Obama l’africain

Par son père, le candidat à l’élection présidentielle est un authentique membre de l’ethnie luo de l’ouest du Kenya. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il est avant tout américain.

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 7 minutes.

Barack Obama Jr. a 26 ans lorsqu’il pose pour la première fois le pied en Afrique, en 1987. À l’aéroport de Nairobi, il est accueilli par Auma, l’aînée de ses demi-soeurs, fruit d’un premier mariage de son père. Une de leurs tantes, Zeituni, est là également. Elle prononce en swahili une phrase qui intrigue le jeune Américain. Littéralement : « Assure-toi qu’il ne se perde pas à nouveau. » Une formule usuelle chez les Luos qu’on pourrait traduire plus justement par : « Il y a longtemps qu’on ne t’a vu. » Le système patrilinéaire en vigueur dans cette ethnie du Kenya ne laisse pas place au doute : le futur candidat à la présidence des États-Unis est bel et bien un Luo, même s’il n’en parle pas la langue.

Kolego : dans la maison au cube
Dans son célèbre discours à la convention démocrate de Boston, lors de la désignation de John Kerry, en juillet 2004, Obama évoquait son père, « qui a grandi en élevant des chèvres dans un petit village du Kenya ». Dans Les Rêves de mon père, son premier livre (écrit en 1995), il désigne le village familial de Kolego sous le terme de home squared, la maison au carré. Comme le lui expliquera Auma, cette expression est courante chez les Kényans occupant des postes importants dans la capitale. Ils considèrent leur logement urbain comme un simple toit. Leur véritable maison, même s’ils n’y mettent que rarement les pieds, se trouve à la campagne, là où leurs parents et leurs grands-parents sont nés. Commentaire de Roy, demi-frère de Barack, faisant allusion aux États-Unis : « Dans ton cas, on pourrait presque parler de maison au cube ! »
Comme beaucoup de villages de l’ouest du Kenya, Kolego n’a accès ni à l’électricité ni à l’eau potable. Mais on y trouve une « école secondaire Sénateur-Obama ». Après de longues démarches administratives, les villageois ont été autorisés à s’approprier ce patronyme illustre, symbole d’une success story africaine. Sans doute espèrent-ils aussi obtenir quelques subsides venus de la lointaine AmériqueÂ
En août 2006, lorsque Obama se rend pour la troisième fois au Kenya, des foules arborant des tee-shirts imprimés « sénateur Obama, bienvenue à la maison » et brandissant des pancartes l’attendent dans toutes les localités qu’il visite. « Vous êtes mes frères et mes sÂurs », déclare-t-il. Une équipe de télévision commanditée par Oprah Winfrey, la superstar black des médias, filme l’événement. Obama rencontre notamment le président Mwai Kibaki et Raila Odinga, alors chef de l’opposition.
Ce dernier se souvient : « Il m’a dit bonjour en luo – ÂMusawa ! – sans le moindre accent. Il s’exprimait dans un anglais très simple et les gens disaient : ÂMais il parle comme un Kényan, il parle le nègre ! »
Obama visite une entreprise de microcrédit à Kibera, le bidonville le plus peuplé de Nairobi (600 000 habitants), et le village de Wajir, dans le nord-est du pays, confronté à la sécheresse et à un début de famine. Il se rend ensuite dans la région du lac Victoria, à Kisumu, où, avec Michelle, son épouse, il fait un test du sida. L’ethnie luo et les communautés établies autour du lac sont très durement frappées par la pandémie. « Si quelqu’un vient des États-Unis pour se faire tester, alors vous n’avez plus aucune excuse », déclare-t-il.
À Nairobi, Obama s’adresse enfin à un public d’étudiants, le 28 août. Il y évoque ce modèle de démocratie que représente, à ses yeux, le Kenya, mais aussi la corruption endémique qui entrave son développement. « Le problème n’est pas seulement kényan ou africain, explique-t-il, il est humain. » Cinquante-six pour cent des Kényans vivent en dessous du seuil de pauvreté.

