Comment sortir de la crise

De grève générale en répression musclée, le pays s’installe dans une logique d’affrontement violent entre le pouvoir et l’opposition.

Publié le 18 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Le Zimbabwe est, une fois de plus, sous les feux de l’actualité. Le 3 juin dernier, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de l’opposant Morgan Tsvangirai a lancé une semaine de grève générale. Une action que le gouvernement a réprimée sans ménagement, procédant même à plusieurs arrestations. Mais qui remet plus que jamais à l’ordre du jour la succession de Robert Mugabe, 79 ans dont vingt-trois passés à la tête de l’État. Mais alors que certains de ses détracteurs comme les Britanniques et les Américains réclament la démission sans conditions du numéro un zimbabwéen, des chefs d’État africains militent plutôt pour une succession en douceur. Pistes de sorties de crise possibles.

Mugabe va-t-il rester au pouvoir ? C’est l’hypothèse la plus plausible. Mugabe a indiqué à plusieurs reprises qu’il ne démissionnerait pas. Pour lui, la crise actuelle est assimilable à une nouvelle lutte d’indépendance. Dans ce scénario, son mandat actuel, qui court jusqu’en 2008, sera chaotique. Le MDC, appuyé par les Américains et les Britanniques, avait exigé qu’il rende son tablier au plus tard le 18 avril dernier. Les États-Unis envisageaient même que des élections soient organisées dès 2005. Si, dans les prochains mois, Mugabe refuse d’obtempérer, ils utiliseront – puisqu’ils ne peuvent pas envahir le Zimbabwe – une technique bien connue : asphyxier économiquement le pays et installer, grâce à des relais sur le terrain, un climat de psychose dans la population.
Outre le fait que, si Dieu lui prête vie, le numéro un zimbabwéen aura 84 ans au terme de son mandat, l’ancienne Rhodésie sera isolée du reste du monde. De fait, elle vit déjà dans cette situation depuis au moins deux ans : embargo sur les livraisons d’armes, gel des avoirs extérieurs des proches du régime, interdiction de leur délivrer des visas. L’économie est en récession : pénurie de carburant, d’électricité, d’aliments, de billets de banque et de devises. Les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage avoisine les 70 %. Seule la planche à billets – l’inflation est de 400 % par an – permet au gouvernement de tenir encore. Pour l’heure, les autorités zimbabwéennes misent sur l’option sécuritaire : Mugabe peut toujours compter sur le soutien quasi inconditionnel des anciens combattants de la guerre d’indépendance connus pour leurs actions violentes, les militants de son parti la Zimbabwe African National Union-Patriotic Front (Zanu-PF), et, bien entendu, les forces de l’ordre réputées pour leur brutalité.

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Combien de temps pourra-t-il tenir ? Certainement pas jusqu’en 2008. Depuis deux ans, il a multiplié les maladresses. Outre le fait qu’il a engagé sa réforme agraire trop tard, il s’est laissé aller à des dérives verbales : « Que le sous-secrétaire d’État américain chargé de l’Afrique Walter Kansteiner aille se faire pendre » ; « Je suis diplômé ès violences. » Il joue (maladroitement) sur le registre désuet de l’émotion et de l’évocation de sa lutte contre l’ex-colonisateur. Enfin, il n’a vu dans les mobilisations exceptionnelles du début du mois de mai qu’un « plan sponsorisé par les Anglais pour renverser un gouvernement démocratiquement élu » et en Tsvangirai qu’une créature des Britanniques.
Mugabe peut, dans un premier temps, compter sur un environnement politique régional qui ne lui est pas globalement hostile, comme cela a été le cas pour Mobutu en 1997. Les pays de la Southern African Development Community (SADC), pour des raisons historiques et liées à leur volonté de non-ingérence, sont majoritairement solidaires du Zimbabwe. Le principal soutien de Mugabe dans la région reste Thabo Mbeki. La Zanu-PF et l’ANC sud-africain ont été des alliés pendant la lutte contre l’apartheid. Mbeki a joué un rôle non négligeable dans la présence de Mugabe au Sommet Afrique-France de février 2003 à Paris. Mais la crise zimbabwéenne coûte trop cher à Pretoria : factures d’électricité impayées et créances commerciales. D’où les critiques de plus en plus acerbes de l’opposition blanche et métisse sud-africaine du Parti démocratique (PD) à l’encontre du soutien du gouvernement Mbeki au Zimbabwe. Le PD redoute que la crise zimbabwéenne soit exportée dans son pays, où, par exemple, près de 50 000 fermiers blancs se partagent encore 80 % des terres arables.

Jusqu’où ira l’opposition ? Né d’un mouvement syndical en 1999, le MDC a connu, en moins de trois ans, un essor fulgurant. Il tient beaucoup de villes et de mairies ainsi que le sud du pays. Il a montré qu’il pouvait mobiliser du monde et utiliser des moyens modernes de communication en prenant, par exemple le 5 juin dernier, une pleine page dans des journaux locaux pour inviter la population à ne pas se laisser intimider par les forces de sécurité et à participer massivement aux marches de protestation. Son avantage sur beaucoup d’autres formations d’opposition africaines est qu’il est uni derrière son leader Morgan Tsvangirai. Mais si les adversaires au régime de Mugabe peuvent mobiliser épisodiquement les travailleurs, il n’est pas sûr que ceux-ci acceptent de sacrifier des journées de travail sur une longue durée. Malgré l’appui, à l’extérieur, d’organisations de droits de l’homme, des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. À l’intérieur, ils ont le soutien d’une partie du secteur des affaires, des fermiers blancs et de leurs employés noirs. Cette conjonction de facteurs peut, si de nouvelles grèves devaient voir le jour dans les prochains mois, provoquer une révolution de palais ou, à tout le moins, pousser Mugabe à négocier…
Dans cette hypothèse, le numéro un zimbabwéen pourrait convoquer, à son corps défendant, une élection présidentielle anticipée avant de s’effacer au profit d’un membre de son parti – on parle du ministre de l’Information Jonathan Moyo, du président du Parlement Emmerson Mnangagwa, mais, surtout, de l’ex-ministre des Finances Simba Makoni. Autre hypothèse : la mise sur pied d’un gouvernement de transition ouvert à l’opposition pour restaurer la confiance et rétablir les institutions démocratiques jusqu’à la prochaine échéance présidentielle. C’est le scénario que les présidents Bakili Muluzi du Malawi, Olusegun Obansanjo du Nigeria et Thabo Mbeki en Afrique du Sud ont proposé le 5 mai dernier aux deux acteurs de la crise. Morgan Tsvangirai, chef de file du MDC, a donné son accord assorti d’un délai maximal de six à dix-huit mois pour l’organisation de nouvelles élections. Mugabe, lui, a avancé comme préalable à toute négociation la reconnaissance par l’opposition de son pouvoir issu du scrutin de mars 2002. En somme, un dialogue de sourds entre les deux hommes.

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