Le 11 septembre de Nouakchott

À 4 heures du matin, ce 8 juin, les putschistes de l’ex-colonel Saleh Ould Hanenna pensent avoir réussi leur coup. Deux heures plus tard, le président Ould Taya a complètement retourné la situation.Que s’est-il passé ?

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

Ce fut une tentative de putsch à l’arabe, pas un coup d’État à l’africaine. Une affaire violente et sourde entre militaires à laquelle la population ne prit aucune part. Elle a été préparée dans le secret, gérée sans états d’âme ni déclarations et s’est conclue par un retour à la normale ultrarapide. En un temps record, Nouakchott a balayé les stigmates de ce terrible dimanche, comme si rien, ou presque, ne s’était passé. Un accident, en somme, à peine un événement…
Pourtant, le 8 juin mauritanien, c’est un peu le 11 septembre américain ou le 16 mai marocain. Un choc majeur, traumatisant, même s’il fit très peu de victimes civiles, dans une capitale qui n’avait plus connu le crépitement des armes depuis le raid qu’y avait mené le Polisario, il y a près de trente ans.
À l’origine : un groupe d’officiers et de sous-officiers du bataillon blindé dont la caserne est située dans le quartier Arafat, sur la route de Rosso, à quelques kilomètres au sud du centre de Nouakchott. En l’absence de leur chef d’unité, en stage à l’étranger, ces cadres auraient été incités à agir par leur ancien commandant, l’ex-colonel Saleh Ould Hanenna. Originaire de l’est du pays, celui-ci a été exclu de l’armée, il y a un an, pour avoir critiqué devant ses hommes le président Ould Taya. C’est, dit-on, un baasiste bon teint, à moins qu’il ne soit nassérien. Un nationaliste arabe, en tout cas, campé sur le refus absolu de la politique proaméricaine mise en oeuvre par un pouvoir qui a reconnu l’État d’Israël en 1999. Pourtant, l’ambition personnelle et les comptes qu’Ould Hanenna estimait avoir à régler (il serait en fuite avec une poignée de complices) ont à l’évidence joué un rôle au moins aussi important que ses convictions politiques. Il ne paraît, enfin, entretenir de lien ni avec l’opposition légale, ni avec d’anciens chefs de l’État comme Khouna Ould Haidallah ou Mokhtar Ould Daddah (ce dernier était d’ailleurs en France au moment du coup d’État). Jusqu’à plus ample informé, Hanenna roulait pour lui seul.
Fort de sa quinzaine de chars et de véhicules blindés de fabrication russe offerts par les Irakiens à la fin des années quatre-vingt et réparés depuis par des techniciens chinois, le bataillon pénètre dans le centre de la capitale vers 1 heure du matin, le dimanche 8 juin. La colonne se divise en plusieurs groupes qui prennent la direction du nouveau palais présidentiel, de l’aéroport, de l’état-major, du siège de la télévision et de celui de la radio… Le palais est pris d’assaut, tout comme l’état-major, où le colonel Mohamed Lemine Ould N’Diayane, qui refuse de se rendre, est déchiqueté par un tir de roquette. Au même moment, un petit avion d’observation survole les lieux – ce qui signifie que les putschistes doivent avoir bénéficié de complicités au sein de l’armée de l’air -, contraignant les loyalistes à disperser leur riposte. Dans la confusion, les portes de la prison centrale s’ouvrent, libérant plusieurs centaines de détenus qui se livrent aussitôt au pillage de quelques bâtiments proches, notamment le ministère de l’Éducation et le siège de la Poste. À 4 heures du matin, les mutins pensent avoir gagné. À 6 heures, ils ont perdu.
Le premier instant de surprise, et parfois de panique, passé, la gendarmerie et la garde présidentielle (le Basep) s’organisent et opposent une vive résistance. Aucune défection n’est enregistrée dans leurs rangs, et les rebelles ne parviendront jamais à diffuser sur les ondes le communiqué de victoire qu’ils avaient préparé. Les loyalistes tiendront jusqu’à l’arrivée, en fin d’après-midi, des renforts venus de Rosso, d’Aleg et, surtout, d’Atar, la ville natale du président, où les troupes d’élite (les « bérets rouges ») se sont mises en mouvement dès l’annonce de la tentative de putsch.
Lundi 9 en début de matinée, après une nuit calme, l’assaut est lancé contre la caserne du régiment blindé qui servait de QG aux mutins. Toute résistance de la part des hommes d’Ould Hanenna cesse vers 12 h 30. Peu avant 13 heures, Ould Taya regagne son bureau de la présidence. Il enregistre une très sobre déclaration radiotélévisée en arabe, qui sera diffusée dans l’après-midi. Le cauchemar prend fin.
