouvement Ni putes ni soumises, qui défend les femmes de banlieue.

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Sihem Habchi n’est pas une star des plateaux de télévision. Bien moins, en tout cas, que Fadela Amara, à qui elle a succédé à la tête du mouvement Ni putes ni soumises (NPNS) après la nomination de cette dernière, en juin 2007, au secrétariat d’État à la Politique de la ville. NPNS a été créé en 2003 pour défendre la condition des femmes dans les quartiers réputés « difficiles ». En somme, Sihem est la nouvelle Pasionaria des « meufs » de banlieue.
Toujours à l’affût d’un bon mot, les médias français ont redécouvert cette jeune femme de 33 ans à la fin du mois de mai, à la faveur de sa prise de position contre l’annulation par le tribunal de grande instance de Lille d’un mariage entre deux musulmans, au motif que la mariée avait menti sur sa virginité (voir J.A. n° 2474). « Fatwa contre la liberté des femmes ! » s’est insurgée Sihem. Réaction à chaud d’une jeune femme indignée ? Nouvelle stratégie de communication d’une présidente désormais plus sûre d’elle-même ?
Jusqu’à présent, Sihem ne s’était jamais signalée par ce langage provocateur, qui est un peu la marque de fabrique de sa devancière. « C’est vrai, mais cela ne l’empêche pas de faire du bon boulot », rétorquent la plupart des militants de l’association. Est-ce à dire que sa réélection à la présidence, à l’automne, lors de l’assemblée générale du mouvement, ne sera qu’une formalité ? Certains en sont convaincus : « Après le départ de Fadela Amara, nous avions besoin d’une femme de terrain pour consolider NPNS. Elle a su prouver que la force du mouvement ne reposait pas uniquement sur la personnalité de sa fondatrice », explique la présidente d’un comité local.

Quand Sihem s’empare des rênes de NPNS, la partie est pourtant loin d’être gagnée d’avance. Très vite, elle est confrontée à la fronde de militants qui l’accusent de compromission avec la droite. À leurs yeux, la direction du mouvement ménage à l’excès le nouveau président de la République, à qui ils n’ont pas pardonné sa stratégie du « Kärcher » contre les « racailles » des cités. Mais Sihem refuse de « diaboliser » Nicolas Sarkozy. « En nommant au gouvernement des femmes issues de l’immigration, il s’est mis en danger et nous a fait gagner cinquante ans », explique-t-elle. Chez les plus radicaux, la pilule passe mal.
Pourtant, Sihem se défend d’avoir succombé, comme tant d’autres, à la Sarkomania. « De gauche par tradition familiale », elle a surtout le sentiment d’appartenir à une génération « dégoûtée des belles paroles des hommes politiques ». Elle se veut « indépendante avant tout ».
« Les accusations dont j’ai fait l’objet n’étaient qu’une tentative du Parti socialiste pour mettre la main sur NPNS », estime-t-elle, fustigeant au passage « la gauche du relativisme culturel responsable de la désastreuse politique des grands frères dans les quartiers », ainsi que, bien sûr, le « fascisme vert pour qui nous ne sommes que la gauche tajine ». Comme il y a une?« gauche caviar ».
Cette profession de foi paraît déroutante à certains. Mais elle est représentative d’une jeunesse qui rejette le repli communautaire autant que le paternalisme de bien des dirigeants. Elle reflète aussi l’engagement précoce de cette célibataire à l’allure garçonne, aujourd’hui installée à Ménilmontant et adepte du bharata natyam, une danse classique de l’Inde du Sud traditionnellement réservée aux femmes. Pour elle, son parcours n’est que « le prolongement logique de [sa] propre émancipation ».
Née en 1975 à Aaleg al-Jmel, petit bourg algérien de la région de Constantine, Sihem arrive en France en 1978, lorsque sa mère décide de rejoindre son père à la faveur de la politique du « regroupement familial » mise en place, deux ans auparavant, par Valéry Giscard d’Estaing.
La famille atterrit d’abord à Gentilly, dans la proche banlieue de Paris, puis déménage porte de Vanves, à deux pas du périphérique, où elle obtient un logement social de 50 m2. Ouvrier du bâtiment, de confession musulmane mais « farouchement laïc », son père se montre aussi exigeant quant à la scolarité de ses six enfants qu’intransigeant sur la morale. Bref, il ne laisse aucune liberté à ses cinq filles.
Aînée de la famille, Sihem prend très tôt conscience de « l’injustice » de la condition féminine en observant le traitement beaucoup plus permissif réservé à son petit frère. Alors, dès qu’elle en a la possibilité, elle prend son envol. Au lendemain de sa majorité, Sihem devient jeune fille au pair et s’installe dans une chambre de bonne à Saint-Germain-des-Prés, contre l’avis de ses parents. Pourtant, elle s’est toujours efforcée de conserver de bons rapports avec eux. « On ne peut pas les changer, confie-t-elle, mais ils peuvent évoluer. Progressivement, mon père a compris que quand une fille va au cinéma, ce n’est pas forcément pour se dévergonder ! »
Militante qui s’ignore encore, la jeune femme garde un Âil sur ses petites sÂurs. « Il fallait que je reste en contact avec elles pour qu’elles ne restent pas enfermées toute la journée ! » raconte-t-elle. Sihem héberge aussi des amies victimes de mariages forcés, de violences, ou en rupture avec leur famille. Un soir de mars 2003, elle tombe par hasard sur Fadela Amara à la télévision. C’est la révélation. Après s’être longtemps cherchée à l’université – passant de la médecine aux lettres et de la linguistique au multimédia -, Sihem a enfin trouvé sa voie.

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Peu après, elle participe à la fondation de NPNS. Sihem Habchi est l’une des quatorze « Marianne d’aujourd’hui », ces jeunes femmes « black, blanc, beur » dont le portrait, coiffé d’un bonnet phrygien, est exposé du 12 juillet au 31 août 2003 au fronton de l’Assemblée nationale pour clore la fameuse Marche des femmes des quartiers contre les ghettos et pour l’égalité. Laquelle débouche sur la création de l’association.
Grâce à sa motivation et à sa polyvalence, elle en est élue, dans la foulée, vice-présidente. La jeune femme participe alors aux débats sur la loi interdisant le port de signes religieux à l’école et pilote le Guide du respect – un fascicule vendu à plus de 100 000 exemplaires destiné à renouveler les rapports entre les sexes. Elle s’occupe enfin du développement international du mouvement. En janvier 2007, NPNS obtient un statut consultatif auprès de l’ONU.
« Nous travaillons de plus en plus à l’internationalisation de l’association », explique Sihem Habchi. Avec toujours une même ambition : faire naître un « féminisme populaire, laïc et mondial ». Loin des plateaux de télévision.

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