Theodore F. Nkodo

Nommé vice-président en 2002, ce natif de Yaoundé a quitté le poste de copilote pour briguer la succession du pilote. Avec une double ambition : poursuivre les réformes et préserver l’intégrité financière de l’institution.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 11 minutes.

A peine son doctorat en économie en poche, Theodore Nkodo quitte l’université du Maryland pour s’installer quelques kilomètres plus loin, à Washington. En janvier 1971, il entre au siège de la Banque mondiale comme « jeune professionnel ». Il a 26 ans et maîtrise aussi bien l’anglais que le français. Après des travaux de recherche dans l’agriculture et l’environnement, il participe à l’élaboration de quelques rapports sur l’Afrique centrale, sa région natale. Très vite, il grimpe les échelons jusqu’à devenir assistant du directeur de l’Institut de développement économique de la Banque (1988). Puis obtient une mise en disponibilité pour rejoindre la BAD. Mais il ne s’accrochera pas. « Je rêvais de participer au développement de l’Afrique, mais le devoir familial m’a rappelé à Washington », explique-t-il. Il retourne donc dans la capitale américaine et poursuit son ascension au sein de la Banque mondiale : il est promu « chef de la division » dans le département de l’Afrique occidentale et centrale (1990), puis dans celui de l’Amérique centrale et Mexique (1994).
Mais ce natif de Yaoundé ne tardera pas à revenir à la BAD. Et cette fois, c’est pour de bon. En 1997, le voilà de nouveau à Abidjan. Directeur des opérations, il s’épanouit très vite dans l’organisation présidée par Omar Kabbaj. Ce dernier, après avoir jaugé ses compétences, le rapproche du sommet en le nommant vice-président (janvier 2002). Affable, pragmatique, Theodore Nkodo quitte, en février 2005, le poste de copilote pour briguer la succession du pilote… Un pari difficile pour celui qui se veut le continuateur des réformes et le garant de l’intégrité financière de l’institution. Réaliste, il sait qu’il s’aventure cette fois sur un terrain où les chefs d’État ont la part belle.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Vous êtes vice-président de la BAD. Ne craignez-vous pas, en briguant la présidence, de jouer à quitte ou double ?
Theodore F. Nkodo : Mon intérêt pour la Banque ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte à 1988. Depuis, mon engagement personnel n’a cessé de croître. Je suis candidat parce que j’ai une ambition pour la Banque. Après trente-cinq ans de vie professionnelle, dont vingt-cinq passés au sein de la Banque mondiale, je crois que je peux apporter quelque chose de plus à cette institution.
J.A.I. : Pourquoi avez-vous attendu le dernier moment pour présenter votre candidature ?
T.F.N. : J’ai pris le temps d’évaluer mes chances et d’écouter mes collègues de la haute direction ainsi que les membres du conseil d’administration de la Banque. Nombreux sont ceux qui m’ont encouragé à me présenter afin de poursuivre le travail accompli par le président Omar Kabbaj et son équipe, sauvegarder les acquis et aller de l’avant. J’ai approché les plus hautes autorités de mon pays. Le chef de l’État camerounais m’a fait l’honneur de présenter et d’appuyer ma candidature.
J.A.I. : On dit que Paul Biya a beaucoup hésité…
T.F.N. : Le président Paul Biya est quelqu’un qui aime bien peser le pour et le contre avant de prendre une décision. Cela ne veut pas dire qu’il hésite, mais qu’il veut maîtriser toutes les données avant de s’engager.
J.A.I. : Vous êtes entré à la BAD en 1988 et vous l’avez quittée en 1990. C’est court pour quelqu’un qui dit avoir une ambition.
T.F.N. : C’est une question de circonstances. En 1987, le président de la BAD, Babacar Ndiaye, avait demandé à la Banque mondiale de lui donner des noms de cadres africains. J’étais alors chef de division à la Banque mondiale. Le vice-président de la BAD m’avait alors approché, et, après un entretien avec Babacar Ndiaye, j’ai accepté de rejoindre la BAD pour une période de deux ans. Ma situation familiale – ma femme terminait ses études de médecine à Washington et mes enfants étaient en bas âge – ne me permettait pas de rester davantage à Abidjan. À la fin de cette mise en disponibilité, j’ai dû retourner à la Banque mondiale. Mais cette expérience m’a permis de mesurer l’importance de la Banque pour le continent africain.
J.A.I. : C’est pourquoi vous y êtes revenu en 1997…
T.F.N. : Oui. Effectivement, en 1996, j’ai eu la chance d’avoir été approché par un cabinet de recrutement international pour le compte de la BAD à la suite de l’élection d’Omar Kabbaj, en août 1995. Mais beaucoup de mes amis m’ont dit que je ferais une erreur en donnant suite à cette offre.
J.A.I. : Une erreur ?
