Le choc pétrolier menace les entreprises

L’économie africaine est d’ores et déjà sévèrement touchée par la flambée du brut qui affecte directement les consommateurs et nombre de secteurs d’activité : transport, énergie, pêche.

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

Dans les rues de Dakar, Birane, chauffeur de taxi, n’y arrive plus. Malgré les subventions de l’État pour contenir l’envolée des prix à la pompe, le litre de super est passé de 732 F CFA à 774 F CFA en un an. « Mes revenus se sont effondrés », se désole-t-il. Au marché central de Ganhi, à Cotonou, Solange constate la valse des étiquettes sur les légumes et les fruits. « Notre train de vie a vraiment baissé ces derniers mois », explique-t-elle. « Tout a augmenté, répond la marchande. Le transport, les semences, les engrais, les insecticides» Partout, sur le continent, le constat est le même. La vie est plus chère. Et si la hausse mondiale des cours des produits agricoles est l’une des causes, via les importations, de cette poussée inflationniste (+ 8,6 % prévus en 2008 contre + 7,2 % en 2007), la flambée sur le pétrole porte également une lourde part de responsabilité.
Les gouvernements du Nord, placés dans l’obligation de prendre des mesures de compensation pour répondre aux revendications catégorielles, redoutent un net ralentissement de l’économie mondiale. En Afrique, si les pays producteurs peuvent se frotter les mains avec un taux de croissance de 10 % prévu cette année, les autres sont frappés de plein fouet. Le Fonds monétaire international (FMI) a tiré la sonnette d’alarme, en avril dernier, en révisant à la baisse de 1 point ses prévisions pour 2008 : + 6,5 % sur l’ensemble de la zone subsaharienne, contre + 7,5 % espérés, en octobre dernier. Pis, cette projection reposait sur un baril à 100 dollars. Si presque tous les secteurs d’activité sont touchés, le plus vulnérable est à ce jour le transport aérien, dont les carburants représentent désormais plus de 30 % des coûts.

49 % de hausse du kérosène
Si certaines grosses compagnies ont eu les capacités financières d’anticiper – Air France-KLM s’est approvisionnée jusqu’en mars 2009 – d’autres n’ont pas eu cette possibilité. Exemple avec Air Algérie, qui achète au comptant et paie donc le prix fort alors que le pays est le deuxième producteur d’hydrocarbures du continent après le Nigeria. L’une des premières requêtes du nouveau PDG, Abdelwahid Bouabdallah, a été de pouvoir négocier à terme auprès des traders de Sonatrach. Il a fallu une intervention du ministre de l’Énergie et des Mines pour faire avancer cette demande, qui n’est toujours pas effective ! « Comme nous ne pouvons répercuter sur notre clientèle une hausse de 49 % sur le kérosène depuis le début de l’année, nous grignotons sur notre marge bénéficiaire », explique Bouabdallah. D’autres comme Royal Air Maroc ou Brussels Airlines tentent de « limiter la casse » en perfectionnant leur stratégie d’achat (fuel hedging) pour saisir les opportunités du marché. Il n’empêche, toutes ont appliqué des « surcharges-carburant » sur le prix des billets. Certaines, comme Air Burkina, envisagent même une diminution des rotations sur les destinations les moins rentables. « À chaque augmentation de 10 F CFA du litre de kérosène, notre facture croît de 200 millions de F CFA (481 000 dollars), commente également Abdérahmane Berthé, directeur général de la Compagnie aérienne du Mali. Depuis le début de l’année, le surcoût s’élève à 2 milliards de F CFA. »
Le transport routier est aussi, évidemment, affecté. Avec des effets en cascade impossibles à évaluer dans leur ensemble. Mais au Cameroun, tout le monde se souvient de la grève des chauffeurs de taxi, en février dernier, qui avait entraîné les émeutes sociales. En six mois, l’État – à travers la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH) – a pourtant injecté 73 milliards de F CFA (175 millions de dollars) pour maintenir les prix à la pompe. En République démocratique du Congo (RDC), le groupe Forrest estime que son budget de transport sur ses activités minières a été multiplié par deux depuis 2004. Du Katanga vers l’Afrique du Sud, la seule expédition par camion de 60 tonnes de minerais de cuivre coûte au moins 8 000 dollars. Quant à Bolloré, qui dispose de 2 000 camions, le surcoût est estimé à plusieurs millions de dollars. « Pour l’essentiel, nous réduisons nos marges car la concurrence nous empêche de le répercuter sur nos prix », explique Dominique Lafont, directeur Afrique. Au Maroc, qui importe 95 % de ses besoins en énergie, le gouvernement a alloué 36 milliards de dirhams (4,9 milliards de dollars, soit 23 % des recettes de l’État) à la Caisse de compensation, au lieu des 20 milliards initialement prévus dans la loi de finances 2008. Les camionneurs respirent, mais les pêcheurs, qui ont cessé leurs activités à plusieurs reprises, continuent de protester. « Même si nous sommes exemptés de taxes, l’avenir de la pêche côtière est compromis. Au-delà de 5 DH le litre, beaucoup de pêcheries ne sont plus rentables. Et aujourd’hui, on en est à 7,30 DH », explique Abdelfattah Zine, directeur de la Chambre des pêches d’Agadir. La pêche représente 56 % des exportations alimentaires du Maroc.
Le fret maritime est également impacté puisque le fuel représente entre 50 % et 75 % des coûts fixes, et qu’il faut compter environ 10 000 tonnes pour un aller-retour entre l’Asie et l’Europe. Actuellement, les armateurs ont tendance à réduire la vitesse de leurs bateaux pour réduire la consommation de ces monstres des mers ! « Nous observons un ralentissement de la croissance des volumes vers l’Europe et les États-Unis, mais, parallèlement, une forte croissance vers le Moyen-Orient et l’Afrique, plus particulièrement vers les pays producteurs de pétrole », précise la compagnie maritime CMA-CGM, qui réalise un quart de ses bénéfices sur le continent. Concernant leur politique tarifaire, les compagnies appliquent un mécanisme d’ajustement (bunker surcharge, ou bunker adjustment factor). Celui-ci n’a cessé de grimper ces dernières années. Au Cameroun, Cimencam, la filiale du groupe Lafarge, estime à 75 % la hausse du fret maritime lié aux importations de clinker depuis 2006 et demande, en vain, une hausse des prix de vente sur le sac de ciment.

