[Tribune] Il faut agir vite pour sauver le tourisme tunisien

En dépit de la pandémie de coronavirus, le secteur touristique, vital pour l’économie tunisienne, doit pouvoir reprendre ses activités. Avec, cette fois, un réel soutien de l’État.

Une plage sans touristes à Hammamet, en mars 2020, pendant la pandémie de coronavirus.. © Zoubeir Souissi/REUTERS/

Une plage sans touristes à Hammamet, en mars 2020, pendant la pandémie de coronavirus.. © Zoubeir Souissi/REUTERS/

benhalima

Publié le 23 juin 2020 Lecture : 6 minutes.

Le tourisme est prépondérant dans l’économie tunisienne depuis les années 1960. Selon une étude de KPMG de juin 2019, il représente 14% du PIB et 300 000 emplois directs et indirects, soit 11% de la population active. Malheureusement, ce secteur traverse sa quatrième crise en neuf ans : à la révolution de 2011 et aux attaques terroristes de 2015 ont succédé la faillite de Thomas Cook en septembre 2019 et maintenant le Covid-19. Une année blanche se confirme donc.

Ce cataclysme arrive à la fin de la basse saison, période où la trésorerie des entreprises touristiques est traditionnellement au plus bas, encore plus dégradée cette année par l’ardoise laissée par Thomas Cook et l’annulation des avances sur la saison, habituellement versées en mars par les tours opérateurs. À l’heure actuelle, la majorité des hôtels et des agences de voyages sont encore fermés, et cette situation perdure depuis la mi-mars.

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Les mesures de soutien, une chimère

Malgré l’arrêt total de l’activité, les entreprises touristiques ont réussi plus ou moins correctement à verser les salaires de mars et d’avril. Mais la situation se complique depuis le mois de mai, et ces établissements, même fermés, doivent encore assumer diverses charges (énergie, gardiennage, maintenance…) en plus de la responsabilité sociale face aux dizaines de milliers de familles dont les emplois se retrouvent compromis.

Les frais de réouverture ne sont pas non plus des moindres, particulièrement en raison de l’obligation de respecter les nouvelles normes de sécurité sanitaire, assez lourdes à mettre en place et nécessitant un investissement qui n’est pas à la portée de tous.

Les mesures de soutien ? Aucune exonération sociale ni fiscale, juste un décalage de paiement des échéances et une facilitation d’accès aux crédits bancaires. Le soutien financier de l’État, sachant que ses caisses sont désespérément vides, est une chimère, dont les principaux intéressés ont fait le deuil.

Les Tunisiens pensent que l’État a aidé les entreprises touristiques en 2015. Il n’en est rien !

Après les attentats de 2015, le gouvernement de l’époque avait annoncé douze mesures pour « sauver » le tourisme. S’en est suivi un lynchage mené par l’opinion publique, résolument opposée à tout soutien au secteur. Des douze mesures annoncées, une seule a finalement été mise en œuvre. Les onze autres sont passées à la trappe suite à des conditions d’éligibilité inapplicables imposées par l’administration publique.

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Aujourd’hui encore, l’écrasante majorité des Tunisiens est convaincue que l’État a aidé en 2015 les entreprises touristiques, alors qu’il n’en est rien !

Trop de contraintes pour les voyageurs

L’annonce de l’ouverture des frontières le 27 juin a redonné espoir aux acteurs du secteur… Espoir vite enterré à la lecture des décisions prises par le gouvernement le 12 juin quant aux modalités de voyage et de séjour des touristes. On leur demande de présenter un test PCR négatif de moins de 72h et de s’engager à ne pas quitter l’hôtel pendant toute la durée de leur séjour, sous peine de se voir refuser l’accès au pays ! Ces conditions sont évidemment inacceptables pour les voyageurs, qui se sont donc tournés vers des destinations concurrentes, à l’accès moins contraignant.

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La Tunisie a bien maîtrisé la crise sanitaire et affiche un bilan exceptionnel : à peine 50 décès. Un tweet du 9 juin de l’Organisation mondiale du tourisme confirme la Tunisie comme « destination touristique sûre ». Le bon sens eût commandé de capitaliser sur cette réussite pour attirer les touristes et donner au pays la bouffée d’oxygène dont il a tant besoin : la reprise d’activité d’un secteur-clé de son économie, les devises – monnaie convertible – qui lui sont indispensables pour faire face aux échéances de sa dette extérieure, et le maintien de dizaines de milliers d’emplois.

