Le jour où l’Iran aura la bombe…

Convaincue que Téhéran progresse rapidement dans le domaine des armes nucléaires et des missiles balistiques, l’administration américaine semble cependant hésiter sur l’attitude à adopter.

Publié le 17 juin 2003 Lecture : 7 minutes.

Bien qu’ils aient fort à faire avec la situation en Irak et les négociations israélo-palestiniennes en perdition, les États-Unis accordent une attention soutenue à l’Iran, où ils prétendent avoir relevé des signes montrant que Téhéran fait le forcing pour acquérir des armes nucléaires. Les services de renseignements américains estiment que l’Iran veut disposer de la bombe pour se protéger de la punition que les États-Unis ont infligée à l’Irak, mais aussi pour instaurer un équilibre régional des pouvoirs face à Israël, qui possède, lui, l’arme nucléaire.
Selon ces services, le programme nucléaire iranien – basé sur des centres d’enrichissement de l’uranium largement dispersés – est plus ambitieux et plus avancé que les Américains ne le supposaient jusqu’ici. Des progrès plus rapides que prévu ont été également réalisés dans le développement des vecteurs, et notamment du missile balistique à longue portée Shahab 3.
L’administration Bush semble de plus en plus convaincue que l’Iran a pris une décision stratégique de fabriquer des armes nucléaires, et que cette décision a l’appui à la fois des conservateurs et des réformateurs du gouvernement iranien.
Certains analystes pro-iraniens soutiennent qu’une bombe iranienne serait, en fait, un élément stabilisateur dans une région où, à l’instar d’Israël, l’Inde, le Pakistan et la Russie possèdent l’arme nucléaire. Il va sans dire que ce n’est pas ce qu’on pense aux États-Unis ou en Israël. De fait, les Israéliens exercent une forte pression sur les Américains pour les persuader de casser le programme nucléaire iranien, ou pour obtenir l’autorisation de le faire eux-mêmes, par une frappe aérienne comme celle qui avait été lancée en 1981 contre le réacteur Osirak, en Irak. Préserver son monopole régional d’armes de destruction massive est un des principes fondamentaux de la politique de défense d’Israël, approuvé, pense-t-on, par les États-Unis dans le cadre d’engagements secrets pris avec l’État hébreu.
Les informations sur les rapides progrès réalisés par l’Iran dans le domaine des armes nucléaires et des missiles balistiques ont donné lieu à un intense débat à Washington. Certains faucons souhaiteraient que les États-Unis bombardent eux-mêmes les nombreux sites nucléaires de l’Iran afin de casser, ou, à tout le moins, de retarder son programme nucléaire. Mais, pour le moment du moins, la majorité des conseillers du président George W. Bush – et, croit-on, le président lui-même – est plus prudente. Elle recommande d’autres moyens de pression, tels que l’arrêt des contacts diplomatiques, des sanctions de l’ONU, la mobilisation d’autres pays contre l’Iran et même un soutien apporté aux groupes d’opposition qui veulent renverser le régime islamique. En se référant au modèle irakien, certains exilés iraniens – dont Reza Pahlavi, le fils du dernier shah – ont convaincu des dirigeants américains que le gouvernement islamique est sur le point d’être chassé du pouvoir par les forces démocratiques. Si cela se produisait, un « nouvel Iran » pourrait décider volontairement de renoncer à ses ambitions nucléaires, comme l’a fait l’Afrique du Sud dans les derniers temps du régime de l’apartheid. Les États-Unis ont demandé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et à son chef Mohamed el-Baradei de déclarer que l’Iran avait violé les engagements qu’il avait pris dans le cadre du traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Le comité directeur de l’AIEA se réunit le 16 juin pour décider si une initiative doit être prise pour persuader l’Iran de tenir ses engagements.
On admet généralement, cependant, que si un pays est déterminé à fabriquer des armes atomiques, de simples inspections ont peu de chances de l’en empêcher. Même si l’Iran acceptait de signer le « protocole additionnel » au TNP, qui prévoit des garanties renforcées sous la forme d’accès libre et sans préavis aux installations, et l’élargissement de la liste des activités qui doivent être déclarées à l’AIEA, le problème ne serait pas réglé pour autant. L’Iran pourrait très bien signer et ensuite faire traîner la ratification. Israël et l’Irak ont pendant des années abusé l’opinion internationale sur leur programme nucléaire. Tel-Aviv s’en est tiré sans problème et possède aujourd’hui, dit-on, des centaines d’armes atomiques. Il en est allé autrement de l’Iran. Les États-Unis comptent aussi sur d’autres pays pour mettre la pression sur Téhéran. Cela est apparu clairement au sommet du G8, à Évian, en France, au début du mois. Le communiqué final a invité l’Iran à tenir ses engagements vis-à-vis du TNP, mais aussi à signer le « protocole additionnel ». Lors de sa conférence de presse, le président français Jacques Chirac a déclaré : « La perspective d’un accès de l’Iran aux armes nucléaires est un sujet de préoccupation pour tout le monde. Nous avons tous exprimé l’espoir que, par des moyens diplomatiques, nous pourrions obtenir que Téhéran accepte des contrôles. Pour le moment, nous en sommes là. » Mais le bruit a couru avec insistance au sommet que Bush aurait dit aux autres chefs d’État qu’il était prêt, en dernier recours, à utiliser la force. Il semble que l’Iran commence à tenir compte de cette pression orchestrée par l’Amérique. Le chef de l’Organisation de l’énergie atomique iranienne, Gholamreza Aghazadeh, a déclaré, la semaine dernière, que Téhéran accepterait une inspection supplémentaire de son développement nucléaire si les sanctions américaines contre l’Iran étaient levées et si le pays était autorisé à acquérir une technologie plus avancée. Dans leurs dispositions actuelles, il est peu probable que les États-Unis acceptent ces conditions pourtant conciliantes.
