Quelle Algérie demain ? Deux experts livrent leurs pronostics
Un an après le départ forcé d’Abdelaziz Bouteflika et six mois après l’élection d’Abdelmadjid Tebboune, son successeur à la présidence de l’Algérie, Slim Othmani, président du think tank Care, et Abderrahmane Benkhalfa, ancien ministre des Finances, répondent aux questions de Jeune Afrique et des internautes.
Épidémie du coronavirus et ses conséquences, chute du pétrole et dépendance aux hydrocarbures, réformes politiques et économiques, gouvernance, attentes globales de la population ou encore place de l’Algérie dans le monde… le webinar organisé par Jeune Afrique mercredi 24 juin aura été une occasion pour mettre des mots sur les plaies de l’Algérie et esquisser des solutions pour son avenir (replay intégral en bas d’article).
Plus d’un an après le départ forcé du président Bouteflika et six mois après l’élection de son successeur, Abdelmadjid Tebboune, deux experts répondent aux questions de Jeune Afrique et des internautes, après plus d’une heure d’un riche débat animé par Neila Latrous, rédactrice en chef adjointe Maghreb & Moyen-Orient.
Depuis Alger, il y avait donc Slim Othmani, chef d’entreprise et président du think tank Care et Abderrahmane Benkhalfa, ancien ministre des Finances et actuellement envoyé spécial de l’Union Africaine pour la lutte contre le Covid-19.
Une problématique économique et financière complexe
Une année après la révolution du 22 février, l’Algérie vit une problématique économique et financière complexe, juge Benkhalfa. « C’est celle-ci qui doit être la priorité de tous les acteurs économiques, pouvoirs publics et élite à l’intérieur comme à l’étranger. Cette problématique demeure non résolue. L’Algérie est un pays à grand potentiel, mais qui doit revoir sa boite à outils économique. »
L’état des lieux que dresse Slim Othmani est partagé entre inquiétude — compte tenu de la multitude de chocs que subit le pays — et optimisme pour ses potentialités et les chantiers qui peuvent être explorés. « Ces chocs révèlent nos faiblesses, les montrent au grand jour et permettent de les ajuster », dit-il.
La loi de Finances complémentaire 2020 a permis de faire sauter des tabous, tels que celui de la loi 51/49
La loi de Finances complémentaire 2020 a permis de faire sauter des tabous, avance Benkhalfa. Le premier concerne la loi 51/49 qui avait brisé les investissements étrangers. Le second concerne le droit de préemption qui gênait le monde des affaires ainsi que l’ouverture progressive vers l’endettement extérieur. L’Algérie peut aller vers cet endettement car elle possède de bons fondamentaux, notamment une dette extérieure de cinq milliards de dollars.
« Il faut un aménagement budgétaire »
Le troisième tabou touche à un ajustement budgétaire conséquent en raison de la chute des cours du pétrole. Le déficit budgétaire insoutenable a été complété avec des coupes. Pour Abderahmane Benkhalfa, la modernisation budgétaire reste un chantier. Il faut un aménagement budgétaire pour qu’il y ait une soutenabilité dans les années à venir, en raison justement de ce déficit qui s’aggrave.
Slim Othmani pointe du doigt une problématique essentielle : l’absence d’informations, qui empêche de poser les bons diagnostics sur les maux dont souffre le pays. « Il nous faut des éléments d’appréciation », observe-t-il.
Quid des transferts sociaux qui grèvent le budget de l’État ? L’Algérie dépense chaque année 18 milliards de dollars de subventions directes et indirectes. Là aussi, des réformes doivent être menées pour alléger ces transferts sans léser les couches de la population qui en dépendent.
Devenir le hub énergique de l’Afrique
L’après-pétrole et la fin de la rente pétrolière est un vieux serpent de mer qui occupe les débats depuis la moitié des années 1980. Slim Othmani propose d’aller à contre-courant de cette vision en faisant de cette faiblesse une force. Comment ? « L’Algérie peut être un hub énergique de la Méditerranée et de l’Afrique, explique-t-il. En plus du pétrole et du gaz, il y a les énergies renouvelables comme le nucléaire par exemple. »
Il faut redistribuer les revenus de l’activité pétrolière à tous les secteurs
L’Algérie de demain ne doit pas tourner le dos au pétrole, analyse de son coté Benkhalfa. « On fait la diversification avec le pétrole, dit-il. L’économie énergétique est au cœur de l’économie algérienne, on ne va pas s’en départir. En revanche, il y a une redistribution de cette rente. Toute consommation d’énergie autre que le pétrole nous fait économiser des barils à exporter. Enfin, il faut redistribuer cette activité pétrolière à tous les secteurs publics et privés. »
Quels sont les secteurs porteurs hors hydrocarbures ? On peut développer l’agriculture, qui dégage aujourd’hui des excédents à transformer ou à exporter. Booster l’industrie et résorber le gap dans le secteur des services, qui présente énormément d’opportunités de business.
