Sur la bonne voie ?

Quinze milliards de dollars promis par Bush, un milliard attendu de l’Europe : les caisses destinées à la lutte contre l’épidémie pourraient enfin se remplir.

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

«Je défie le reste du monde de consacrer autant d’argent que nous à la lutte contre le sida. » Cette déclaration de George W. Bush, alors que le Congrès américain votait la loi débloquant 15 milliards de dollars pour la lutte contre le sida, et deux jours avant l’ouverture du dernier sommet du G8, qui s’est tenu à Évian (France) du 1er au 3 juin dernier, a piqué au vif les dirigeants de l’Union européenne (UE), Jacques Chirac, hôte du sommet, en tête. Sa réponse n’a d’ailleurs pas tardé. Pendant la grand-messe des chefs d’État, la France a annoncé le triplement de sa contribution annuelle au Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose, la portant à 150 millions d’euros. Objectif, atteindre, pour l’UE dans sa globalité, 1 milliard de dollars annuel pendant les cinq prochaines années. La décision, avalisée par les dirigeants des Quinze, doit toutefois être entérinée lors du prochain sommet de l’UE à Thessalonique, en Grèce, le 20 juin.
L’annonce de l’initiative de Bush, faite lors de son discours sur l’état de l’Union, en janvier, avait surpris. Alors en pleine préparation de sa guerre en Irak, l’administration américaine n’était pas attendue sur ce terrain. Quatorze pays africains et des Caraïbes parmi les plus touchés par l’épidémie seront les bénéficiaires de cette aide. Une décision qui a même poussé Jeffrey Sachs, économiste américain pas vraiment conservateur et farouche défenseur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose, à affirmer que, « désormais, les Européens doivent également s’engager ». Une initiative finalement pas si compliquée à égaler, d’un point de vue de l’aide multilatérale, puisque sur les 15 milliards de dollars, Washington a prévu d’en consacrer, dans les cinq ans à venir, 1 au Fonds, et 14 à l’aide bilatérale. Question contenu, cet apport d’argent risque de faire grincer quelques dents : pour assurer le passage victorieux de son projet de loi au Congrès, le locataire de la Maison Blanche a dû s’engager à ce que les programmes de prévention financés répondent au triptyque « ABC », Abstinence, Being Faithfull, Condom : à savoir promouvoir en premier lieu l’abstinence, puis la fidélité conjugale et, enfin, l’utilisation de préservatifs. Cette condition était exigée par les conservateurs les plus radicaux. Mais Bush aura au moins eu le mérite de mettre la machine en marche, et d’entraîner avec lui les autres pays du Nord, qui ne souhaitent pas se voir qualifier de « mauvais payeurs ».
Pour les activités du Fonds mondial, cela ne suffira donc pas, même si ces promesses permettent de renflouer en partie des caisses qui, comme l’avait souligné le directeur du Fonds, Richard Feachem, (J.A.I. n ° 2208), ont été victimes de leur succès. Résultat, pour garantir l’efficacité de la structure internationale, 4 milliards devront être apportés dans les deux prochaines années, en plus des 3,4 milliards de promesses de dons dont dispose déjà le Fonds.
La grand-messe du G8 n’a toutefois apporté aucune nouveauté en matière de médicaments génériques. Seule une déclaration a été publiée par les huit dirigeants, stipulant qu’il convenait de « travailler au développement d’une approche intégrée » pour permettre l’accès des pays pauvres aux médicaments. Mais dans le même texte, ils reconnaissent les efforts entrepris par l’industrie pharmaceutique pour augmenter l’accessibilité des traitements aux pays du Sud. Le collectif « Sida urgence G8 », regroupant 165 organisations de plus de 35 pays, a qualifié cette déclaration de « plan d’inaction contre la santé ». Les organisations non gouvernementales attendaient en effet une prise de position ferme des participants au G8, à quatre mois de l’échéance de Cancún, où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) remettra cette question sur la table. Pour l’heure, la production de versions génériques de médicaments encore sous brevet n’est toujours pas légale.
Pourtant, même si la communauté internationale a longtemps estimé que soigner tous les séropositifs africains n’était pas possible, des exemples prouvent qu’il ne s’agit peut-être pas d’une utopie. Certes, une assiduité parfaite du malade au traitement est requise, la prise d’antirétroviraux (ARV) en dilettante augmentant les résistances aux médicaments. Cela nécessite donc également une bonne répartition géographique des centres de soins et la présence de personnel médical dûment formé. Autant d’obstacles que l’on a pointés du doigt, dès lors que l’industrie pharmaceutique avait entrepris une forte baisse de ses prix, notamment dans les pays du Sud. Malgré tout, des pays comme le Sénégal ou l’Ouganda ont réussi à limiter, voire à enrayer la progression de l’épidémie. Le Burkina Faso a signé, le 22 avril dernier, un accord avec le laboratoire de génériques indien Cipla pour amorcer une production locale. Une politique couronnée de succès au Brésil. En produisant des ARV génériques, le gouvernement a permis à toute sa population d’y avoir accès. Brasilia a même proposé de mettre sa connaissance au service de tous les pays en développement.
Le Botswana, pays le plus touché par l’épidémie, avec 38,8 % de sa population adulte porteuse du VIH, a lancé un vaste programme. Financé à hauteur de 100 millions de dollars par la Fondation Bill et Melinda Gates et par le laboratoire américain Merck Sharp and Dohme, le projet Achap a pour ambition de fournir des ARV aux séropositifs qui en ont besoin. À ce jour, 5 000 personnes en bénéficient, dans quatre hôpitaux. Achap sera bientôt étendu à dix-neuf autres centres de soin. Mais à l’issue des cinq années de ce programme, 19 000 personnes seront sous ARV alors que 110 000 devraient être soignées.
Qu’importe, dira-t-on, l’essentiel est que la classe politique botswanaise, après avoir laissé sa population mourir, ait pris les choses en main. Mais, à l’échelle du continent africain, le Botswana est un pays riche, avec un PNB par habitant de 3 000 dollars. Il dispose d’énormes ressources en diamant, et offre quelques-uns des sites touristiques les plus attractifs au monde. En outre, il est stable. Autant d’éléments qui expliquent la possibilité de financements si importants. Dans les autres pays du continent, le Fonds mondial a un rôle essentiel à jouer. Mais avec deux ans d’ancienneté, il est encore difficile de savoir si les projets soutenus par l’organisation internationale seront effectivement menés à bien. Et qu’adviendra-t-il des personnes dont les traitements sont financés par le Fonds si celui-ci n’est plus en mesure de poursuivre ses activités ? Pourtant, il y a un frémissement : tous ces signes encourageants et la multiplication des initiatives prouvent que la lutte contre le sida, et l’accès au traitement, doivent désormais passer à la vitesse supérieure. Ce ne sera pas chose aisée, et comme souligne Richard Feachem, « la période allant du G8 d’Évian à octobre sera décisive ». En effet. Avec d’une part la concrétisation des promesses de financements pour le Fonds, d’autre part le nouveau round de négociations de l’OMC au sujet des médicaments génériques, mais également la conférence panafricaine sur le sida de Nairobi en septembre, la lutte contre le sida joue son avenir au cours du prochain semestre.

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