Deux « amis » sur le ring

Publié le 17 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Ils sont tous les deux d’Afrique de l’Ouest, musulmans, ouverts d’esprit. Ils vouent une passion commune à la politique, aux relations internationales et au… football. Ils sont de la même génération. L’aîné, Amara Essy, 59 ans, est ivoirien, marié (son épouse, Lucie, est, à ses heures, peintre), six enfants, diplomate de carrière, ancien ministre des Affaires étrangères des présidents Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié. Son « cadet », Alpha Oumar Konaré, 57 ans, est malien, également marié (à l’historienne Adame Ba), quatre enfants, archéologue, ancien ministre, notamment de la Jeunesse, des Arts et de la Culture, et, surtout, ancien président du Mali (1992-2002).
Ils se connaissent de longue date, ne ratent aucune occasion de rappeler qu’ils sont « amis » et « frères », d’autant plus que l’Ivoirien a vécu, dans son adolescence, à Bamako. Ils briguent, l’un et l’autre, la présidence de la future Commission de l’Union africaine. En campagne depuis plusieurs semaines, ils volent d’une capitale à l’autre, en évitant de se rencontrer ou, lorsque les journaux leur en offrent l’occasion, de croiser directement le fer. Ils multiplient les entretiens avec les chefs d’État dont le vote sera déterminant lors du sommet de l’organisation prévu, en juillet prochain, à Maputo.
À écouter l’un et l’autre, au sortir de ces audiences présidentielles, « c’est dans la poche ». Dans la poche de qui au juste ? Du basketteur (Konaré) ou du féru de moto (Essy possède deux grosses cylindrées Kawasaki) ? Du fils de Kayes (ouest du Mali) ou du natif de Bouaké (centre de la Côte d’Ivoire) ? Du docteur en archéologie formé à l’université de Varsovie, en Pologne, ou du diplomate madré à la voix chuchotante qui affirme avoir visité en neuf ans de carrière ministérielle (1990-1999) 185 des 189 pays membres des Nations unies ? Du fou d’ouvrages rares ou du collectionneur de vases asiatiques ? De l’amateur de musique mandingue et d’opéra ou de l’homme qui a accumulé, depuis la fin des années cinquante, plus de cinq mille disques afro-cubains en vinyle ?
Non-conformiste et véritable touche-à-tout, à commencer par l’histoire, la littérature, l’édition et le journalisme (on lui doit la création, en 1983, de la coopérative culturelle Jamana, matrice des premiers journaux privés maliens), jeune retraité, après avoir servi son pays dix ans d’affilée, Alpha Oumar Konaré affirme vouloir mettre son expérience et sa boulimie intellectuelle au service de l’Afrique. Parmi ses parrains putatifs figurent, en bonne place, le Sud-Africain Thabo Mbeki, le Nigérian Olusegun Obasanjo, le Libyen Mouammar Kadhafi (dont l’un des plus proches collaborateurs fait, néanmoins, activement campagne en faveur d’Essy), l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, qui, confirme une très bonne source, lui a apporté son soutien par un message diplomatique en date du 8 juin 2002, quelques heures avant les adieux de Konaré au pouvoir, puis l’a réitéré récemment lors d’un séjour de l’ancien président malien à Alger.
À en croire Konaré, dont la candidature a été déposée officiellement par le Mali le 18 mars 2003, ces quatre « dinosaures » de la vie politique africaine souhaitent – sur le modèle de l’Union européenne – confier la première présidence de la Commission de l’Union africaine à un ancien chef d’État. À leurs yeux, Konaré, le militant panafricaniste, élu démocratiquement en 1992 et qui s’est effacé tout aussi démocratiquement avec un bilan somme toute honorable à la fin de son second mandat, ferait bien l’affaire. En tout cas, pour se donner toutes les chances d’être élu, le Malien mène à la fois une campagne solitaire (avec, selon le cas, un avion libyen ou nigérian) et, en duo avec, bien entendu, son successeur au palais de Koulouba, Amadou Toumani Touré. Ce dernier usant de sa propre aura et de la qualité de ses relations avec ses pairs – y compris avec le Français Jacques Chirac – pour persuader les éventuels « alpharétifs » à voter « pour le Mali ». Pour parvenir à leurs fins, ou éviter que le poste de président de la Commission de l’Union africaine n’échappe – pour cause d’absence de coordination – à l’Afrique de l’Ouest, les Maliens devront, avant tout, résoudre le « cas » Essy. Et ce ne sera pas facile.
Tout ancien ministre qu’il est, le diplomate ivoirien, dont la candidature a été officiellement enregistrée le 28 mars 2003, ne manque pas d’atouts. Élu en juillet 2001, et à titre provisoire, secrétaire général, puis président intérimaire de l’Union africaine, il présente l’avantage, aux yeux de ses partisans, d’être « déjà » dans la fonction. Il a déjà entamé, assurent ces derniers, avec des moyens limités, le lifting de l’incroyable bureaucratie qu’est l’Organisation de l’unité africaine, tout comme il a mis à profit les deux dernières années pour préparer les projets de textes indispensables à la mue du « machin » en une institution plus dynamique, performante et mieux adaptée aux temps modernes.
Pour sa campagne électorale, ce polyglotte – il parle couramment le français, l’anglais et le portugais – qui affirme avoir posé en photo avec près de 250 chefs d’État, rois et princes, avait à sa disposition l’un des trois avions présidentiels ivoiriens. Et, pour défendre sa cause, un réseau d’amitiés et de relations où se bousculent des universitaires, des diplomates, ainsi que plusieurs ministres des Affaires étrangères, certains toujours en fonction ou occupant aujourd’hui d’autres postes de responsabilité. On peut citer Amr Moussa, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères et actuel secrétaire général de la Ligue arabe, le Libyen Ali Triki, le « monsieur Afrique subsaharienne » du colonel Kadhafi. Ou, encore, le président algérien Abdelaziz Bouteflika, naguère chef de la diplomatie de son pays, qui, tout en soutenant la candidature de Konaré, entretient des relations plus que fraternelles avec Amara Essy. « Ce réseau de soutiens politiques à un niveau intermédiaire est tout aussi efficace que le syndicat des chefs d’État », souligne un universitaire proche d’Essy.

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