la suite après cette publicité

Facture trop élevée pour l’Etat
L’autre grosse inquiétude concerne les sociétés africaines de raffinage, et plus généralement tous les distributeurs locaux de carburant. En Côte d’Ivoire, sur une capacité de 70 000 barils/jour, la Société ivoirienne de raffinage (SIR) en importe 50 000 en provenance du Nigeria. Depuis décembre, elle perd mensuellement environ 7 milliards de F CFA (16,8 millions de dollars) malgré les 40 milliards injectés par le gouvernement. « La situation est très délicate. Pour sauver la SIR, nous n’avons pas d’autre choix que d’augmenter le prix des produits pétroliers. Les appuis directs ne suffisent plus », confie un conseiller au ministère des Mines et de l’Énergie, sous couvert d’anonymat. Une hausse des tarifs est prévue en juillet. En Mauritanie, les prix sont toujours bloqués par les autorités. « Pour nous, c’est un manque à gagner de 3 millions de dollars par mois », s’exclame Tidiani Ben al-Houssein, le directeur général de la société Star, qui importe environ 50 % des carburants vendus dans le pays. L’automobiliste paie 153 ouguiyas (0,60 dollar) le litre de gasoil, alors qu’il est importé à 405 ouguiyas. « Si le gouvernement ne fait rien, nous ne pourrons plus assurer l’approvisionnement. Vendre du pétrole en Mauritanie, c’est perdre de l’argent. Je vous le déconseille ! » conclut le patron, qui évalue la baisse de son chiffre d’affaires entre 30 % et 40 %. Le nouveau gouvernement de Yahya Ould Ahmed el-Waghf semble avoir pris conscience de l’impasse. Un décret, signé le 8 juin, prévoit une modification de la structure des prix à la pompe, même si, pour l’instant, aucun chiffre n’a été communiqué. Au Sénégal, tous les regards sont tournés vers la Société africaine de raffinage (SAR) et la Société nationale d’électricité (Sénélec), qui ont obtenu respectivement 19 milliards et 58 milliards de F CFA de subventions en 2007, soit plus de 5 % du budget de l’État. Le Sénégal vit au-dessus de ses moyens, estime le FMI, qui en appelle à la vérité des prix. « Nous ne pouvions pas faire autrement si nous voulions contenir la tendance inflationniste », explique un conseiller du ministère de l’Économie et des Finances. « Il reste toutefois à trouver des mécanismes d’aide plus ciblés », concède-t-il. Pas de doute, l’Afrique va devoir apprendre à vivre avec un pétrole cher.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires