Scandale à Conakry

L’expulsion brutale de personnalités du continent et de leurs amis français venus participer à une rencontre de l’Internationale socialiste écorne sérieusement l’image du régime à l’extérieur.

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Sabotage ? Simple malentendu ? Réaction d’hystérie du régime en place à Conakry ? Qu’est-ce qui a amené les autorités guinéennes à expulser les membres des délégations venues prendre part à la rencontre de l’Internationale socialiste prévue les 9 et 10 juin dernier à Conakry (voir J.A.I. n° 2213) ? Dans l’après-midi du 8 juin, l’ancien Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse, le « monsieur Afrique » du Parti socialiste français Guy Labertit, l’ancien ministre des Affaires étrangères et secrétaire aux relations extérieures du Mouvement populaire de libération de l’Angola Paulo Teixeira Jorge, le vice-président de la Fondation Jean-Jaurès Michel Thauvin, le député et ancien Premier ministre nigérien Mahamadou Issoufou, et d’autres personnalités comme l’avocat dakarois Boucounta Diallo et le professeur Albert Bourgi se sont vu signifier par le commissaire Kassé de l’aéroport de Conakry-Gbessia qu’ils ne pouvaient pas entrer sur le territoire guinéen. Ils étaient quinze à débarquer, deux du vol régulier d’Air France qui a atterri à 16 heures et treize (dont Alpha Condé, leader du Rassemblement du peuple de Guinée – RPG -, coorganisateur de la rencontre) de l’avion d’Air Sénégal International (ASI) arrivé à 16 h 30.
Excédé, Moustapha Niasse réplique : « On ne peut pas m’expulser comme un bandit. En tant que Sénégalais, j’ai le droit d’entrer en Guinée sur présentation d’une pièce d’identité, en vertu des accords conclus dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao]. Je ne repartirai pas sans une notification officielle. » Le commissaire de l’aéroport s’exécute et dresse quatorze documents intitulés « notification et motivation d’une décision de refus d’admission sur le territoire guinéen » au nom des passagers non grata (seul Alpha Condé était autorisé à entrer sur le territoire) au motif suivant : « votre présence constituerait une menace pour l’ordre public ». Il les fait parvenir aux intéressés par une unité de gendarmes entre-temps appelée à la rescousse. Au même moment, environ cinq cents policiers de la BAG (brigade antigang) quadrillent l’aéroport. Quelques dizaines de ces éléments pénètrent dans le salon première classe d’Air France où se trouvaient les « hôtes encombrants », les font entrer manu militari dans le bus qui les mène au bas de la passerelle de l’avion d’ASI, retardé de quelques heures. Seul témoin admis à les rejoindre, l’opposant Bâ Mamadou Bhoye, leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée, raconte : « J’ai eu honte de voir des personnalités aussi importantes brutalisées et insultées par des policiers. Niasse a été tiré par le boubou. Dansoko a failli être boxé pour avoir refusé d’être traîné, et Issoufou bousculé et insulté pour ne pas avoir voulu qu’on le touche. Certains ont été soulevés pour être introduits dans le bus. » Ils sont embarqués aux environs de 20 heures dans l’avion qui a fait cap sur Dakar quinze minutes plus tard. Le leader du RPG regagne son domicile, dans le quartier Sig Madina, où l’attendaient de nombreux militants en colère.
Interrogé par J.A.I. sur ces graves incidents, le ministre guinéen de l’Administration du territoire Moussa Solano explique : « Nous avons pris nos responsabilités pour éviter des dérapages. Dans la matinée du 8 juin, des militants du RPG excités et agressifs ont pris d’assaut l’aéroport et semé des troubles qui ont occasionné des affrontements avec les forces de l’ordre. Comment, dans ce climat, pourrions-nous gérer les débordements si les « invités » entraient dans le pays ? » Et d’ajouter : « On ne peut organiser une conférence internationale en Guinée sans l’accord du gouvernement. Le RPG n’a fait que m’informer de l’événement par une lettre datée du 19 mai reçue à mon cabinet le 26 mai. En dehors de l’absence d’autorisation, aucune notification ne nous a été faite sur le lieu de la rencontre et la liste des personnalités invitées. » Moussa Sampil, ministre de la Sécurité, renchérit : « Personne n’a été brutalisé à l’aéroport. Nous avons entendu des paroles désagréables de la part de personnalités que nous respectons. Niasse a tenu des propos désobligeants à l’endroit du chef de l’État Lansana Conté, et nous a demandé de les lui rapporter de sa part. Nous avons filmé tout ce qui s’est passé. »
Dans tous les cas, l’image de la Guinée à l’étranger a été sérieusement mise à mal par la mesure d’expulsion. L’affaire n’est rien moins qu’un incident diplomatique. Pour ne citer que lui, Amath Dansoko, député de la Cedeao, porteur d’un passeport diplomatique de cette institution, a été empêché d’entrer en Guinée. Les personnalités expulsées entendent saisir de l’affaire le Parlement de la Cedeao, la Commission internationale des droits de l’homme de Genève et les instances compétentes de l’Union africaine.

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