« Je ne suis pas celle que vous croyez »

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

En janvier 1983, François Mitterrand avait promu Françoise Giroud au rang d’officier de la Légion d’honneur. La décorant à l’Élysée, dans un de ces petits discours fleuris dont il avait le secret, le président de la République avait rendu hommage « à cette jeune fille courageuse et exilée qui avait su bâtir sur ses seules forces et ses seules réserves une vie entière ».
Françoise n’avait pas aimé : elle ne se considérait pas du tout comme une « exilée ».
En mars 1998, chez elle, devant ses amis, elle reçut des mains d’Alain Decaux la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. Elle nous lut alors ce texte dont elle offrit l’original à Teresa Cremisi :
« Je ne suis pas celle que vous croyez.
Je suis une saltimbanque.
Quand j’étais petite fille, les mères de mes camarades de classe leur interdisaient de venir à la maison. C’est que j’étais la fille d’un réfugié politique, étrangère donc. J’étais pauvre, et j’étais première en classe. Les Français n’aiment pas les étrangers, ils n’aiment pas les pauvres et ils n’aiment pas les premiers. Ma mère adorait la France et elle m’a appris à l’aimer. J’ai voulu furieusement m’approprier sa culture, son histoire, ses beautés. Mais je n’ai jamais voulu m’intégrer, m’insérer dans ce qu’on appelait la bonne société, que j’avais vue si arrogante avec ma mère, si blessante. On n’oublie pas ces choses-là.
Si j’avais été en quête de respectabilité, je n’aurais pas débuté dans le cinéma, le repaire de tous les métèques de l’époque. C’était un milieu incroyable, drôle, créatif, mais complètement en marge. Je ne m’y sentais pas à ma place, peut-être parce que je n’avais pas de place…
Pendant ces années d’apprentissage, j’ai appris quelque chose, c’est que le monde se divise en deux : les dominants et les dominés. Seuls les dominants respirent.
Je n’ai pas dédaigné de me ranger plus tard parmi les dominants, toutes choses égales, puisque j’ai dirigé deux journaux. Le premier fut Elle, journal fondé pour Hélène Lazareff par Pierre Lazareff. Mais qui étaient les Lazareff ? Les rois des saltimbanques. […] À L’Express, journal de tous les combats, j’étais chez moi. J’y suis restée vingt ans, et puis un jour je me suis retrouvée faisant le ministre chez Giscard. « Trahison, trahison ! » a hurlé Defferre. Mendès m’a dit : « Mais qu’est-ce qui vous prend ? » Moi, il fallait que je m’arrange avec moi-même. J’y suis arrivée assez vite, parce que, dans l’exercice de mes fonctions, j’ai eu le sentiment constant d’être utile. […]
Je ne sais plus quand François Mitterrand m’a donné la Légion d’honneur. J’aimais beaucoup François Mitterrand, ce n’est pas la mode de le dire aujourd’hui, mais je le dirai quand même. Je crois néanmoins que j’aurais refusé cette Légion d’honneur si elle n’était intervenue dans des circonstances un peu particulières.
Pendant la campagne municipale de Paris, j’avais été abreuvée d’une calomnie lancée par le RPR et reprise par toute la presse, selon laquelle j’aurais usurpé la médaille de la Résistance. Je n’ai rien usurpé du tout, et justice a été faite quelques mois plus tard de cette histoire. Mais la calomnie est toujours longue à s’éteindre, à supposer qu’elle s’éteigne jamais… Or le Conseil de l’ordre de la Légion d’honneur statue au sujet de chaque candidat. Il est particulièrement vétilleux en ce qui concerne les états de guerre et les faits de Résistance. Que ces vieux messieurs, presque tous issus de la Résistance la plus pure, me donnent leur onction, ça m’a été plus qu’agréable. À partir de là, vous connaissez la routine… Le ruban, la rosette. Et me voilà aujourd’hui devant vous avec cette belle cravate de commandeur. Qu’est-ce que je commande, je n’en sais rien. J’espère que ce n’est pas le respect, ça m’ennuierait. Mais, à mon âge, il y a un risque. J’espère que je saurai rester jusqu’au bout une vieille dame indigne… »

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