[Tribune] Afrique de l’Est : ce qui doit changer après le Covid-19
La crise économique et sanitaire démontre – paradoxalement – que la relocalisation de la production se fera d’abord grâce à la plus grande ouverture au commerce. Une tribune de Christian Yoka, directeur régional de l’Agence française de développement en Afrique de l’Est, coécrite avec Gaëlle Balineau, économiste pour l’AFD.
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Christian Yoka
Christian Yoka est directeur régional de l’AFD en Afrique de l’Est
Publié le 30 juin 2020 Lecture : 3 minutes.
Une opportunité serait apparemment à saisir en Afrique après la pandémie : (re)localiser la production sur le continent pour sécuriser les approvisionnements. Pourtant, les risques de rupture d’approvisionnement ne viennent pas tant du manque d’usines en Afrique que de la concentration du commerce.
L’Afrique importe 75 % de ses médicaments de l’Europe, de l’Inde, ou de la Chine. Sécuriser les approvisionnements passe d’abord par une diversification des fournisseurs, accompagnée d’accords commerciaux. Cela peut-il se faire au bénéfice des pays africains ?
Les circuits d’échanges intracontinentaux sont plus fragiles que les circuits internationaux. Malgré la pandémie, les avions cargos atterrissent à Nairobi, les porte-conteneurs s’amarrent à Djibouti, les pétroliers quittent Port Soudan. Le trafic au port kényan de Mombasa ne devrait diminuer que de 2,1 % au premier trimestre 2020 par rapport à 2019. C’est ensuite que le bât blesse.
Il faut huit jours pour dédouaner un conteneur à Mombasa, moins de deux jours à Maurice, à peine 10 minutes en Europe
Les échanges intra-communautaires de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) ne représentent que 20 % de son commerce total (contre 70 % pour l’Europe). En cause : la mauvaise qualité des infrastructures, la complexité des procédures administratives, la faible compétition dans le secteur des transporteurs, et la faible inter-connectivité des modes de transports. Ainsi, il faut huit jours pour dédouaner un conteneur à Mombasa, moins de deux jours à Maurice, à peine 10 minutes en Europe.
Ces différences sont encore plus marquées une fois sur les corridors. Selon TradeMark East Africa, Addis-Abeba doit patienter douze jours pour recevoir une cargaison de Djibouti, à 850 km. C’est quatre fois plus long que les moyennes asiatiques sur la même distance.
La crise actuelle jette une lumière crue sur ces difficultés : les files d’attente aux frontières ougandaises et sud-soudanaises atteignent 70 km. L’absence de reconnaissance mutuelle des tests Covid a mené à des conflits entre la Tanzanie et le Kenya, mettant en danger les transporteurs. Autre signe de la moindre résilience des circuits continentaux : le différentiel d’inflation par produit (importé ou non).
Au Kenya, les conflits et délais subséquents à la frontière tanzanienne ont multiplié le prix du kilo d’oignons par trois. Difficile certes de distinguer ce qui vient des problèmes d’approvisionnement, de ce qui est dû à l’invasion de criquets, aux inondations éclairs, ou à l’inflation récurrente lors du Ramadan. Cependant, les entreprises africaines interrogées confirment que les approvisionnements locaux sont davantage rompus que les autres.
L’adoption par la CAE d’un système de suivi électronique des cargaisons est particulièrement encourageante
L’adaptation du commerce intra-africain aux chocs est encore compliquée du fait des inégalités d’accès aux services financiers et numériques. L’adoption par la CAE d’un système de suivi électronique des cargaisons ; notamment pour recenser les tests Covid effectués sur les chauffeurs, est particulièrement encourageante. Elle montre qu’une action coordonnée au niveau continental est possible. Et heureusement, car celle-ci est nécessaire pour réguler les flux, mais aussi les droits de propriété intellectuelle, la compétition, la qualité.
Très certainement, la reconnaissance mutuelle des laboratoires de contrôle de la qualité sera en haut de l’agenda de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). Peut-être aussi le recours généralisé au rail, comme depuis le 1er juin sur une partie du corridor Mombasa – Ouganda, Rwanda et Soudan du Sud. Une décision négociée également dans le cadre de la CAE pour assurer la sécurité des chauffeurs et un approvisionnement plus fluide.
La pandémie actuelle pourrait en fin de compte accélérer l’intégration régionale. Elle montre à quel point la facilitation du commerce est cruciale en temps de crise, comme un miroir grossissant de l’importance des échanges pour le développement en temps normal. Au moment où l’Afrique fait le pari du marché local pour accroître les opportunités économiques – et, pour cela, les mesures « Covid » de soutien à la demande seront fondamentales – il faut pouvoir échanger de façon fluide. Sans cela, pas d’accès aux marchés pour les producteurs, pas d’économies d’agglomération, pas d’économies d’échelle.
Finalement, le défi que les États africains ont déjà choisi de relever via la zone de libre-échange continentale est de sécuriser les échanges pour relocaliser. Non l’inverse.
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