Exécution du couple Rosenberg
En ce 19 juin 1953, le monde est abasourdi : aux États-Unis, un homme et une femme, âgés respectivement de 35 ans et 37 ans, viennent d’être exécutés par électrocution, à Sing Sing, la prison de New York. Si la planète est bouleversée et scandalisée, c’est que cette mort symbolise aussi l’échec de sa détermination. Voilà plus de deux ans qu’elle se mobilise pour que les époux Rosenberg, Julius et Ethel, condamnés à mort le 5 avril 1951, soient graciés. Rien n’y a fait. Ni les foules manifestant aux États-Unis et ailleurs. Ni l’appel du pape Pie XII à la clémence du président Eisenhower. Ni la mobilisation des intellectuels de droite et de gauche comme, en France, François Mauriac et Jean-Paul Sartre. Ni les dessins de Picasso diffusés à des millions d’exemplaires. Ni la photo des Rosenberg s’embrassant avec fougue, menottes aux mains : le cliché a pourtant eu un effet considérable tant il donnait des époux une image différente de celle diffusée par la propagande de Washington.
Tout a commencé à Londres, le 3 février 1950. Un savant atomiste, espion de Moscou, Klaus Fuchs, est arrêté. Il parle, il donne des noms. Pour les policiers du FBI qui cherchent à démanteler la filière qui a permis la fuite de secrets atomiques de 1944 à 1946, c’est une aubaine. À son tour, le correspondant de Fuchs aux États-Unis est interpellé. Il jure avoir reçu des documents d’un mécanicien, David Greenglass, travaillant à Los Alamos, le centre atomique américain où a été mise au point la bombe A. Interrogé, Greenglass finit par mettre en cause son beau-frère et sa soeur, les Rosenberg : ce sont eux, jure-t-il, qui lui ont demandé de fournir des informations destinées aux Russes.
Les Rosenberg forment un couple ordinaire. D’une certaine manière, ils représentent le « rêve américain ». L’un et l’autre sont nés à New York dans des familles pauvres, des Juifs immigrés de Russie. À force de travail, Julius devient ingénieur-électricien. Ethel, dactylo, est, elle, passionnée de chant. Ils se rencontrent à une fête de quartier. Ils se marient, ont deux enfants, sont communistes. Soudain, les voilà accusés de « conspiration contre les États-Unis au profit de l’Union soviétique », en clair d’espionnage. Ce qu’ils nieront jusqu’à leur fin.
Cette « affaire » est incompréhensible si on oublie qu’elle se situe en pleine guerre froide. C’est l’époque où Berlin est isolé du reste de l’Allemagne par les Soviétiques, où la Chine bascule dans le communisme, où l’URSS fait exploser sa première bombe atomique, où la guerre de Corée commence. Entre l’Est et l’Ouest, le communisme et le capitalisme, le choc est frontal. L’Amérique n’a plus qu’un objectif : faire pièce partout au « péril rouge ». Elle contre le communisme à l’extérieur et traque les communistes à l’intérieur. Un homme symbolise cette période : le sénateur McCarthy. Au point que son nom propre donnera naissance à un nom commun, le maccarthysme, synonyme d’intolérance et d’inquisition.
Les Rosenberg sont évidemment victimes de cette hystérie. Ils furent d’ailleurs les seuls, en Amérique, à être condamnés à mort pour espionnage en temps de paix.
Cinquante ans plus tard, les archives secrètes du FBI et du KGB, les témoignages tardifs, comme celui de Greenglass, font apparaître une vérité complexe : oui, par conviction, pas pour l’argent, Julius avait « plongé ». Il était le chef d’un réseau d’espionnage dont les activités étaient importantes. Mais avec une étonnante force d’âme, il n’a jamais voulu « coopérer ». Ethel, probablement innocente, a été une épouse fidèle. Jusqu’à l’engloutissement final. Certainement, l’enquête comme le procès furent orientés, des « preuves », fabriquées. Les Rosenberg devaient servir d’exemple. D’où l’incroyable sévérité de la sentence. Julius et Ethel avaient perdu d’avance. Ils devaient vaincre le pire des monstres : une justice politique.
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