Besoin urgent de digitalisation
Slim Othmani juge que le secteur financier, toujours à la traîne, n’aide pas à créer cette dynamique. Sans oublier la bureaucratie qui décourage toutes les volontés : « L’administration algérienne a un besoin urgent de digitalisation », note-t-il.
Compte tenu des difficultés financières que traverse l’Algérie, va-t-on solliciter l’endettement extérieur et à quel délai ? Ce n’est plus un tabou, estime Benkhalfa, qui préconise plutôt les investissements directs étrangers (IDE). Les retours sur investissements sont les plus forts en Méditerranée, avance l’ancien ministre des Finances. Il évoque un endettement sur le concessionnel et non sur le commercial, considérant que l’État ne doit pas s’endetter.
Pour favoriser l’emploi des jeunes, Slim Othmani mise sur l’entreprenariat
Quelle politique pour favoriser l’emploi des jeunes ? Slim Othmani mise sur l’entreprenariat. Mais là aussi, les démarches entreprises butent sur les carences et les lenteurs de l’administration. Les jeunes entrepreneurs, observe-t-il, sont dans une logique de contournement de cet écueil institutionnel pour se tourner vers le secteur de l’informel ou le marché noir. Le grand défi est donc d’alléger et d’assouplir cette bureaucratie et aller vers une vraie gouvernance de l’entreprise.
Slim Othmani évoque aussi trois grands défis qui se présentent au pays. D’abord le défi environnemental qu’il faudra nécessairement adresser et prendre en charge. Il y a aussi le défi de l’eau dans la mesure où le stress hydrique va s’aggraver avec le temps. Ces questions de prime importance sont des vecteurs de créations d’emplois.
Accélération rapide de la digitalisation
D’Alger où il intervient, Mehdi Bendimerad, vice-président du FCE (Forum des chefs d’entreprises), chargé des relations internationales, met en exergue deux données susceptibles d’influer positivement sur le secteur économique à moyen terme. Pour lui, l’épidémie du coronavirus qui affecte l’Algérie va permettre une accélération rapide de la digitalisation pour « réduire le gap numérique avec le e-paiement ou le e-commerce pour des gains de temps et de productivité ».
Cette épidémie est donc une opportunité de développer le télétravail. Celui-ci est au stade embryonnaire dans le pays, en raison notamment de la mauvaise qualité des services internet.
Réagissant au débat autour de transition qui permettrait de sortir du tout pétrole, Mehdi Bendimerad évoque l’industrie pharmaceutique en expliquant que le pays produit aujourd’hui 70 % de sa consommation en médicaments. « L’Algérie peut approvisionner le marché européen en médicaments et en produits sanitaires, dit-il. Elle est la mieux placée pour faire la transition entre l’Europe et le continent africain. »
Soif de transparence
L’autre défi est celui de la transition démographique compte tenu du fait que la grande majorité de la population algérienne est constituée de jeunes.
Pour Slim Othmani, il y a une soif de gouvernance et de transparence chez les Algériens. « Ils ne veulent plus être des citoyens pris en charge, mais des citoyens impliqués et actifs dans la vie de la cité », souligne-t-il. C’est la société civile qui a conduit la transition en 2019, note Benkhalfa. « Malheureusement, elle ne s’implique pas dans les problématiques économiques. La société civile considère que ces problématiques de développement économiques sont à la charge de l’État.»
La société civile est trop surveillée par les pouvoirs publics. Ils doivent au contraire être à son écoute, la soutenir
Le carcan administratif est lourd et pesant, décrypte Othmani. « Mis à part les réseaux sociaux, il n’y a pas véritablement d’espace pour que cette société civile s’exprime. La société civile est trop surveillée par les pouvoirs publics. Ils doivent au contraire être à son écoute, l’accompagner, la soutenir. »
Les Algériens sont-ils optimistes pour l’avenir du pays ? Le sondage organisé en ligne durant ce webinar a donné les résultats suivants : 63 % des internautes sont optimistes contre 31 % de pessimistes.
Le replay intégral de la conférence digitale « Quelle Algérie demain ? » :
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