Le fait que le chef de l’État n’ait pas cherché refuge dans une ambassade étrangère, mais qu’il se soit au contraire fondu au sein de ses troupes, dirigeant lui-même la contre-offensive avec l’aide d’officiers de valeur comme le colonel Ely Ould Mohamed Vall, est évidemment la clé de tout. Son exemple a été déterminant dans la sérénité affichée par ses proches, dès les premières heures. « Nous contrôlons la situation. Le président est sur le théâtre des opérations. Lui-même et sa famille vont bien. Il ne reste plus que quelques poches de résistance à réduire », nous disait ainsi, sans forfanterie, le secrétaire général du parti au pouvoir Louleïd Ould Waddad, dimanche 8 juin en fin de matinée. Un calme qui contrastait avec la forte émotion enregistrée, au même moment, tant à Paris qu’à Washington, Rabat, Alger ou Dakar.
Les Américains, qui ont dépêché le 10 juin à Nouakchott une trentaine de militaires des forces spéciales afin d’assurer la protection de leur ambassade et de leurs quelque 250 ressortissants (sans doute est-ce là ce qu’on appelle « sur-réagir »), ont paru les plus inquiets. « Le département d’État n’a pas cessé de nous harceler, afin de connaître notre évaluation de la situation », confie-t-on au Quai d’Orsay. Inquiets aussi, Jacques Chirac et Abdoulaye Wade ont, en vain, cherché à joindre Ould Taya dans la journée de dimanche. Fidèle à lui-même, le président mauritanien souhaitait d’abord régler la situation avant de prendre connaissance des messages de ses pairs – question de priorités, mais aussi de fierté. Ce n’est que le lendemain, lundi, qu’Ould Taya prendra les appels d’une bonne dizaine de chefs d’État. Parmi eux, Mohammed VI, très tôt rassuré, il est vrai, par son ambassadeur Abderrahmane Benomar (lequel se trouvait, par hasard, à Rabat), qui est sans doute le diplomate étranger le mieux informé sur la Mauritanie. Baptême du feu, enfin, pour Patrick Nicoloso, le nouvel ambassadeur de France, arrivé à Nouakchott l’avant-veille de la tentative de coup…
Si la communauté internationale a tenu à manifester sa solidarité envers le régime, c’est parce que la Mauritanie ne se connaît pas d’ennemis (seule la Libye, dont la réaction à la tentative de putsch s’est fait attendre, peut être considérée comme inamicale). C’est aussi parce que ce pays est, aux yeux des bailleurs de fonds, une success story prometteuse. Cette image, plutôt flatteuse, est-elle désormais obsolète ? Sans doute pas. Le pouvoir, et tout particulièrement son chef, a démontré sa cohésion, son courage face à l’épreuve et sa volonté de ne pas céder aux sirènes de l’État d’exception : pas de couvre-feu ni de fermeture des frontières, maintien du processus démocratique et de l’élection présidentielle fixée au 7 novembre prochain, pas d’arrestation intempestive dans les milieux de l’opposition…
À l’évidence, profitant de la réaction unanime de rejet de la violence au sein d’une population choquée, Maaouiya Ould Taya bénéficie d’un nouvel état de grâce qui ne pourra que faciliter sa réélection. Son image et son aura personnelles sortent renforcées de la crise : dans ce pays et cette société, le courage physique, le calme et la détermination silencieuse sont considérés comme des valeurs essentielles. Demeurent les questions auxquelles, il le sait, il lui faudra trouver les réponses : pourquoi cette tentative, totalement inattendue, a-t-elle été possible ? Pourquoi les comploteurs ont-ils pu préparer leur coup sans être repérés ? Y a-t-il eu un dysfonctionnement, une rupture, dans la chaîne du renseignement et de la surveillance ? Qu’auraient fait les mutins s’ils avaient pris le pouvoir dans le sang ? Bénéficiaient-ils de complicités cachées, de soutiens étrangers ? Une semaine après le coup d’État, heureusement manqué, la capitale a, certes, retrouvé son visage d’avant. Pourtant, chacun sait confusément qu’après ce 8 juin 2003 la Mauritanie n’est plus tout à fait la même. Dans son bureau retrouvé, Maaouiya Ould Taya, 62 ans, médite aussi sur son propre destin. Après tout, cet homme aussi secret que subtil vient d’échapper à la mort.

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