Élégie pour la mère morte

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 2 minutes.

Aujourd’hui, je n’ai pas envie de vous parler de grands principes, mais de sentiments. Pas envie de disserter sur l’état d’âme du citoyen anonyme, mais du mien. Vous conviendrez que c’est délicat et que je risque de déroger à la loi du genre. Voilà que cette journaliste habituée à vous entretenir des soubresauts du monde, à vous faire sourire de ses faits divers et tiquer de ses fatwas, voilà qu’elle se met à vous confier ce qui pèse sur son coeur. Et à vous entretenir de l’essentiel à ses yeux : une maman, c’est le repère irremplaçable d’une vie. Surtout si cette vie s’est passée loin d’elle, en pays d’exil.
Et qu’est l’exil, si ce n’est le temps soustrait à la proximité d’une mère ? On essaiera de vous persuader du contraire, prétendant que l’exil est une question d’espace, alors que c’est si aisé de recréer les espaces et de reconstituer les décors ! L’exil est une question de temps, d’absence au temps des vôtres, plus précisément, ce temps qui finit un jour par emporter celle que vous croyiez éternelle, votre mère.
Songez à ces années où elle fut si loin et si proche à la fois. À sa voix qui vous remet en confiance chaque fois que vous prenez le téléphone pour avoir de ses nouvelles. Et pour l’entendre demander : « Est-ce que tu manges bien ? » Comme si on souffrait de famine en Europe ! « Tu n’es pas malade, au moins, fais attention au mauvais Âil, ma fille ! » Et vous vous mettez, même si vous n’y croyez guère, à embaumer les quatre coins de votre appartement de l’encens qu’elle vous a fait parvenir dans un petit sachet par voyageur interposé. Avant de sortir lui acheter le coupon de tissu chatoyant qu’elle aime, jusqu’au jour, terrible jour, où vous contournez la même boutique, parce que maman n’est plus de ce monde et que personne ne portera plus la melia comme elle la portait.
Quand cette mère n’est plus, c’est le cordon ombilical avec le monde qui est coupé. Plus d’amarre. Voguez, vous êtes tragiquement libre et seul ! N’importe quelle catastrophe pourra survenir après celle de l’annonce de son décès. Vous êtes prêt, le tragique devient familier, nulle douleur ne sera aussi grande. Surtout ce matin-là, lorsque vous foncez vers l’aéroport et que, pour la première fois, vous rentrez au pays sans un seul bagage !
Dans l’avion, vous comptez les années où vous êtes resté loin de ses yeux, les mois de vacances où vous avez essayé de vous rattraper, et ces minutes qui précèdent le débarquement dans votre pays que vous avez du mal à nommer natal maintenant qu’elle n’est plus ! Oui, c’est une patrie en moins, une langue en moins, une gestuelle perdue à jamais. L’exil, c’est ça ! C’est prendre l’avion pour aller enterrer une maman. C’est une prière que vous lui dédierez d’une autre rive, debout devant l’horizon, à défaut de l’être devant sa tombe. Voilà. Ma mère est morte. Je voulais vous le dire. Et ça me fait du bien.
Ne dit-on pas que l’essentiel d’une lettre est son post-scriptum ? Dans ce cas, je n’aurai pas dérogé à la loi du ­genre.

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