Quel président pour l’Afrique ?

Les chefs d’État, réunis le 10 juillet à Maputo, au Mozambique, choisiront le futur patron de l’organisation continentale. En lice, deux candidats originaires de la même région : le Malien Alpha Oumar Konaré et l’Ivoirien Amara Essy. Un véritable casse-tê

Publié le 17 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Cruel dilemme pour les chefs d’État appelés, au sommet de l’Union africaine (UA), prévu le 10 juillet à Maputo, à élire le président de la Commission de l’organisation continentale. Pour la première fois depuis fort longtemps, ils auront à choisir à bulletins secrets entre deux personnalités que rien ou presque ne devrait opposer (voir pp. 23-24) : l’ancien chef de l’État malien Alpha Oumar Konaré et l’ex-chef de la diplomatie ivoirienne Amara Essy. La même religion musulmane, la même région de l’Afrique de l’Ouest, la même langue française et, à deux ans près, le même âge : 57 ans pour le premier, 59 ans pour le second. Originaires de pays voisins. Les deux hommes ne sont pas non plus, comme par le passé, les béliers dans un affrontement entre blocs idéologiques, linguistiques ou régionaux, même s’il peut y avoir des effets d’entraînement – le Sud-Africain Thabo Mbeki ou le Gabonais Omar Bongo, par exemple, amenant quelques-uns de leurs voisins dans leur sillage.
L’élection de l’un ou de l’autre des deux candidats ne va pas se jouer sur fond de mallettes ou de pots-de-vin. Elle se présente aussi sans menaces de rétorsion d’un État contre un autre. Ce qui n’est pas nécessairement gage de liberté de manoeuvre pour les chefs d’État électeurs. Le match Konaré-Essy passe ainsi pour une bagarre dont beaucoup d’entre eux (du moins ceux des cinquante-trois pays membres qui sont à jour de leur contribution pour avoir le droit de voter) feraient volontiers l’économie. Car les critères de choix ne sont pas suffisamment nets. Il y entre l’équation personnelle des deux protagonistes. À l’arrivée, tout soutien à l’un contre l’autre peut paraître désobligeant, celui qui n’est pas retenu ayant le sentiment de n’être pas assez bon. Parce que, dans un certain sens, les chefs d’État se réuniront à Maputo comme pour diriger un entretien d’embauche.
Leur embarras est à la mesure de la difficulté (affichée) à éliminer l’un des deux postulants, à répondre à la question de savoir quel type de président est le mieux à même d’entretenir et de soutenir le nouveau souffle qu’ils entendent donner à l’organisation panafricaine. Faut-il porter à sa tête l’ancien numéro un malien, l’homme d’une sortie élégante du pouvoir en juin 2002, après dix ans de présidence, celui qui jouit d’une légitimité de chef d’État resté démocrate jusqu’au bout et dont l’aura dépasse le continent ? Ou, au contraire, le diplomate qui affiche trente ans de service, successivement auprès des présidents Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié, ce « super-haut fonctionnaire » moins donneur de leçons, plus porté au consensus, qui connaît mieux les subtilités des relations interafricaines ? L’hésitation de nombre de chefs d’État tiendra probablement lieu de choix jusqu’aux assises.
Le président Bongo ne se cache pas pour dire son embarras : comment éliminer l’une de ces personnalités sans être désobligeant vis-à-vis de l’autre ? À la notable exception du Sénégal (dont le président Abdoulaye Wade a clairement indiqué au ministre ivoirien des Affaires étrangères Mamadou Bamba qu’il avait déjà donné sa voix à Konaré) et du Nigeria qui vote également pour l’ancien numéro un malien, les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) demeurent partagés. À tel point que les pays du Conseil de l’entente (Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina, Niger, Togo) n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour désigner d’une seule voix Amara Essy comme leur champion. Et que le président mauritanien Maaouiya Ould Taya, dont le pays n’appartient pas à ce sous-ensemble et a quitté la Cedeao, envisage d’inviter les autres États de l’Afrique de l’Ouest à se retirer, en cas de blocage au huis clos de Maputo, pour se concerter.
