RDC : Vital Kamerhe condamné à 20 ans de prison
Vital Kamerhe a été condamné à 20 ans de prison et 10 ans d’inéligibilité pour « détournement de fonds » et « corruption ». Un verdict qui marque la fin d’une procédure hors norme et acte la mise à l’écart d’un rouage clé du pouvoir.
Affaire Vital Kamerhe en RDC : un directeur de cabinet face à la justice
Le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi est soupçonné de détournement de fonds publics dans le cadre de la gestion du Programme des cent jours. Tous nos articles sur une affaire qui embarrasse le pouvoir congolais.
Après un mois d’une procédure historique, retransmise en direct à la RTNC entre le 11 mai et le 11 juin, le « procès des 100 jours » a livré son verdict. Accusé du détournement de plus de 50 millions de dollars destinés dans le cadre de la gestion du programme d’urgence des 100 jours, de blanchiment de capitaux et de corruption, Vital Kamerhe a été condamné à 20 ans de travaux forcés par le tribunal de grande instance de Kinshasa la Gombe. La peine de travaux forcés n’étant pas appliquée en RDC, elle équivaut à une peine de 20 ans de prison ferme.
Les juges l’ont aussi condamné à 10 ans d’inéligibilité, qui démarreront après exécution de la peine.
Ses co-accusés, l’homme d’affaires libanais Jammal Samih, patron d’Husmal et de Samibo, deux sociétés impliquées dans la construction de logements sociaux pour le programme des 100 jours, et Jeannot Muhima Ndoole, chargé du service import-export à la présidence de la République – qui était absent lors du prononcé du verdict – ont également été reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés. Jammal Samih a, comme Vital Kamerhe, écopé de 20 ans de prison et Jeannot Muhima Ndoole à 2 ans.
La justice a également ordonné la confiscation des fonds placés sur les comptes d’Hamida Shatur, Daniel Massaro et Soraya Mpiana ainsi que des propriétés immobilières acquises avec les fonds détournés.
Vers un appel de la défense
Après avoir rappelé le contexte qui a mené au procès, les juges ont d’abord rejeté les différentes exceptions de forme soulevées par la défense, avant de détailler leur jugement.
Concernant l’infraction de détournement, le tribunal a notamment reconnu dans son jugement que Jammal Samih « n’avait pas été en mesure de justifier la destination prise par la somme de 48,8 millions de dollars », montant issu des 57 millions de dollars décaissés par le trésor public en faveur de Samibo pour la construction de 1 500 logements sociaux prévus dans le programme des 100 jours.
Sur ce dossier, les juges ont estimé que l’homme d’affaires libanais n’aurait pas pu arriver à ses fins « s’il n’avait pas reçu une aide indispensable » de Vital Kamerhe, identifié par le tribunal comme « l’unique superviseur » de ce programme d’urgence.
À l’issue de son exposé, la justice a donc estimé que « la participation de Vital Kamerhe, en tant que co-auteur, à la commission de l’infraction du détournement de deniers publics ne fait l’ombre d’un moindre doute ». Vital Kamerhe, Jammal Samih et Jeannot Muhima Ndoole ont désormais la possibilité de faire appel.
« C’est une violation grave des droits de l’homme »
« Il s’agit d’une violation grave des droits de l’homme, de la procédure, et l’application malveillante des textes sélectionnés à dessein », a réagi Me Jean-Marie Kabengela Ilunga, l’un des avocats de Vital Kamerhe.
« Le jugement met dans le lien de condamnation l’épouse, les enfants des personnes qui ne sont pas parties au procès. Daniel Massaro attend son jugement, mais le juge est allé au-delà de sa saisine, pour pouvoir atteindre les personnes non concernées par le procès. C’est une violation grave des droits de l’homme », a-t-il ajouté, annonçant l’intention de la défense de faire appel.
Me Pierre-Olivier Sur, ancien bâtonnier de Paris qui défend aussi Vital Kamerhe, a annoncé qu’il exercera « toutes les voies de recours possibles : en République démocratique du Congo, devant les cours régionales africaines et devant les Nations Unies ». Pour rappel, Me Sur a saisi le 9 juin le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire.
« Nous sommes consternés et choqués, parce qu’on s’attendait à ce que les juges puissent tenir compte des éléments pertinents soulevés par les avocats. Nous constatons que le tribunal est même allé au-delà de la réquisition du ministère public », déplore auprès de Jeune Afrique Aimé Boji, secrétaire général de l’Union pour la nation congolaise (UNC), parti présidé par Kamerhe.
Dysfonctionnements
Au cours d’une série d’audiences marquées par la mort suspecte, dans la nuit du 26 au 27 mai, du juge Raphaël Yanyi, chargé de mener les premiers débats, les magistrats avaient tenté d’établir les responsabilités politiques dans l’élaboration du programme des 100 jours et dans la chaîne de décaissement des fonds qui lui étaient alloués.