Au lieu de cela, le pays a préféré ériger des barrières à son entrée, afin de sauvegarder jalousement son nombre réduit de cas de Covid-19. Il a préféré sacrifier des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs et tourner le dos à des régions entières qui ne vivent que du tourisme, comme Djerba par exemple.

Miser sur les gestes barrières

Et pourtant, la prévention contre ce virus a prouvé son efficacité, avec ces fameux gestes barrières si simples à appliquer : distanciation, port du masque, lavage fréquent des mains. Est-ce si compliqué de s’y conformer ? Un protocole sanitaire strict a même été mis en place dans les établissements afin de garantir un séjour en toute sécurité.

Mais le gouvernement a préféré céder à une opinion publique paniquée par l’arrivée des touristes plutôt que de s’inquiéter des répercussions économiques et surtout sociales d’une saison touristique blanche. L’élite bien-pensante l’a emporté, préférant continuer à s’embrasser, à se serrer la main et à vivre en toute insouciance plutôt que d’appliquer les gestes barrières qui protégeraient le pays !

Sécurité sanitaire et arrivée des touristes ne sont pas antinomiques

Car oui, sécurité sanitaire et arrivée des touristes ne sont pas antinomiques, du moment que la distanciation physique et le port du masque sont strictement appliqués.

Pourquoi n’est-on pas capables d’imposer ces gestes barrières partout ? La Tunisie risque encore d’attendre plusieurs mois l’arrivée d’un éventuel vaccin dans le pays. Envisage-t-on de garder les frontières fermées indéfiniment ? Même si une révision de ces décisions se profile, il sera trop tard, les voyageurs ont déjà réservé ailleurs et l’année touristique est définitivement perdue. Comment alors envisager l’avenir de ce secteur économique vital ?

Le nombre de touristes pourrait bien atteindre les 9 millions cette année © Paul Schemm/AP/SIPA

Le nombre de touristes pourrait bien atteindre les 9 millions cette année © Paul Schemm/AP/SIPA

Accusés de tous les maux

Les acteurs du tourisme sont accusés de tous les maux alors qu’ils sont pieds et poings liés. On leur reproche de faire perdurer un modèle révolu, le « package all inclusive », mais on leur refuse l’Open Sky. Comment échapper à l’hégémonie des tour opérateurs, qui détiennent les vols charters, si on ne libère pas le ciel ? La clé de la diversification du produit touristique est l’accessibilité aérienne.

On leur reproche le surendettement, mais on leur demande aujourd’hui de s’endetter encore pour payer les salaires, d’endetter encore plus leurs entreprises pour remplacer le rôle social de l’État. Et pourtant, la fédération de l’hôtellerie (FTH), a présenté un plan de restructuration financière co-élaboré avec l’association des banques : le livre blanc. Ce plan est resté lettre morte en raison de l’opposition farouche des pouvoirs publics à toute incitation fiscale, pourtant indispensable si l’on veut résorber la dette hôtelière.

On leur reproche une qualité de service non conforme aux standards internationaux, mais on laisse sommeiller depuis deux ans un projet de refonte des normes de classification hôtelière conjointement élaboré par l’administration du tourisme et les hôteliers.

On leur reproche de ne pas encourager le tourisme local, mais on leur refuse les incitations fiscales et sociales nécessaires à la mise en place du « chèque vacances » qui pourrait être largement utilisé par les comités d’entreprises.

La Tunisie est indéniablement l’un des pays touristiques les plus porteurs du bassin méditerranéen. Le pays dispose de tous les atouts recherchés par le touriste du XXIe siècle : proximité, richesse du patrimoine, diversité des régions, dépaysement culturel, infrastructures touristiques, beauté des paysages, etc. Le tout est de le faire savoir au reste du monde et de se mettre sérieusement au travail.

Non pas pour commander une énième étude stratégique, mais pour mettre en œuvre les principales recommandations des dernières Assises nationales du tourisme, qui ont réalisé la prouesse de remporter l’adhésion unanime du secteur privé, de la société civile et de l’administration publique. Il ne reste donc qu’à les appliquer !

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