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L’autre Rice
La corruption, la démocratie, le sida ce sont ces thèmes qui reviennent le plus souvent dans les propos d’Obama à propos de l’Afrique. Sur le continent, les milieux politiques s’en agacent, parfois. Le 4 avril, son appel au respect du verdict des urnes au Zimbabwe a notamment été diversement appréciéÂ
À Washington, l’indifférence des lobbies et des grands médias étant ce qu’elle est, le candidat démocrate a souvent bien du mal à faire avancer ses « dossiers africains ». Mais la présence à ses côtés de Susan Rice (44 ans) renforce sa crédibilité. Dans l’administration Clinton, cette Africaine-Américaine – surnommée « l’autre Rice », par allusion, bien sûr, à Condoleezza – était sous-secrétaire d’État chargée de l’Afrique. À ce titre, elle a rendu visite à la majorité des quarante-huit pays subsahariens. Ancienne élève de Princeton, autre point commun avec « Condi », elle n’a jamais cessé de suivre de près les dossiers africains. Ses autres centres d’intérêt sont les organisations internationales et le maintien de la paix. Elle s’y consacre au sein de la Brookings Institution, un groupe d’experts internationaux basé dans la capitale fédérale, dont elle s’est mise en disponibilité pour participer à la campagne d’Obama.
Pendant les primaires, Susan Rice y est allée de bon cÂur pour tourner en dérision le fameux spot TV d’Hillary Clinton (« Il est 3 heures du matin, le téléphone sonne ») censé démontrer l’incapacité de son adversaire à faire face aux grandes crises internationales. « Je pense, a-t-elle affirmé, que ni le sénateur Clinton ni le sénateur Obama ne sont prêts à décrocher le téléphone rouge. » Néanmoins, si celui-ci venait à sonner, le second, hostile depuis le début à la guerre en Irak contrairement à sa rivale, serait sans nul doute le plus qualifié pour décrocher. Mais Rice est-elle vraiment la patronne de la politique africaine d’Obama ?

Le retour de « Zbig »
Il y a beaucoup de monde sur le pont. Et, d’abord, Zbigniew Brzezinski (80 ans), l’ancien conseiller à la Sécurité nationale de Jimmy Carter. L’Afrique tient une place de premier plan sur son échiquier géostratégique personnel. La priorité de « Zbig » ? Chasser les Chinois du continent, ou, du moins, les empêcher de prendre le contrôle de ses ressources pétrolières. Autant dire que, si son avis prévaut auprès d’Obama, la Realpolitik a toute chance d’être à l’ordre du jour !
Deux autres « gros calibres » ont intégré l’équipe Obama : Tony Lake (69 ans), ancien médiateur dans la guerre Érythrée-Éthiopie (1998-2000), et Richard Clarke (57 ans), coordinateur national pour la Sécurité sous Bill Clinton et George W. Bush. Le second est donné favori pour la direction de la CIA si Obama l’emporte le 4 novembre. Lake est, pour sa part, l’auteur d’un mémo stratégique – validé par Bill Clinton – préconisant à la fois la non-intervention dans la guerre civile au Rwanda, en 1994, et l’octroi d’un soutien minimum aux forces d’interposition de l’ONU sur le terrain. Une approche du génocide que ne partagent certainement ni Susan Rice, ni Samantha Power (mise au placard pendant les primaires pour avoir traité Hillary de « monstre »), ni l’humanitaire John Prendergast, auteur d’ouvrages engagés sur le Darfour. Mais Obama n’est pas homme à se laisser lier les mains par les engagements de ses nombreux conseillers.
Au Capitole, le sénateur de l’Illinois vient de parrainer et de faire voter, dans l’indifférence quasi totale des médias, le Global Poverty Act, qui engage les États-Unis à participer aux Objectifs du millénaire pour le développement adoptés par l’ONU en 2001. Mais c’est évidemment sur la question du Darfour qu’il s’est surtout signalé (en 2006, il s’est rendu dans des camps de réfugiés à l’est du Tchad).

« A » pour le Darfour
En matière d’activisme antigénocide, le lobby darfurscores.org décerne à Obama la note A (mention très bien), quand John McCain, son adversaire républicain, n’est gratifié que d’un C (passable). Seule Hillary Clinton fait mieux avec un A+ (excellent). Mais McCain et Obama ont quand même signé conjointement une pétition de Save Darfur. C’est la première fois depuis 1944 – il s’agissait alors de mettre un terme à la Seconde Guerre mondiale – que les deux candidats à l’élection présidentielle signent une déclaration commune en matière de politique étrangère.
Enfin, Obama a annoncé le 8 mars son intention de lancer, aussitôt après son élection, un plan de 50 milliards de dollars sur cinq ans en faveur de la lutte contre le sida dans les régions subsahariennes. Mais le monde ne se refait pas en un jour Malgré tout l’intérêt que lui porte le candidat démocrate, l’Afrique n’est pas près de devenir une priorité stratégique pour les États-Unis.
« Quoi qu’il arrive, Obama est et restera un Américain, comme Hillary, Bill ou George Bush, explique en privé Raila Odinga, le nouveau Premier ministre kényan. Quand je lui ai parlé de nos produits agricoles, il m’a répondu qu’il comprenait, qu’il sympathisait, mais qu’il devait d’abord tenir compte du niveau de vie de ses propres agriculteurs – qui sont aussi ses électeurs dans l’Illinois. Ceux qui pensent qu’Obama va aider massivement l’Afrique se trompent. Mais peut-être lui accordera-t-il davantage d’importance que ses rivaux. Car lui, au moins, il la connaît ! »

* Auteur de Barack Obama, candidat noir, Maison Blanche, à paraître en septembre chez Fayard.

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