Les auditions de nombreux membres de la commission des 100 jours ont permis de lever le voile sur les dysfonctionnements qui ont émaillé la mise en place de ce programme, dans sa conception comme dans son exécution. La majorité des participants ont ainsi souligné la responsabilité du directeur de cabinet de Félix Tshisekedi dans le choix des contrats et le processus de décaissement des fonds qui leur était destiné. Certains d’entre eux ont même assuré ne pas avoir été informés qu’il faisait parti de la commission de supervision.
Tout au long du procès, l’accusé, lui, n’a eu de cesse de clamer son innocence, rejetant la faute sur d’anciens ministres et affirmant à plusieurs reprises qu’il avait agi avec l’aval du chef de l’État.
« Ces auditions ont permis de confirmer qu’il y a eu de multiples violations de la loi. C’est un projet qui a été monté en dehors de la loi de finances de l’année en cours, qui a violé le cadre de la loi de la passation de marché, et qui n’a pas respecté la chaîne normale de décaissement des fonds », résume Florimond Muteba, président du conseil d’administration de l’ODEP (Observatoire de la dépense publique).
Précipitation
Le procès a notamment démontré le contexte particulier dans lequel a été lancé le programme en question, entre une population impatiente de voir des changements dans la gouvernance et un pouvoir tout juste élu, déterminé à marquer une rupture avec son prédécesseur, au risque de pécher par précipitation.
En effet, lorsque le contenu du « programme d’urgence des 100 jours » est annoncé le 2 mars 2019 par le président Tshisekedi, la RDC n’a ni Parlement ni gouvernement. Les équipes en place sont celles de Bruno Tshibala, dernier Premier ministre de Joseph Kabila, et elles se contentent d’expédier les affaires courantes.
La méfiance de Félix Tshisekedi et de son directeur de cabinet est grande, et justifie alors de passer par d’autres canaux pour mettre en place et financer son programme, comme le Fonds national d’entretien routier (Foner) et le Fonds de promotion de l’Industrie (FPI).
Une commission de suivi, composée notamment de conseillers de la présidence, sera mise sur pied mais n’entrera officiellement en fonction qu’en juin. Qu’il s’agisse du choix des projets concernés ou de celui des exécutants retenus, le contexte semble déjà propice à l’opacité.
Celle-ci sera très vite dénoncée par plusieurs organisations de la société civile, dont l’Odep, qui assurera dans l’un de ses rapports que 84,61 % des marchés compris dans le cadre du « programme des 100 jours » ont été passés sans appel d’offres. En dépit de nombreuses alertes, il faudra attendre début février 2020 pour qu’un audit soit lancé et une enquête ouverte. La mécanique judiciaire est alors enclenchée.
Rivalité
Mais le procès a aussi mis en lumière des querelles internes dans les arcanes mêmes de la présidence entre les proches du chef de l’État et ceux de Vital Kamerhe.
Elle trouve son origine au lendemain des élections. La majorité parlementaire étant allée au camp Kabila, Kamerhe s’est rabattu sur le poste – en apparence bien plus modeste et sans ancrage constitutionnel – de directeur de cabinet.
Mais il a rapidement su en faire l’un des postes les plus stratégiques de ce début de mandat, éclipsant plusieurs conseillers et proches du président, et suscitant parfois des réticences. « Kamerhe est un allié, pas un ami, glissait ainsi un très proche du chef de l’État six mois après le début de son mandat. Nous avançons une main devant, une main derrière. »
Pourquoi une telle méfiance ? Peut-être parce qu’en trente ans de vie politique, Vital Kamerhe a toujours assumé une certaine liberté de mouvement au gré de ses ambitions.
Passé par une douzaine de cabinets ministériels sous Mobutu, avant de connaître une réelle ascension sous Kabila père puis fils, Kamerhe fut un rouage-clé du pouvoir du prédécesseur de Tshisekedi, avant de rompre avec lui en 2009. C’est le début alors d’une longue traversée du désert au côté d’une opposition qui le soupçonne de ne pas avoir rompu avec ses anciens amis de la majorité. Habitué des coups de poker, Kamerhe gagne son ticket pour un retour au cœur du pouvoir en s’associant à Tshisekedi en novembre 2018. La suite est connue.
A-t-il voulu brûler les étapes ? En 2009, un câble diplomatique de l’ambassadeur des États-Unis à Kinshasa attribuait à Kamerhe « une ambition aveugle de devenir un jour président [qui] altère son jugement. »
Dans les jours qui suivent son arrestation, le 8 avril dernier, une folle rumeur fait son chemin. Les semaines précédentes, Vital Kamerhe aurait sollicité le soutien des présidences angolaise, tanzanienne et brazzavilloise dans l’optique de la présidentielle de 2023.
Une information qui sera réfutée par nos sources au sein de deux de ces présidences. Kamerhe et ses proches n’ont, en tout cas, pas cessé de dénoncer une procédure « politique ». Reste à savoir désormais si pour cet homme passé maître dans l’art du rebond, cette condamnation signe son départ de l’arène politique congolaise.
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