T.F.N. : Oui, à cette époque, la BAD avait mauvaise réputation. On disait qu’elle allait fermer ses portes… Je n’ai tenu aucun compte de ces craintes parce que la BAD est à mes yeux une institution essentielle pour l’Afrique. Elle avait besoin de toutes les énergies pour se réformer. J’ai donc accepté l’offre et c’est ainsi que j’ai rencontré pour la première fois le président Omar Kabbaj à Abidjan.
J.A.I. : L’institution était-elle vraiment en déliquescence ?
T.F.N. : Il existait de fortes inquiétudes sur l’avenir de l’institution à la suite d’une évaluation indépendante qui avait été effectuée sur ses opérations. Omar Kabbaj m’a tout de suite inspiré confiance. J’ai senti que la Banque était bel et bien engagée dans un nouveau programme de relance, et j’étais honoré de pouvoir y participer.
J.A.I. : De quelle manière ?
T.F.N. : En mars 1997, j’ai pris les fonctions de directeur des opérations pour l’Afrique de l’Est. Puis, en janvier 1998, le président Kabbaj m’a confié la direction du nouveau département des opérations centrales, qui comprend la définition des politiques opérationnelles, des directives et des procédures, le contrôle de la qualité des opérations… À l’occasion de la réorganisation de la Banque, en janvier 2002, j’ai été nommé vice-président des opérations pour trois régions : l’Afrique du Nord, l’Afrique orientale et l’Afrique australe, ainsi que le secteur privé pour tout le continent.
J.A.I. : Le vice-président n’est plus élu par l’assemblée générale, mais désigné par le président de la Banque. Sur quelle base ?
T.F.N. : Le choix se fait uniquement sur la base de la compétence. Le vice-président appartient désormais au staff. Il a un contrat de trois ans renouvelable en fonction de ses performances.
J.A.I. : Ce changement barre-t-il la route à l’ingérence politique ?
T.F.N. : L’intégration des vice-présidents au staff a été décidée dans ce but. Elle permet de dissocier la dimension politique de la gestion. Au conseil d’administration, qui représente les actionnaires, il revient d’approuver les politiques opérationnelles, les orientations générales et les stratégies d’assistance par pays. La gestion de l’institution dépend de la présidence. Il est important qu’on ait séparé les deux rôles. Il y va de la crédibilité de la Banque, qui doit financer des projets ayant un impact réel sur la vie des populations.
J.A.I. : Depuis la réforme, le président de la Banque ne décide plus tout seul ?
T.F.N. : Les politiques, les orientations générales et les stratégies d’assistance aux pays sont clairement définies entre la direction et le conseil d’administration. La gestion de la Banque n’est pas le travail d’un président ou d’un vice-président, mais celui de toute une équipe qui regroupe diverses compétences et qui veille à la qualité des opérations. C’est comme cela que la BAD devra continuer à être gérée.
J.A.I. : Et c’est ce qui motive votre candidature…
T.F.N. : En tant que vice-président, j’ai travaillé en équipe. Et cette méthode de travail a démontré son efficacité. Ce n’est donc pas le moment de changer de cap ; il faut poursuivre dans la même direction. Je ne suis pas candidat pour être candidat, je ne le suis pas non plus parce qu’on m’a demandé de l’être. Je suis candidat pour mettre en oeuvre une ambition collective, une vision que j’aimerais traduire en actes concrets.
J.A.I. : Pensez-vous pouvoir faire mieux que vos prédécesseurs ?
T.F.N. : Je pense que les efforts qui ont été faits sont importants. Nous avons aujourd’hui de nouvelles politiques, de nouvelles directives, une institution financièrement solide. Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire, notamment au niveau de la sélection des projets. Il faut sortir des financements ponctuels, projet par projet, et concevoir des stratégies qui s’intègrent aux programmes de chaque pays et s’étendent sur le moyen et le long terme.
J.A.I. : Pensez-vous que la BAD doit tout faire ?
T.F.N. : Pour moi, la Banque devrait sélectionner un nombre restreint de priorités pour lesquelles elle développerait ses compétences et dont elle deviendrait le chef de file. On ne peut pas être leader si l’on fait trente-six choses à la fois. La sélectivité est plus importante à mes yeux que le volume des financements. Les besoins du continent sont énormes. Une institution ne peut donc pas tout faire toute seule. Elle devra collaborer avec les institutions financières soeurs, chacune jouant un rôle clé dans ses domaines de compétences.
J.A.I. : Les chefs d’État n’attendent-ils pas plutôt de la BAD qu’elle leur prête plus d’argent ?
T.F.N. : À mon avis, les chefs d’État attendent de la Banque que ses opérations soient plus utiles et plus efficaces sur le terrain. À cette fin, je souhaiterais que la Banque puisse jouer un rôle de conseiller, de catalyseur, et apparaisse ainsi comme une voix autorisée sur tous les problèmes du continent. Ce rôle, la BAD ne l’a pas encore pleinement assumé. Elle est absente, par exemple, des grandes discussions sur les problèmes du continent. On continue à regarder en priorité vers les institutions de Bretton Woods [Banque mondiale et Fonds monétaire international, NDLR]. Il faut que la BAD puisse jouer un rôle plus important à l’intérieur et à l’extérieur en aidant les pays africains à formuler leurs propres stratégies de développement. Et contribuer davantage à l’intégration des économies africaines, notamment dans le cadre du Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique). La Banque doit enfin les aider à affronter la mondialisation et faire en sorte que l’Afrique puisse négocier au mieux de ses avantages.
