Pire que le Watergate !

Publié le 17 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Le mystère des armes de destruction massive irakiennes a beaucoup perdu de son mystère. Des articles récemment parus dans les principaux journaux britanniques et newsmagazines américains, fondés sur des fuites émanant de spécialistes du renseignement scandalisés, viennent à l’appui des sources qui ont indiqué à mon confrère Nicholas Kristof que l’administration Bush avait « grossièrement manipulé les informations » concernant les armes de destruction massive.
En Grande-Bretagne, l’indignation n’a pas été le seul fait des opposants à la guerre. Le Times y était favorable : il n’en a pas moins publié un article intitulé « Le grand mensonge ». Le texte souligne le parallèle entre la manière dont la guerre a été présentée et d’autres affirmations totalement erronées : « Le gouvernement a « donné un coup de pouce » à la menace représentée par les armes de Saddam comme il donne un coup de pouce à tout le reste. » Rares, pourtant, sont aux États-Unis ceux qui se sont permis de tels commentaires, bien que le mot employé par le Times, « to spin », soit bien trop gentil pour décrire la manière dont l’administration Bush « arrange les choses » tout le temps.

J’exagère ? Au moment où le président Bush laissait pantois les journalistes en annonçant : « Nous avons découvert les armes de destruction massive », le Comité national républicain déclarait que la dernière baisse des impôts profitait « à tous ceux qui en payent ». C’est purement et simplement un mensonge. Huit millions d’enfants n’ont pas été pris en compte dans le calcul des impôts par une entourloupette de dernière minute. Au total, 50 millions de foyers américains n’ont droit à rien ; 20 millions y gagneront moins de 100 dollars. Et la grande majorité des autres paiera elle aussi des impôts.
Cette présentation mensongère d’une baisse d’impôts élitiste qui n’apporte rien ou presque à la plupart des Américains n’est que la dernière d’une longue série de falsifications. Induire le public en erreur a été une stratégie permanente de l’équipe Bush sur des problèmes qui vont des impôts à l’énergie. Pourquoi faudrait-il donner à cette administration le bénéfice du doute en politique étrangère ?
Il y a déjà longtemps qu’elle raconte n’importe quoi. Sa manière de faire depuis deux ans est maintenant bien connue. Chaque fois que l’administration sort une énormité, le club de ses supporteurs entonne à l’unisson que le noir est blanc et que le haut est en bas. Les médias dits « libéraux » se contentent d’indiquer que certains disent que le noir est noir et que le haut, c’est le haut. Et quelques démocrates dédouanent l’administration en faisant semblant de croire aux mensonges.

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Si ce manque de fiabilité s’étend à la question de la guerre et de la paix, l’Amérique se trouve dans une situation grave. Les Britanniques semblent le comprendre. Max Hastings, correspondant de guerre qui a soutenu la participation de la Grande-Bretagne à la guerre, écrit : « Le Premier ministre a mobilisé des troupes et sacrifié des vies sur la base d’un mensonge. C’est lamentable. »
Ce n’est pas une réponse de dire que Saddam était un tyran. Je pourrais rappeler qu’un bon nombre des néoconservateurs qui ont fomenté cette guerre restaient indifférents, ou pire, devant les massacres collectifs perpétrés en Amérique centrale dans les années quatre-vingt. Mais l’important n’est pas Saddam : l’important c’est l’Amérique. On a raconté que Saddam représentait une menace imminente. Si cette affirmation est erronée, la manière dont on a entraîné les États-Unis dans la guerre est le pire scandale de l’histoire politique américaine – pire que le Watergate, pire que l’Irangate. En vérité, l’idée que les Américains ont été embarqués dans la guerre par la tromperie met beaucoup de commentateurs si mal à l’aise qu’ils refusent d’en admettre la possibilité.
Mais voici plutôt ce qui devrait mettre ces commentateurs vraiment mal à l’aise. Supposez que cette administration ait manipulé les Américains pour leur faire avaler cette guerre. Et supposez qu’on ne lui demande pas des comptes pour ses coups fourrés, et que Bush puisse, l’an prochain, organiser ce que Hastings appelle une « élection kaki ». Alors le système politique américain peut se retrouver absolument, et peut-être irrévocablement, corrompu.

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