[Tribune] Entrepreneurs africains, reprenez les joyaux de la couronne !

La pandémie de Covid-19 doit entraîner, entre autres conséquences, de nombreuses opérations de cessions et d’acquisitions dans les prochains mois. L’occasion pour les investisseurs africains de se manifester pour voir émerger des champions régionaux.

L’entreprise Dolidol est leader dans le royaume chérifien. (photo d’illustration) © Dolidol

L’entreprise Dolidol est leader dans le royaume chérifien. (photo d’illustration) © Dolidol

Jean-Michel Ette
  • Jean-Michel Ette

    Jean-Michel Ette est directeur des fusions-acquisitions à KeysFinance Partners.

Publié le 23 juin 2020 Lecture : 3 minutes.

Au-delà de son impact sanitaire, la crise actuelle devrait nourrir, ou accélérer, des réflexions plus profondes sur les modèles de développement et l’organisation actionnariale de nombreuses entreprises dans la région. Certains entrepreneurs, affaiblis, se verront contraints de rechercher des partenaires financiers ou industriels susceptibles de les soutenir financièrement.

D’autres, personnellement heurtés par une période qui sonne pour tout un chacun comme un rappel de sa propre vulnérabilité, pourraient être tentés de sécuriser une partie de leur patrimoine personnel en dehors de leurs actifs opérationnels. Enfin, certains acteurs internationaux pourraient amorcer un désinvestissement de la région.

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Ainsi, en dépit d’un contexte où les valorisations pourraient être revues à la baisse et la réalisation de transactions rendus plus complexe, il faudra vraisemblablement s’attendre à une nouvelle dynamique d’acquisitions et de cessions dans la région dans les prochains six à dix-huit mois. La question étant : à qui iront les joyaux de la couronne ?

Une opportunité pour des champions régionaux

Le ralentissement, voire l’arrêt, des appareils productifs en Europe et Asie a conduit à une baisse des importations en provenance de ces régions, laissant une place plus importante à court terme pour la production locale. De la même manière, la crise économique risque de limiter l’appétit, ou la capacité, des acteurs internationaux à investir en Afrique à court ou moyen terme. Ce qui, dans une région où les transactions de fusions-acquisitions restent largement dominées par des acheteurs internationaux, pourrait créer un appel d’air pour les acteurs régionaux, par nature investisseurs de long terme sur le continent.

Ces derniers ont déjà su, bien avant cette crise, grâce à leur agilité et leur capacité d’innovation, brillamment concurrencer les multinationales étrangères dans de nombreux secteurs d’activités (distribution, agroalimentaire, cosmétique…). Capitaliser sur les opportunités de croissance externe qui naîtront du contexte actuel pourrait accélérer leur développement, les transformant en véritables champions régionaux.

les opérateurs industriels africains se contentent de positions nationales fortes, reflet d’une certaine difficulté à s’inscrire dans le schéma d’une intégration régionale

Toutefois, dans un environnement traditionnellement dominé par un capitalisme familial qui cultive parfois malheureusement une certaine résistance au changement, la culture de la croissance externe reste très peu répandue en raison de ce qu’elle nécessite de capacité planification stratégique, de gouvernance, de ressources humaines et financières. Autant de dispositions qui font parfois défaut à des entreprises forgées autour de l’ADN d’un management familial centré sur une première génération, bâtisseuse, ayant pour tradition de construire plutôt que d’acheter.

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À quelques exceptions près, les opérateurs industriels africains se contentent de positions nationales fortes, reflet d’une certaine difficulté à s’inscrire dans le schéma d’une intégration régionale encore balbutiante. Ce constat est d’autant plus vrai en Afrique de l’Ouest francophone malgré un mouvement enclenché au cours des dernières années, avec par exemple les sénégalais Kirène et Simpa ayant investi massivement en Côte d’Ivoire, mais cette tendance reste fragile.

Pourtant, dans une région aux multiples facteurs d’instabilité, la diversification géographique, et sectorielle, constitue un élément clé de gestion des risques et surtout un moyen d’élargir une base de clientèle, parfois restreinte et soumise à une forte concurrence sur le plan national.

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Au-delà des barrières du financement

Cependant, dans une période qui illustre l’importance de la trésorerie, la problématique du financement des opérations de fusions-acquisitions apparaît comme une contrainte insurmontable, d’autant plus que la frilosité du secteur bancaire pour ce type d’opération n’est plus à démontrer.

Pourtant des alternatives existent et mériteraient une réflexion plus profonde. Ouvrir son capital à un fonds d’investissement ? Structurer une dette mezzanine ? S’associer à un opérateur dans une transaction sans échange de liquidités ? Le financement ne reste qu’un écueil parmi tant d’autres : capacités managériales, recherche de cibles, gestion du processus de transaction et d’intégration…

En l’état actuel, il va sans dire que la crise ne facilite pas le déclenchement d’opérations de fusions-acquisitions, y compris d’un point de vue purement pratique. Toutefois, ma conviction reste que les opérateurs locaux, forts leur confiance dans les ressorts de la croissance africaine, restent sans aucun doute les mieux outillés pour appréhender ces problématiques.

Le contexte africain est plus que jamais favorable aux investisseurs de long-terme. Le défi de notre économie est en effet de faire émerger des opérateurs industriels locaux dotés d’une empreinte régionale, d’une taille critique et d’une gouvernance leur permettant de traverser plus sereinement les chocs tels que celui-ci mais aussi de rayonner sur la myriade de PME locales au cœur de nos économies.

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