Le Malien Amadou Toumani Touré a lui aussi pour objectif d’éviter toute déchirure. Il a profité d’un séjour le 23 mai dernier à Abidjan pour suggérer à son homologue Laurent Gbagbo de prendre langue avec Konaré. Le numéro un ivoirien recevra quelques jours plus tard l’ex-locataire du palais présidentiel malien. Au centre de leurs conversations, bien sûr, l’élection de juillet à Maputo, dont l’issue ne doit pas constituer une pomme de discorde entre leurs deux pays.
De fait, les Ivoiriens acceptent mal – surtout par ces temps de crise que connaît leur pays – que le Mali, dont plusieurs dizaines de milliers de ressortissants vivent chez eux, présente un candidat contre le leur.
En Afrique centrale, en attendant de savoir si l’ancien homme fort de São Tomé e Príncipe Miguel Trovoada pourra entrer en lice ou non (voir encadré ci-dessous), l’ex-chef de la diplomatie ivoirienne semblait tenir la corde. Parce que dans la région, on y apprécierait peu le rôle d’avocat de la démocratie que Konaré a joué pendant les dix ans qu’il est resté à la tête du Mali, condamnant ou admonestant ceux de ses pairs qui s’accordaient quelque liberté avec les principes démocratiques. Alpha Oumar Konaré a-t-il pu obtenir le soutien des présidents Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso et Teodoro Obiang Nguema Bassogo, qu’il devait rencontrer en marge du sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), les 2 et 3 juin à Libreville ? Ou ces derniers apporteront-ils plutôt leur appui à Trovoada qui était également présent pour, lui aussi, faire campagne ?
Seule certitude, les candidats comme les chefs d’État qu’ils courtisent sont avares de confidences, et le jeu de cache-cache pourrait durer jusqu’au sommet de Maputo. Nombre de votes ne se décideront qu’au dernier moment. Certains États, soucieux de ne mécontenter personne avant le scrutin, soutiennent les deux prétendants ou, comme l’Égypte et l’Algérie (qui n’en rêve pas moins d’un axe Alger-Abuja-Pretoria, trois des cinq capitales, avec Le Caire et Dakar, qui tirent la locomotive du Nepad), évitent de se prononcer publiquement. Tout comme la France, qui certes ne vote pas, n’exprime aucune position officielle, même si on sait que le président Jacques Chirac, pourvu de quelque influence sur le continent, n’aime pas particulièrement Konaré.
Mais tous ne s’entourent pas d’autant de précautions, affichant clairement leur préférence. Ainsi de grands contributeurs de l’UA comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou la Libye qui n’ont jamais caché leur soutien à l’ancien président malien. Au sommet de Durban, en juillet 2002, ils avaient fait déjà comprendre aux autres États membres qu’ils ne voulaient pas qu’Amara Essy soit reconduit à la tête de l’organisation. Faute d’avoir pu réunir une majorité autour de leur démarche, ils ont proposé sans plus de succès un intérim de trois puis de six mois. La présidence intérimaire de la Commission de l’UA sera en fin de compte confiée à l’ex-chef de la diplomatie ivoirienne pour un an.
Ils reviennent aujourd’hui à la charge. Leur raisonnement : l’Union européenne s’est construite autour de l’axe France-Allemagne ; l’UA, qui s’inspire de l’architecture de l’organisation européenne, gagnerait à s’appuyer sur un axe Afrique du Sud-Nigeria-Libye – même si Kadhafi ne fait pas l’unanimité parmi ses pairs, loin s’en faut. Et l’homme idéal pour prendre la direction de la nouvelle structure ne peut être qu’Alpha Oumar Konaré sitôt son second et dernier mandat terminé. Préférence légitime, qui s’avéra alors ne pas être celle de la majorité des pays membres. À cause de la crainte chez certains chefs d’État de se retrouver en face d’un ancien collègue et perdre ainsi la faculté de lui en imposer, voire de le convoquer au besoin ? Possible. Mais aussi, plus prosaïquement, à cause de la personnalité des deux candidats. Elle entrera de nouveau en ligne de compte à Maputo.

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