Sur le papier et dans la rue

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Comme il doit être simple, depuis un bureau confortable d’une capitale occidentale, de tirer un trait sur l’histoire et la culture d’une entreprise. Et de décider, au nom de la rentabilité, de la mondialisation, ou de toute autre raison économiquement sensée, qu’elle doit quitter le giron de l’État pour passer au privé. Sur le terrain, à des milliers de kilomètres de là, des centaines d’hommes et de femmes sont jetés à la rue parce que les conséquences économiques les touchent directement. Salariés licenciés, populations pauvres privées d’eau, d’électricité ou de moyens de transport, paysans ruinés par la suppression des subventions publiques qui leur permettaient de vendre leur production à un prix convenable en dépit des soubresauts des cours internationaux… les exemples sont nombreux. En écho au malaise grandissant dans le monde agricole sénégalais, le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) vient de demander, le 9 mai, à l’État de « casser » la privatisation de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos), un dossier que l’on croyait bouclé depuis début avril, après dix ans d’atermoiement (voir page 62). Tout aussi symbolique et problématique sera la prochaine – et éventuelle – ouverture du capital de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT), dont le groupe français Dagris détient actuellement 40 %. La Banque mondiale l’exige pour 2006. Les autorités sont sur leurs gardes, et pour cause : deuxième ressource d’exportation du pays, la culture du coton est vitale pour plus de 3 millions de personnes.

La vivacité des réactions sociales masque un malaise plus profond. Les privatisations en Afrique n’ont pas vraiment porté les fruits attendus. À de rares exceptions près, leur impact sur les flux d’investissements extérieurs a été négligeable, et le développement de l’activité se fait attendre. Tout se passe comme si la mondialisation avait eu pour seul effet de remplacer le soutien de l’État par la mainmise des multinationales, pour lesquelles le continent n’est qu’une ligne ajoutée à leurs comptes de résultats, et souvent la plus mince. Mais les choses changent. Les grands groupes font le constat qu’ils ne peuvent pas tout faire seuls. Dans le pétrole et les transports, notamment, ils se désengagent progressivement de certaines activités, cédées à des compagnies plus spécialisées et plus performantes, mais aussi plus proches du terrain. Des banques d’affaires et des cabinets d’audit voient le jour sur le continent, prêts à prendre la succession de leurs confrères internationaux en tant que conseils des États dans la préparation et la réalisation des privatisations à venir. Des investisseurs marocains se tournent vers le Sud ; des Sud-Africains regardent vers le Nord. Avec ces nouveaux acteurs, forts de l’expérience acquise en vingt-cinq années de privatisations à marche forcée, faisons le pari que les États vont tirer un meilleur parti des entreprises qu’ils doivent encore céder.

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