Enfants-soldats : un spectacle ?

Après Johnny Mad Dog, présenté à Cannes, c’est au tour d’Ezra, enfin en salles en France, de revenir sur les enfants-soldats. Deux films pour un même sujet mais aux partis pris esthétiques opposés.

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 3 minutes.

La conjonction des hasards de la programmation à Paris et de la toute récente édition 2008 du Festival de Cannes a remis au premier plan la question des enfants-soldats dans les guerres civiles en Afrique. La sortie bien tardive du triomphateur du Fespaco 2007, Ezra, du Nigérian Newton Aduaka, a en effet eu lieu juste après la projection à Cannes de Johnny Mad Dog du Français Jean-Stéphane Sauvaire, librement inspiré du roman Johnny, chien méchant du Congolais Emmanuel Dongala. Ces deux longs-métrages suivent le parcours guerrier d’un enfant-soldat, l’un en Sierra Leone, l’autre au Liberia.
L’histoire d’Ezra est surtout racontée sur le mode du flash-back. Le film s’organise autour d’un procès qui entend « guérir » les enfants-soldats sierra-léonais en obtenant qu’ils reconnaissent leurs crimes. Le jeune adolescent, devenu quasi amnésique, doit se souvenir de son passé d’enfant-soldat. Et dès qu’on évoque des faits, on revit à l’écran « en direct » les scènes en question, souvent d’une rare violence. Le ton avait d’ailleurs été donné dès le début du film, lors de la scène du kidnapping d’Ezra, alors âgé de 10 ans, dans la cour de son école. Puis, après, lors de la reconstitution de son crime le plus atroce, commis après avoir été drogué et endoctriné par ses mentors : il a détruit la demeure familiale, tuant ses parents sous les yeux de sa sÂur.

Film d’action et documentaire
Johnny Mad Dog, d’après le nom de guerre d’un jeune adolescent également recruté de force par des rebelles, nous plonge pour sa part dans la violence dès le tout début. Le film s’ouvre sur un enfant sommé de tuer son père avant de devoir suivre ses ravisseurs. Il deviendra bientôt à son tour un combattant prêt à commettre les pires crimes, sans aucun état d’âme. D’un bout à l’autre du film, en suivant les « missions » de la section commandée par le tout jeune Johnny « chien fou », on voit ainsi se succéder des atrocités. Seules exceptions, quelques scènes où l’on suit une jeune lycéenne de 16 ans qui tente de sauver son père infirme et son jeune frère au beau milieu de la guerre civile. Le tout filmé comme le permet la technologie numérique tout près des corps, donnant l’impression au spectateur qu’il est au milieu de l’action.
La similitude même des deux histoires a pour effet paradoxal de mettre en évidence à quel point des choix de scénario et de mise en scène, aussi bien de nature esthétique qu’éthique, font toute la différence entre deux films sur un même sujet.
En liant toujours les scènes d’action, qui ne sont pourtant pas rares, à des dialogues entre Ezra et ses « juges », en refusant d’insister sur les détails des actes de violence montrés, en décourageant toute identification aux personnages, Newton Aduaka conduit le spectateur à conserver une distance avec ce qu’il voit. Et ainsi à se poser des questions sur le processus qui peut transformer un élève pacifique en un tueur sans foi ni loi, et plus généralement sur le sort tragique des enfants-soldats et la responsabilité de ceux qui les enrôlent ou qui profitent des guerres auxquelles on les a forcés à participer.
En ne donnant à voir que de l’action, sans jamais ou presque fournir le moindre élément de contexte, Sauvaire a fait un choix tout autre pour son film. Le réalisateur entend certes dénoncer lui aussi, à l’en croire, le scandale des enfants-soldats. Mais uniquement en accompagnant les protagonistes « sur le terrain » et sans reculer devant aucune des images attendues : les massacres gratuits, les pulsions sexuelles d’adolescents mâles se sentant tout puissants avec leurs armes, les incroyables déguisements des jeunes combattants, etc. Résultat : un film choc, qui a certainement plu à son producteur Mathieu Kassovitz, adepte du cinéma d’action, mais qui ne propose qu’un spectacle.
Les meilleurs films sont souvent ceux qui montrent plus qu’ils ne démontrent. Cela ne signifie pas que l’on va au plus près de la réalité quand on se contente de vouloir la reproduire, exercice vain et d’ailleurs mensonger puisque aucune mise en scène n’est neutre. Ce n’est sans doute pas un hasard si, paradoxalement, le film d’Aduaka donne plus l’impression parfois de ressembler à un documentaire que celui de Sauvaire, qui revendique pourtant vouloir « approcher la vérité ».

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Ezra, de Newton Aduaka (sorti à Paris le 4 juin).

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