Certains dirigeants américains craignent que si l’attention se porte trop sur l’Iran et sur ses armes nucléaires, on oublie un peu le travail qui est loin d’être fini en Irak et le conflit israélo-palestinien. En tout état de cause, le moment est mal venu pour les États-Unis de provoquer une autre crise au Moyen-Orient. La coupe est déjà pleine. En Irak, les agressions se multiplient contre les soldats américains : 30 ont été tués et des dizaines blessés ces six dernières semaines, et l’on a décompté 85 attaques armées. Du coup, d’aucuns reposent la question de savoir s’il était bien avisé d’aller y faire la guerre. La plupart des agressions ont eu lieu dans les zones chiites, au centre du pays. Les Américains craignent que la résistance armée ne s’étende aux faubourgs chiites surpeuplés de Bagdad et au Sud. « Stabiliser » l’Irak se révèle une tâche presque impossible.
C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles Paul Bremer, le « proconsul » américain de l’Irak, a accusé l’Iran, la semaine dernière, d’« intervenir » dans les affaires irakiennes. « Les Iraniens sont conscients de ce qu’ils font, a-t-il déclaré. Ils savent que nous n’en sommes pas très heureux et qu’ils devraient arrêter. »
Aux États-Unis mêmes, l’administration cherche à trouver une réponse à ceux qui se demandent comment elle a pu se convaincre que l’Irak possédait des armes de destruction massive et que ces armes représentaient une menace pour la région et pour le monde. On montre du doigt les va-t-en-guerre néoconservateurs du Pentagone, tels que le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz. Un important columnist du New York Times, Paul Krugman, écrivait tout récemment : « Je vous dirai ce qui est scandaleux. Ce n’est pas le fait que l’on critique l’administration, c’est le fait que personne ne semble être tenu pour responsable d’avoir embarqué les États-Unis dans cette guerre » (lire aussi « En vérité », p. 31).
En Grande-Bretagne, on reproche encore plus vigoureusement au Premier ministre Tony Blair d’avoir dit et répété que « désarmer » Saddam Hussein était une urgente nécessité. Il a été traité de menteur et a perdu une grande part de sa crédibilité. On n’a pas trouvé d’armes de destruction massive en Irak malgré les recherches intensives menées depuis deux mois par des équipes américaines et britanniques. Ce qui fragilise la position des faucons à Washington et celle de Tony Blair à Londres. Il leur est encore plus difficile de prétendre que les armes nucléaires iraniennes ou la capacité qu’a l’Iran d’en développer – présentent aujourd’hui une grave menace.
Dans un article publié au début du mois, et qui a fait quelque bruit, l’ancien ministre des Affaires étrangères britannique Robin Cook un homme de convictions, déclarait : « Cette fois, nous devons faire savoir clairement à la Maison Blanche que nous ne subordonnerons pas les intérêts de la Grande-Bretagne à une politique de confrontation américaine. L’Iran ne doit pas être le prochain Irak. »
La résistance qui se manifeste en Irak et la menace qui se profile en Iran ne sont pas les seuls problèmes auxquels doit faire face l’Amérique. La Corée du Nord – autre pilier de « l’axe du Mal » de Bush – a indiqué qu’elle était déterminée à acquérir des armes nucléaires. Et peut-être même qu’elle en possède déjà. « Nous n’avons pas d’autre option que la dissuasion nucléaire tant que les États-Unis continueront d’avoir une politique hostile à notre égard », a affirmé Pyongyang. Le 10 juin, la Maison Blanche a rétorqué que « la Corée du Nord devait démanteler complètement et immédiatement son programme d’armes nucléaires ». Rien n’indique que cette injonction sera suivie d’effet.
Mais la plus grave menace pour la politique et les ambitions de George W. Bush vient peut-être du Premier ministre israélien Ariel Sharon. Bush a joué sa crédibilité personnelle sur un règlement du conflit israélo-palestinien fondé sur sa « vision » de deux États coexistant pacifiquement. Au récent sommet d’Aqaba, Sharon a fait semblant d’accepter cette « vision », mais a immédiatement entrepris d’en annuler tous les effets. La tentative d’assassinat d’Abdelaziz Rantisi, le porte-parole politique du Hamas, avec un missile lancé à partir d’un hélicoptère israélien a réduit à néant les « bons offices » de Bush, et immédiatement provoqué un contre-attentat suicide sanglant, comme, bien évidemment, prévu. On attend maintenant de voir comment le président américain réagira à ce défi manifeste, autrement que par de bonnes paroles.

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