J.A.I. : Pour cela, certains estiment que la BAD aura besoin d’un homme de l’extérieur plutôt que d’un homme issu de son staff.
T.F.N. : Sous la direction du président Kabbaj, un programme de réformes a été exécuté, des nouvelles initiatives sont en cours. Grâce à ce travail d’équipe, la Banque est aujourd’hui une institution reconnue, respectée et solide. Mais le programme de réformes n’est pas terminé. Il serait dommage de l’interrompre au moment où il commence à porter ses fruits. Je ne veux pas parler des autres candidats. Je pense seulement que quelqu’un qui n’a pas participé à ce programme aura nécessairement besoin d’une période d’adaptation.
J.A.I. : Un homme de l’extérieur apporterait, selon vos concurrents, du « sang neuf »…
T.F.N. : Du sang neuf ? Je ne travaille à la Banque que depuis huit ans en continu. Comme les autres cadres, j’ai été justement sollicité pour apporter du sang neuf. La majorité des cadres de direction ont été recrutés en 1996 ou après et sur la base de leurs compétences. Il y a donc eu beaucoup de sang neuf injecté dans la Banque. Ce sang neuf serait-il déjà épuisé ? Je ne le pense pas. Par ailleurs, le conseil d’administration a approuvé un programme de recrutement de 200 à 300 nouveaux cadres dans les deux ou trois prochaines années. De sang neuf, la BAD ne manque pas. Ce qu’il lui faut, c’est un président qui veille à la poursuite des réformes.
J.A.I. : À vous entendre, il ne faut pas changer une équipe qui gagne. La limitation du nombre de mandats présidentiels à deux est-elle une mauvaise décision ?
T.F.N. : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Deux mandats pour le président, c’est conforme aux statuts de la Banque. Le bilan du président Omar Kabbaj est remarquable. Je suis fier d’y avoir contribué. Mon voeu est que le nouveau président puisse poursuivre dans la bonne direction.
J.A.I. : On dit aussi que c’est au tour de l’Afrique centrale d’assumer la présidence. En tant que ressortissant du Cameroun, donc de l’Afrique centrale, êtes-vous favorable à ce genre de rotation ?
T.F.N. : Non. Ce n’est pas parce que l’Afrique centrale est la seule région qui n’a jamais eu la responsabilité de diriger la BAD qu’il faut lui confier la présidence de façon arbitraire. Il faut s’assurer que son ou ses candidats ont les compétences nécessaires pour diriger l’institution. Si tel est le cas, il n’y a pas de raison de ne pas donner à l’Afrique centrale aujourd’hui une chance de servir le continent. À compétences égales, il faut pouvoir diversifier les effectifs entre les régions et entre les genres (homme/femme) sans qu’il y ait besoin d’instaurer un système de rotation ou de quotas.
J.A.I. : Vos principaux objectifs consistent donc à poursuivre les réformes et à définir un certain nombre de priorités. Est-ce que le secteur privé figure parmi ces priorités ?
T.F.N. : Dans le passé, la Banque a accordé de nombreux financements privés qui n’ont pas porté leurs fruits et ont coûté cher à l’institution. Elle fait preuve aujourd’hui d’une plus grande sélectivité dans ce domaine. En 2004, la Banque a accordé plus de 300 millions de dollars de prêts. Elle aurait pu faire davantage, mais ce montant n’est pas négligeable. Aujourd’hui, la question n’est pas tant d’accorder plus de prêts que de promouvoir le secteur privé en améliorant le cadre macroéconomique, l’environnement juridique et réglementaire, en recherchant des économies d’échelle et en créant un contexte favorable aux investissements privés nationaux et étrangers.
J.A.I. : La Banque ne devrait-elle pas ouvrir davantage son capital aux pays non régionaux pour augmenter ses ressources ?
T.F.N. : Le problème ne se pose pas en termes de ressources, mais en termes d’efficacité. La dernière augmentation du capital est largement suffisante pour travailler encore pendant au moins dix ans. Je suis cependant d’accord avec ceux qui disent qu’il faut doubler l’aide publique au développement à destination de l’Afrique. À mes yeux, la Banque devrait préserver sa crédibilité intellectuelle, morale et financière afin de garder ses compétences actuelles et d’attirer de nouveaux cadres. Sa nouvelle direction devrait maintenir l’entente parfaite entre ses actionnaires africains et non africains, lesquels ont tous les mêmes soucis de transparence dans la gestion et de viabilité dans les opérations.

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