« Méfiez-vous ma petite Christine… »

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 2 minutes.

Je suis partie à la découverte de Françoise. Avec infiniment de respect, d’admiration, d’affection même, mais aussi avec l’exigence qu’elle a manifestée si volontiers à l’égard des autres. Pendant plus d’un demi-siècle, avec intuition, cruauté parfois, elle n’a cessé de juger, de jauger ses contemporains pour les brosser en quelques phrases sèches, les griffant volontiers de formules peaufinées, rarement gratuites. Giroud a aimé le journalisme de chair et d’os. Elle s’est intéressée aux êtres plus qu’aux concepts, elle a pratiqué la critique plutôt que l’analyse, aux sentiments elle a préféré les mots. C’est ainsi qu’elle s’est fait craindre, admirer, respecter.
J’ai connu Françoise, mais, à la différence de beaucoup de journalistes de ma génération, ce n’est pas auprès d’elle que j’ai fait mes classes. Je n’ai pas eu cette chance ; passant par les États-Unis et la télévision, j’ai suivi d’autres chemins. Je l’ai rencontrée plus tard, grâce à l’un des hommes de sa vie, le seul sans doute qui lui ait offert le goût du bonheur, Alex Grall, qui dirigea les éditions Fayard avant Claude Durand. Elle se montra alors cordiale et distante, figée dans son personnage si lisse de la réussite au féminin.
Je ne vis jamais autant Françoise Giroud que lorsque, à mon tour, j’eus l’honneur de diriger L’Express. Fière et intimidée d’assumer, à des années de distance, une telle succession, je lui apportai nos projets de nouvelle maquette, qu’elle jugea d’un coup d’oeil, allant droit aux imperfections, soulignant les scories de son doigt noué par l’âge, retrouvant subitement dans la voix la rapidité, l’énergie de ces années-là où elle incarnait l’audace et l’innovation de la presse magazine. Comme je m’inquiétais un jour auprès d’elle du ton à donner à mes éditoriaux, elle partit sans mot dire dans son bureau et revint avec un grand cahier cartonné aux spirales raidies par le temps :
« Tenez, me dit-elle, c’est pour vous. »
Soigneusement collés, je découvris, page après page, ses billets des années 1971-1972.
« Méfiez-vous, ma petite Christine, me dit-elle un jour, ce journal a la scoumoune !

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