Supplice en catimini

Les condamnations à mort sont de plus en plus nombreuses, mais les exécutions restent entourées du plus grand secret. Même les intéressés n’en sont informés qu’à la dernière minute !

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Lorsque les gardiens l’ont secoué pour le tirer de son sommeil, il les a regardés d’un air hagard, sans comprendre. L’un d’eux s’est penché et lui a glissé à l’oreille : « Il est temps de mourir. » Tatsuaki Nishio s’est figé. La veille encore, cet homme de 61 ans reconnu coupable de trois meurtres entre 1976 et 1977 ignorait qu’il serait conduit à la potence en ce matin de novembre.
Un très intéressant article de la revue américaine Foreign Policy (mai-juin 2005) le révèle : au Japon, un condamné à mort n’est informé de son exécution que quelques minutes avant l’échéance. Sa famille et son avocat ne le sont qu’après coup. Officiellement, il s’agit d’éviter que l’affaire ne s’ébruite et d’épargner aux proches du condamné l’opprobre de leur voisinage et/ou de leur milieu professionnel. En fait, les autorités ne veulent pas affronter les critiques des opposants à la peine de mort et, surtout, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Informer à l’avance un détenu de la date de son exécution serait, selon elles, « émotionnellement trop déstabilisant ». Pour lui éviter un stress inutile, voire des velléités de suicide, d’évasion ou d’agression contre le personnel pénitentiaire, cette solution « compatissante » a donc été retenue.
On ne sait pas grand-chose de ce qui se passe dans les sept centres où sont détenus les condamnés à mort. Après le palais impérial, ce sont sans doute les lieux les plus secrets du Japon. Même les membres du Parlement n’y ont pas accès. Au pénitencier de Tokyo, la dernière visite d’une délégation remonte à 2003. Et c’était la première depuis trente ans ! Aux États-Unis, à l’inverse, la date des exécutions est rendue publique, ce qui suscite, presque toujours, polémiques et manifestations. Les familles de la victime et les proches du condamné peuvent, s’ils le souhaitent, assister à la mise à mort. Rien de tel au Japon. Seules quatre personnes – deux membres du bureau du procureur de la Haute Cour de justice, le directeur du centre de détention et l’un de ses adjoints – sont présentes lors de la pendaison, derrière une baie vitrée. Le décor est, paraît-il, austère et raffiné : murs blancs, plancher en cyprès clair, musique religieuse (bouddhique) en sourdine… « C’est étrange, raconte un témoin, mais la pièce est presque aussi belle que celle d’un théâtre Nô. »
Le condamné arrive encadré de deux gardiens. Vêtu d’une robe blanche, il a les pieds nus, les yeux bandés et les mains liées dans le dos. Conduit jusqu’à une marque tracée au centre de la pièce, il s’immobilise, et l’un de ses geôliers – le métier de bourreau n’existe pas au Japon – lui passe la corde au cou. Quelques secondes plus tard, cinq gardiens appuient simultanément sur autant de boutons. Un seul – on ignore lequel – déclenche l’ouverture de la trappe sous les pieds du condamné.
Les témoins ne peuvent quitter leur place avant trente minutes, délai légal pour que la mort puisse être constatée par un médecin légiste.
Si le Japon est loin d’être le seul pays d’Asie à appliquer la peine de mort (c’est également le cas de la Chine, de l’Inde, de la Corée du Sud, de la Thaïlande et de bien d’autres), le modus operandi des exécutions – et le secret qui les entoure – suscitent de nombreuses contestations. Pourtant, force est de reconnaître qu’une large majorité de Japonais y est favorable. Selon un sondage réalisé au mois de février, plus de 81 % des personnes interrogées considèrent qu’il s’agit d’un excellent moyen de combattre la criminalité, en pleine expansion actuellement. Même le système de la pendaison, en vigueur depuis 1873 (il a remplacé la décapitation), ne suscite pas leur réprobation, alors qu’il a été abandonné aux États-Unis en raison des souffrances inutiles qu’il inflige au condamné.
Le Japon est – avec les États-Unis, bien sûr – le seul pays membre du G7 (les pays les plus industrialisés) à n’avoir pas abrogé la peine de mort. Le nombre des condamnations y est même en augmentation : 55 entre 2000 et 2003. Mais les possibilités de recours sont nombreuses et leur épuisement prend généralement plusieurs années. En 2004, seuls 2 Japonais sont montés sur le gibet. La même année, 59 condamnés ont été exécutés aux États-Unis.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires