La crise vue de l’intérieur

Si le livre vise la direction du journal, il a contraint l’ensemble de la rédaction à se remettre en question. Un électrochoc apparemment bienvenu.

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Ils ont été sonnés, abasourdis par les « révélations » contenues dans La Face cachée du « Monde ». Le pavé de six cents pages a fait mal, très mal aux journalistes du quotidien : déontologie bafouée, trafic d’influence, magouilles en tout genre… Péan et Cohen ont visé les dirigeants. Par ricochet, le discrédit s’est abattu sur toute la rédaction, la faisant descendre subitement de son piédestal. Aujourd’hui, cette rédaction se pose de nombreuses questions. Et, surtout, attend des réponses.
« Le premier comité de rédaction a eu lieu deux jours après la mise en vente du livre [le 26 février], nous explique un journaliste, soucieux, comme tous ses confrères, de garder l’anonymat. Nous étions catastrophés. Mais notre première réaction a été de nous montrer solidaires avec notre direction et de rejeter en bloc les accusations de Péan et Cohen. » Une description contestée par une consoeur, qui a plutôt ressenti « le sentiment de honte qui se dégageait de chacun d’entre nous ». De l’avis de tous, le deuxième comité de rédaction fut plus « efficace » : organisation de la riposte, grand déballage… « Une quarantaine de personnes sont intervenues, dont les deux tiers étaient assez critiques envers la direction, nous raconte une personne présente. C’était très différent de la première réunion, où personne n’avait osé broncher. »
Le directeur de la rédaction, Edwy Plenel, exige qu’on « ne balance pas en interne ». Mais si la majorité de la rédaction reste « loyaliste », les langues se délient peu à peu. « La moitié de la rédaction est terrorisée », dénonce le dessinateur Plantu. Le chroniqueur Daniel Schneidermann, par ailleurs animateur de l’émission Arrêt sur images sur France 5, met lui aussi en cause sa direction : « Une réponse publique sur les faits, aussi précise que possible est la seule voie. À quoi bon jouer sur les mots ? […] Notre journal est un pouvoir. Un pouvoir aux mains sales parfois », écrit-il dans Le Monde Télévision du 1er mars. Le ver est dans le fruit. « Nous venons de perdre deux étoiles au Michelin, on veut comprendre pourquoi et savoir où l’on va sur le plan économique », explique un de nos interlocuteurs « masqués », mis au placard par Plenel.
« La chose la plus juste du bouquin, c’est le comportement autocratique d’Edwy Plenel. Demandez-vous donc pourquoi tant de journalistes acceptent de répondre à vos questions, mais demandent à ne pas être cités : ils ont une peur bleue de lui. Beaucoup le détestent, même s’ils voient en lui un grand professionnel. Aujourd’hui, notre rédaction manque de caractère. Parce que Plenel a émasculé tout le monde, anéanti les contre-pouvoirs internes, mis en place des journalistes qui lui doivent tout. Pour ce monsieur, l’allégeance compte autant que la compétence. » Des trois dirigeants mis à l’index, Plenel est d’ailleurs le plus fragilisé. « Minc ne compte pas pour nous. Il ne nous fait pas honneur. S’il est là, c’est seulement pour son carnet d’adresses. » Colombani, lui, jouit d’une certaine légitimité. Il a été élu. Plenel choque par son comportement. En outre, c’est lui qui a instauré ce fameux « journalisme d’investigation » dénoncé par Péan et Cohen.
« C’est vrai que Plenel n’écoute jamais personne, qu’il a placé ses gens au sein de la rédaction, précise notre confrère. En revanche, il faut reconnaître qu’il laisse une entière autonomie aux journalistes. Il ne m’a jamais demandé de censurer un passage ni tenté d’influer sur une de mes enquêtes. Il pique des coups de gueule, mais sait reconnaître ses torts. Un jour, il m’a humilié en public en critiquant mon travail de façon très virulente. Il s’est aperçu un peu plus tard que j’avais raison sur le fond et s’est excusé, devant tout le monde. Je pense qu’il ne se rend même pas compte de son attitude. »
L’enquête menée par Péan et Cohen, quels que soient ses motifs et ses inexactitudes, aura au moins créé un électrochoc, apparemment bienvenu. « Le courrier des lecteurs et les gens que nous sommes amenés à rencontrer dans le cadre de notre fonction nous rappellent que rien n’est jamais acquis et cela nous remet les pieds sur terre. Notre crédibilité a été mise en cause. À nous de la restaurer. C’est peut-être un mal pour un bien. » Le pavé de Péan et Cohen a fait voler en éclats la vitrine du Monde. Elle est en cours de rénovation. À l’identique ?

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