Archaïsmes et modernité

Publié le 16 juin 2008 Lecture : 4 minutes.

Le film tire à sa fin ; celle-ci sera mouvementée et, je le crains, malheureuse.
À la fin de ce mois de juin, en plein sommet de l’Union africaine (qui se tient cette année à Charm el-Cheikh, c’est-à-dire en Asie), sauf nouveaux atermoiements, nous connaîtrons l’épilogue du combat pathétique de Robert Mugabe pour ne pas quitter le pouvoir.

La triste histoire de ce libérateur du Zimbabwe est à la fois navrante et banale. Il a bien gouverné son pays pendant vingt ans (1980-2000), mais, pour s’être attardé dans la fonction, il s’est transformé, depuis le début de ce siècle, en tyran de son peuple et en fossoyeur de son économie.
Les turbulences dramatiques qu’il n’a pas fini d’infliger non seulement au Zimbabwe mais à toute la région, et le discrédit qui en résulte pour les Africains nous ramènent à ce sujet que j’ai déjà abordé ici même : les inconvénients et les dangers d’une longévité excessive au pouvoir.
C’est encore, hélas, trois fois hélas, le péché de trop d’hommes politiques en Afrique et dans le Tiers Monde. Et c’est ce que nous subissons et continuerons de subir jusqu’à nouvel ordre.

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Certains d’entre vous s’en souviennent : lorsque Léopold Sédar Senghor a volontairement démissionné de la présidence du Sénégal à la fin de 1980 (après avoir exercé la fonction vingt années durant), au lieu de le féliciter pour son courage et sa sagesse, ses homologues les plus en vue, Habib Bourguiba et Félix Houphouët-Boigny, l’ont traité de « déserteur ».
Ils professaient, eux, qu’on est président « à vie » ; l’on sait comment ils ont fini et dans quel état ils ont laissé leur pays et ce pouvoir auquel ils étaient littéralement incrustés.
L’un et l’autre ont été, au cours de leurs vingt premières années d’exercice du pouvoir suprême, de très bons chefs d’État. À ce jour, leurs peuples et plus généralement les Africains les tiennent en haute estime. Deux hommes politiques exceptionnels pour lesquels j’ai moi-même la plus grande considération, mais qui ont eu grand tort l’un et l’autre de vouloir être « présidents à vie ».
Comment deux hommes aussi intelligents ont-ils pu ignorer les effets de l’âge et sous-estimer l’usure du pouvoir ? Mystère.

Dans les pays où la démocratie est solidement établie au point d’être entrée dans les mÂurs, le problème de la longévité au pouvoir est réglé : même s’il le voulait, un homme ou une femme politique ne pourrait pas demeurer au sommet de l’État plus de dix ou onze ans.
Dans les cas (rares) où la Constitution le lui permet, l’opinion se lasse et ne le (la) réélit pas.
C’est en Afrique et plus généralement dans l’ex-Tiers Monde que le problème se pose encore. Avec acuité.
Je soutiens pour ma part que même dans cette partie du monde, tout détenteur du pouvoir suprême (président ou Premier ministre) qui s’obstine à rester à la barre plus de vingt, vingt et un (ou au maximum vingt-deux) ans ne rend service ni à lui-même, ni à ses proches (sauf momentanément), ni au pays dont lui et les siens accaparent les leviers de commande.

La liste de ceux qui ont mal fini, pour s’être éternisés au pouvoir, est très longue ; le tableau ci-dessous, non exhaustif, n’a pour ambition que de vous aider à vous remémorer les cas les plus marquants.

Mais même lorsque l’autocrate qui choisit de mourir au pouvoir parvient à le garder jusqu’au bout, il dessert son pays : dès le début de sa troisième décennie au sommet de l’État, l’usure commence à se faire sentir ; l’entourage prend de plus en plus de poids et finit par gouverner à la place du « chef ».
Puis, c’est l’immobilisme, voire l’ossification – et la longue attente d’une interminable fin de règne.
Pour m’épargner les réactions de la dizaine d’autocrates encore en fonctions, mais qui ont déjà dépassé la mesure, j’évoquerai pour aujourd’hui les cas de ceux qui ne sont partis – rappelés par Dieu – qu’après avoir fait prendre beaucoup de retard au pays dont ils avaient le destin en charge : les plus notoires d’entre eux sont Hafez al-Assad (Syrie, vingt-neuf ans), Sékou Touré (Guinée, vingt-cinq ans), Félix Houphouët-?Boigny (Côte d’Ivoire, trente-trois ans), Gnassingbé Eyadéma (Togo, trente-sept ans), Kim Il-sung (Corée du Nord, quarante-six ans).

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Fort heureusement se dessine depuis peu, même en Afrique, une réaction moderniste contre l’archaïsme de ces « intégristes du pouvoir jusqu’à la mort » décrits ci-dessus.
Sauf erreur ou omission, neuf pays – quatre sont petits par la population – se sont dotés de Constitutions qui interdisent à leur président de briguer plus de deux mandats successifs et nous paraissent résolus à respecter cette disposition.
Je suis heureux de vous en donner la liste avec, entre parenthèses, la date à laquelle ils se sont imposé cette obligation.
Ces neuf pays pionniers dont il faudra un jour, s’ils ont respecté leur serment, inscrire les noms au futur Panthéon de la démocratie africaine ont pour noms : Botswana (1966), Bénin (1990), Cap-Vert (1992), Mali (1992), Afrique du Sud (1996), Nigeria (1999), Rwanda (2003), São Tomé e Príncipe (2003), Mauritanie (2006).

En ai-je oublié un ou deux ? Si c’est le cas, qu’il(s) se déclare(nt) : je réparerai avec le plus grand plaisir.
Il nous reste à espérer – ou à faire en sorte – que les modernistes soient de plus en plus nombreux.
Et que le destin des archaïstes soit l’extinction.

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