Un « consensus » pour reduire la pauvrete

Moins attendre du Nord, responsabiliser les dirigeants : telles sont les orientations communes adoptées, début juin, par la Banque africaine de développement et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.

Publié le 17 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

«Pourquoi se le cacher ? Nous avons réalisé peu de progrès en matière de lutte contre la pauvreté. Et si certains d’entre nous ont obtenu quelques résultats, ceux-ci demeurent largement insuffisants pour espérer que le niveau de vie de nos populations s’améliore sensiblement d’ici à 2015. L’Afrique ne va nulle part et, au vu des conditions actuelles, nous ne réaliserons jamais les « objectifs du millénaire » [ODM, voir encadré]. » Fidèle à son image de frondeur, le Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi n’a pas mâché ses mots le 2 juin, à Addis-Abeba (Éthiopie), à l’ouverture du Symposium annuel de la Banque africaine de développement (BAD). Une réunion organisée pour la première fois conjointement avec la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA).
Mélès Zenawi a finalement dit tout haut ce que l’assistance pensait tout bas : l’Afrique ne progresse pas ; certains chiffres sont même accablants. Plus de 300 millions de citoyens africains vivent toujours avec moins de 1 dollar par jour et l’Afrique est la seule région au monde où cette donnée s’est aggravée au cours de la décennie écoulée. La Banque mondiale estime qu’ils seront plus de 350 millions à l’horizon 2015. Le taux de croissance économique du continent ne permet pas, quant à lui, d’espérer un renversement de la tendance actuelle. Il a reculé l’an dernier à 3 % (contre 3,5 % en 2001) et atteindra, dans le meilleur des cas, 3,3 % en 2003. De l’avis de nombreux experts présents dans la capitale éthiopienne en ce début juin, il faudrait au minimum un taux moyen de 8 % pour enrayer le processus de paupérisation des populations africaines.
En dix ans, seuls quatre États – Cap-Vert, Maurice, Mozambique et Ouganda – ont réussi à atteindre la barre des 7 % de croissance. Omar Kabbaj, président de la BAD, a souligné que de tels taux avaient « contribué à réduire la pauvreté dans ces pays. Dans le cas de l’Ouganda, le taux de pauvreté a été réduit de 56 % en 1992 à 35 % en 2000 ». « D’autres pays comme la Guinée et le Malawi ont obtenu d’excellents résultats en matière d’éducation, a-t-il ajouté, alors que le Sénégal et l’Ouganda sont parvenus à neutraliser la progression de l’épidémie de VIH-sida. Le Burkina Faso a, lui, fait de sérieux progrès dans le domaine de la santé, dépassant même les objectifs fixés. » Preuve que les ODM ne sont pas tous inaccessibles. Même si « le problème auquel doit faire face l’Afrique dans son ensemble est qu’une progression généralisée – impliquant donc un grand nombre de pays – reste toujours l’objectif à atteindre », précise le patron de la BAD.
Car, en ce domaine, l’indicateur de référence que constitue le Produit intérieur brut par habitant (revenu par tête) montre clairement le chemin qui reste à parcourir. Sur la période 1990-2001, les estimations du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) indiquent qu’il a chuté dans dix-neuf pays : Angola, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Congo-Kinshasa, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée-Bissau, Kenya, Madagascar, Niger, Rwanda, Sierra Leone, Togo, Zambie et Zimbabwe. Soit plus d’un pays africain sur trois. Conséquence directe selon la BAD : « Au vu des tendances actuelles, seuls les cinq pays d’Afrique du Nord – dont les niveaux de pauvreté sont nettement plus faibles, et où l’accès à l’éducation et à la santé est meilleur – sont en bonne position pour réaliser les objectifs de réduction de la pauvreté et de développement. En revanche, il est peu probable que les pays subsahariens y parviennent… »
Le constat n’est pas nouveau et, pourtant, le Symposium d’Addis-Abeba amorce déjà un tournant. Certains évoquent même la naissance d’un « consensus d’Addis ». D’abord parce qu’il a consacré un rapprochement et une coopération étroite entre deux des plus grandes organisations panafricaines (la BAD et la CEA), et que l’Union africaine n’a d’autre choix que de se joindre au mouvement. Ensuite parce qu’il a clairement affirmé qu’il ne fallait pas s’en remettre aux seuls partenaires du Nord – dont les plus riches étaient réunis au même moment à Évian, en France – pour espérer sortir du sous-développement. Et surtout parce qu’il a montré que de plus en plus de dirigeants africains étaient prêts à assumer leurs responsabilités en ce domaine, en se disant ouvertement comptables des résultats qu’ils auront obtenus sur le terrain. Une volonté ainsi résumée par Kingsley Y. Amoako, secrétaire exécutif de la CEA : « Il est évident que, même si le sommet du G8 d’Évian représente un pas dans la bonne direction, il ne résoudra pas tous les grands problèmes qui préoccupent l’Afrique. Nos travaux sur l’obligation mutuelle de rendre des comptes et la cohérence des politiques visent à accélérer les progrès sur des questions épineuses telles que l’accès aux marchés, l’aide publique au développement, l’allègement de la dette et la stabilisation des cours des produits de base. »
Dans ces quatre domaines, l’Afrique peine à obtenir des résultats palpables. Et ce en dépit des engagements que prennent, depuis deux ans, les pays développés : à Doha en novembre 2001, à Monterrey en mars 2002 ou à Kananaskis, en juin 2002. D’où l’intérêt de certaines déclarations faites à Addis-Abeba. La CEA a ainsi annoncé la tenue d’une table ronde sur le rôle du Fonds monétaire international (FMI) en Afrique ; une réunion prévue avant les assemblées annuelles des institutions de Bretton-Woods qui se tiennent les 23 et 24 septembre à Dubaï. La CEA organisera, toujours en septembre et vraisemblablement à Dakar, une réunion d’experts puis, début 2004, une Conférence internationale sur l’allègement de la dette africaine. Elle devrait notamment permettre de faire le point sur l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés). La CEA est également sur le point de se doter d’une délégation à Genève pour assurer la défense des intérêts commerciaux de l’Afrique lors des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Enfin, à la demande de Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, Kingsley Amoako pilotera une commission sur le VIH-sida et la gouvernance.
La BAD – qui a mobilisé l’an dernier près de 6 milliards de dollars (environ 5,1 milliards d’euros) en faveur du développement de l’Afrique, dont 2,7 milliards en prêts directs – est également présente sur plusieurs fronts. Elle a bouclé les études d’un plan à court terme de financement des infrastructures qui requiert 7 milliards de dollars d’investissements et a remis une étude sur les normes bancaires et financières dans le cadre de son soutien au Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). À noter enfin que la BAD a lancé une initiative spéciale dans le domaine de l’eau et de l’assainissement pour que, conformément aux ODM, la couverture des populations soit portée à 80 % en 2015 et à 100 % en 2025 au plus tard. Et pour tous, un seul mot d’ordre, lancé en clôture du Symposium à une assistance médusée par Charles Konan Banny, gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest : « Just do it. »

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