À Césaire la patrie reconnaissante

Habitué aux coups d’éclat, Claude Ribbe a trouvé un nouveau cheval de bataille : le transfert des cendres d’Aimé Césaire au Panthéon. Et dresse un portrait du poète martiniquais dans lequel il rétablit quelques vérités et règle ses comptes avec la classe

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Figure très en vue de la « France noire », Claude Ribbe se distingue régulièrement par ses coups d’éclat (ou de colère) contre le racisme et l’occultation du passé esclavagiste de son pays. Sorti en 2005, au moment du bicentenaire de la victoire d’Austerlitz, son pamphlet Le Crime de Napoléon, où il affirme que la politique d’extermination menée à Saint-Domingue (future Haïti) par Bonaparte préfigurait l’horreur nazie, a fait beaucoup de bruit.
Mais ce normalien de 54 ans, né à Paris d’un père guadeloupéen et d’une mère creusoise, s’est fait aussi une spécialité de tirer de l’oubli les grandes figures afro-caribéennes. Deux livres sont nés de cette entreprise : Alexandre Dumas, le dragon de la reine (2002), et Le Chevalier de Saint-Georges (2004).
À la mort d’Aimé Césaire, survenue le 17 avril dernier, Claude Ribbe a trouvé un nouveau cheval de bataille : le transfert au Panthéon des cendres du poète martiniquais. Une idée qu’il a été le premier à lancer, et sur laquelle il revient longuement dans le livre qu’il publie aujourd’hui sous un titre pour le moins provocateur, Le nègre vous emmerde. Il donne l’explication de ce titre dans le texte lui-même. La scène se passe dans le Paris de l’entre-deux-guerres où Césaire est venu poursuivre ses études. Un jour, près de la place d’Italie, l’étudiant est apostrophé sans ménagement par un automobiliste :
– Hé, p’tit nègreÂ
Le petit nègre t’emmerde ! rétorque illico le jeune Antillais.
Cette sortie jouera probablement un rôle de détonateur, puisque peu après Césaire proposera à Senghor et Damas de créer la revue L’Étudiant noir. Intitulé « Négreries. Jeunesse noire et assimilation », son premier article (1935) commence comme un conte : « Un jour le Nègre s’empara de la cravate du Blanc, s’en affubla et partit en riant »
Synonyme de résistance à l’aliénation, l’affirmation de cette « qualité de nègre » imprégnera l’ensemble de l’Âuvre de Césaire. Une Âuvre sur laquelle Claude Ribbe ne s’attarde guère, préférant s’employer à rétablir quelques vérités sur la fameuse notion de négritude. Contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, elle ne peut être confondue avec l’appartenance à une prétendue « race noire ». Faute de meilleure solution, l’auteur du Discours sur le colonialisme en fait une arme contre l’hégémonie européenne, mais en la mettant au service de tous les damnés de la terre et non des seuls Noirs. Une fois la décolonisation obtenue, la notion ne pouvait qu’être actualisée. Une fois de plus, l’ethnicité est rejetée. Cette fois au profit de l’identité. S’il fallait donner une définition de la négritude aujourd’hui ? « C’est d’abord, écrit Claude Ribbe, à la fois la solidarité face aux discriminations racistes et aux préjugés, et en même temps la mémoire des oppressions passées. »
Il est un autre domaine où certaines vérités sont aussi à rétablir : la politique. Bien qu’il ait choisi la voie de l’autonomie, et non celle de l’indépendance, c’est-à-dire de la rupture brutale avec la France, Césaire aura, toute sa carrière durant, à affronter l’hostilité du pouvoir central. Parce qu’il dénonce la manière pour le moins coloniale avec laquelle est appliquée la loi de départementalisation, mais aussi à cause du soutien qu’il apporte aux revendications sociales des Antillais, le député-maire de Fort-de-France sera traité en pestiféré. Pendant plus de vingt ans, aucun haut fonctionnaire ne franchira le seuil de sa mairie. Le budget municipal sera mis sous tutelle. Le nom de l’écrivain sera interdit sur toutes les chaînes de radio et de télévision. Et la liste des brimades ne s’arrête pas là. Une véritable mise en quarantaine qui ne sera levée qu’avec l’élection, en mai 1981, de François Mitterrand à la présidence de la République. Il faudra quand même attendre 1991, et alors que Césaire est déjà une légende vivante de la littérature universelle, pour que l’une de ses pièces, La Tragédie du roi Christophe, entre au répertoire de l’Académie française.
Tout change à partir du moment où, ayant renoncé à son mandat de maire en 2001, Césaire se retire de la vie politique. Fort-de-France devient un lieu de pèlerinage. Pour se rallier les suffrages des Antilles et de l’outre-mer, les leaders métropolitains de tout bord viennent se prosterner devant le « nègre fondamental ». Quand celui-ci veut bien recevoir ces « négrophiles » de circonstance. En décembre 2005, il éconduit Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, dont les propos sur les « racailles » des banlieues sont arrivés jusqu’à ses oreilles.

Bravitude et négritude
Le portrait que Ribbe dresse de Césaire est empreint d’affection et de respect. Cela ne l’empêche pas d’adresser quelques piques à son aîné. Le soutien que le vieil homme apporta en 2007 à la candidature de Ségolène Royal lui est ainsi resté en travers de la gorge. « Le chantre de la Bravitude va enfin rencontrer le chantre de la Négritude », ironise Ribbe, qui, on le sait, ne porte pas la gauche dans son cÂur. Avant de poursuivre : « Après tout, [Césaire] a bien reçu Dieudonné et même écrit un poème à la gloire de Staline. » On le voit, on est loin de l’hagiographie.
Arrive la polémique autour de la « panthéonisation ». D’aucuns essaient de s’approprier l’idée, d’autres s’y opposent. Les manÂuvres politiciennes redoublent, la plume assassine de Claude Ribbe se déchaîne. En ligne de mire, Dominique de Villepin, qualifié de « chantre des Békés », parce que son épouse Marie-Laure est apparentée aux familles coloniales les plus en vue de la Martinique et détiendrait d’importants intérêts dans l’île. Toujours est-il que l’ancien Premier ministre, très attentif à ce qui que se passe à Fort-de-France, a pris position contre le transfert des cendres de Césaire, arguant que la sépulture d’un Antillais serait contraire à son « enracinement ». Pensée inspirée par Barrès, commente Claude Ribbe, qui fait le parallèle avec l’enracinement du capitaine Dreyfus dans sa « race ».
Assurément, Claude Ribbe règle des comptes. Mais la lecture de son livre est si vivifiante qu’on lui passe les pires méchancetés. Sur le transfert des cendres de Césaire, en tout cas, sa position est à notre avis convaincante. On ne peut « confondre [son] cursus politique, qui s’est déroulé en Martinique, avec sa carrière littéraire, qui mérite le Panthéon ». La vision d’un Césaire replié sur son île, au demeurant, est fausse. Il n’était nullement séparatiste et n’a jamais songé à couper le cordon ombilical avec la métropole, qu’il aimait passionnément. Et même un peu trop au goût des Martiniquais. Quant à ces derniers, ils ont tout à gagner à une ouverture du Panthéon à leur grand homme. Ce serait la meilleure façon d’attirer l’attention de toute la France, voire du monde entier, sur leur île, sa richesse culturelle, et d’en profiter pour faire aboutir certaines de leurs revendications.
« Aux grands hommes la patrie reconnaissante. » La célèbre phrase inscrite au fronton de l’imposant édifice qui se dresse au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, dans le 5e arrondissement de Paris, prendrait encore plus de sens.

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