[Tribune] Trouver l’énergie d’engager la reprise en Afrique après la pandémie et la récession
À quelques jours d’une table ronde ministérielle organisée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le gouvernement sénégalais, au sujet des enjeux du Covid-19 pour l’Afrique, Mouhamadou Makhtar Cissé, ministre du Pétrole et des Énergies du Sénégal, et Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, rappellent l’importance d’un accès à des sources d’énergies modernes en tant que base du développement économique.
Dans l’histoire de l’humanité, l’accès à des sources d’énergie fiables à un coût abordable a été trop souvent le privilège de quelques-uns, alors qu’il devrait s’agir d’un droit fondamental pour tous. Cette affirmation se vérifie tout particulièrement en Afrique où – en dépit de progrès remarquables ces dernières années – des centaines de millions de personnes demeurent privées d’électricité.
Une pandémie vient aujourd’hui menacer encore un peu plus des populations vulnérables en Afrique et dans le reste du monde, avec des conséquences qui peuvent précipiter des millions de personnes vers une pauvreté extrême.
L’accès à des sources d’énergies modernes est à la base du développement économique. En sont tributaires les approvisionnements en denrées alimentaires vitales, l’alimentation en électricité des logements et des hôpitaux, ainsi que la possibilité, pour tous, de travailler, d’étudier et de voyager. Or, d’après les dernières données disponibles, les bouleversements liés à la crise du Covid-19 risquent de compromettre un peu plus encore l’atteinte des objectifs de développement durable de l’ONU visant notamment à garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable.
l’injustice de la précarité énergétique reste toutefois bien trop marquée, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne
Il faut noter que des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années, dans beaucoup de pays du continent. Au Sénégal, par exemple, 69 % des citoyens ont désormais accès à l’électricité, contre seulement 26 % en 1993. De nombreux autres pays africains ont connu des avancées semblables. Pour autant, l’injustice de la précarité énergétique reste toutefois bien trop marquée, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne, où 595 millions d’individus, soit 55 % de la population, n’ont toujours pas accès à l’électricité. Cela est inacceptable.
Des sources d’énergies fiables, durables et abordables
Parallèlement aux initiatives publiques, la jeune et dynamique population africaine a une occasion inédite de contribuer au développement de l’économie du continent de manière plus avisée et plus innovante. Les entrepreneurs tirent parti des technologies numériques et des énergies renouvelables pour créer des emplois et proposer des services énergétiques propres. Parmi eux, citons notamment Akon, célèbre musicien sénégalo-américain et chef d’entreprise à l’origine d’une initiative panafricaine de fourniture d’énergie d’origine solaire, et Nthabiseng Mosia, femme d’affaires sud africano-ghanéenne et cofondatrice de la société de services énergétiques Easy Solar, en Sierra Leone.
Ces dernières années, de nombreux pays africains affichaient des taux de croissance économique parmi les plus élevés au monde. Avec les conséquences liées à la pandémie du Covid-19, la plupart des pays vont observer une forte baisse de leur croissance, à l’instar des autres pays du monde. L’Afrique subsaharienne s’apprête ainsi à vivre sa première récession depuis 25 ans.
Au cours des deux prochaines décennies, une personne sur deux verra le jour en Afrique, qui continuera à être le continent le plus jeune et le plus dynamique sur le plan démographique. Ces nouveaux citoyens du monde méritent d’avoir accès à des sources d’énergies fiables et durables, moyennant un coût abordable, pour avoir le plus de chances possibles de vivre en bonne santé, dans la prospérité, et de voir leurs familles et leurs sociétés en faire de même. Leur réussite sera déterminante pour l’avenir de l’Afrique – et du reste du monde.
À l’échelle mondiale, le continent africain dispose de 40 % des ressources potentielles en énergie solaire, mais ne possède que 1 % des moyens de production d’électricité de cette filière
Mais, pour prendre toute sa mesure, ce dynamisme nécessitera de l’énergie. À l’échelle mondiale, le continent africain dispose de 40 % des ressources potentielles en énergie solaire, mais ne possède que 1 % des moyens de production d’électricité de cette filière. Avec des politiques avisées et efficaces, l’énergie solaire pourrait devenir la première source d’électricité du continent. Associé à l’hydraulique et à d’autres sources clés, dont regorge l’Afrique, le solaire pourrait être exploité pour alimenter en électricité des millions de personnes qui en sont actuellement privées.
Certains pays sont mieux placés que d’autres pour tirer parti de ces possibilités – et les contraintes économiques et financières consécutives à la crise du Covid-19 pourraient mettre à mal de nombreux projets énergétiques lancés par les pouvoirs publics ou les entreprises privées sur l’ensemble du continent.
Sortir de la pandémie dans un souffle nouveau
Les pays africains n’ont pas d’autres choix que de travailler ensemble – et, plus largement, avec le reste de la communauté internationale – pour surmonter ces obstacles. C’est pourquoi nous avons décidé, avec d’autres leaders mondiaux, de nous intéresser aux enjeux du Covid-19 pour l’Afrique à l’occasion d’une table ronde ministérielle organisée par visioconférence par l’AIE et le gouvernement du Sénégal le 30 juin prochain.
Le reste du monde est investi d’une grande responsabilité, tout particulièrement à l’égard de la population jeune et grandissante du continent africain. L’Afrique, où vit 17 % de la population mondiale, n’a produit à ce jour que 2 % des émissions de CO2 liées à l’énergie. Et pourtant, elle est, de façon disproportionnée, la première à souffrir des conséquences du changement climatique mondial.
La communauté internationale doit travailler avec les pays africains au développement d’une énergie sûre et durable à un coût abordable
Ces pays et ces régions les moins responsables du changement climatique abritent les populations les plus vulnérables face à ses ravages. C’est pourquoi nous devons redoubler d’efforts et répondre à cet enjeu climatique collectif en réduisant considérablement les émissions mondiales au cours de la présente décennie. Ce sont les pays à l’origine de la majeure partie des émissions qui sont le plus en mesure de faire la différence.
Toute crise peut amorcer une prise de conscience – et ouvrir la voie à de nouvelles possibilités. Le monde entier est aujourd’hui confronté à la difficulté de surmonter les conséquences dommageables de la pandémie et de la récession, d’où la nécessité de travailler de concert pour parvenir à une reprise rapide et durable – et de venir en aide aux personnes qui ont été les plus touchées.
L’Afrique peut sortir de la pandémie avec un nouveau souffle. La communauté internationale doit travailler avec les pays africains au développement d’une énergie sûre et durable à un coût abordable – en particulier pour leurs citoyens les plus vulnérables, mais également pour une plus grande compétitivité de leur économie. Le secteur de l’énergie peut donner à une population africaine, jeune et dynamique, le pouvoir de réaliser son énorme potentiel, pour le bien du monde entier. Cet objectif est, pour chacune et chacun d’entre nous, à la fois un devoir moral et une nouvelle perspective économique.
Par Mouhamadou Makhtar Cissé, ministre du Pétrole et des Énergies du Sénégal, et Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie
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