Omar Kabbaj

Bonne gouvernance, indépendance, assainissement du portefeuille, renouvellement et motivation du staff, mobilisation d’argent frais… Le président sortant peut partir avec le sentiment du devoir accompli.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 17 minutes.

Omar Kabbaj a longtemps été un homme de l’ombre. Pourtant, il s’était distingué dans le gouvernement marocain et dans les conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale. Mais il était peu connu sur la scène financière africaine. Présentée par feu le roi Hassan II, sa candidature à la présidence de la BAD, en mai 1995, à Abuja, avait été durement combattue. En particulier par deux des quatre autres prétendants : Yesufu Seyyed Abdulaï (Nigeria) et Timothy Thahane (Lesotho). Le premier était soutenu par le Nigeria, actionnaire africain principal, et ses alliés. Le second, par la plupart des actionnaires non africains, États-Unis en tête. Arrivé deuxième au cinquième tour, avec 35,68 % des voix, derrière Thahane (44,59 %) et devant Abdulaï (19,73 %), Omar Kabbaj a su rallier les suffrages de la France et d’autres pays africains (Côte d’Ivoire, Égypte, Sénégal…), mais pas assez pour l’emporter. Face au refus du Nigeria de se désister, les gouverneurs de la Banque avaient reporté de trois mois la suite du scrutin.
Le 26 août 1995, à Abidjan, les trois candidats restés en lice se disputent âprement les faveurs des 77 actionnaires (53 africains et 24 non régionaux). Une bataille d’autant plus farouche que l’avenir de la BAD est en jeu : crédibilité au plus bas, ressources à zéro, dirigeants (staff et administrateurs) à couteaux tirés… « Il y a le feu dans la maison », écrivait alors Béchir Ben Yahmed. Au bout du quatorzième tour du scrutin, Omar Kabbaj, soutenu par le Nigeria, qui a fini par retirer son candidat, et l’Algérie, l’emporte avec 63,32 % des voix, contre 36,04 % à Timothy Thahane. Cinq ans plus tard, les 77 actionnaires reconduiront à l’unanimité le candidat présenté par le roi Mohammed VI.
Les réformes engagées par Omar Kabbaj au cours de son premier mandat ont toutes été menées à bien avec une rigueur sans précédent : bonne gouvernance et non ingérence de la politique dans la direction de la Banque ; assainissement du portefeuille ; compétence et motivation du staff (renouvelé en très grande partie) ; et mobilisation d’argent frais grâce à l’augmentation de 35 % du capital et à la reconstitution des ressources concessionnelles du FAD, à sec en 1995. À 62 ans, Omar Kabbaj quitte la Banque « avec le bonheur d’avoir accompli sa mission et la fierté d’avoir été à la hauteur de la confiance du Maroc et de tous les autres actionnaires ».
Entretien.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Dans quel état avez-vous trouvé la BAD, le 1er septembre 1995, date de votre entrée en fonctions ?
Omar Kabbaj : Tout le monde savait que la Banque était dans une situation extrêmement difficile. Cela explique d’ailleurs les difficultés qui ont caractérisé l’élection de son président lors de l’assemblée générale ordinaire de mai 1995, à Abuja. Il y avait une volonté très forte de la part des gouverneurs de trouver la personne capable d’entreprendre les réformes importantes votées à Nairobi en 1994, mais bloquées à cause des divergences de vue entre le président sortant et le conseil d’administration de la Banque. Mais aucun des cinq candidats n’est sorti gagnant des cinq tours de scrutin. Conformément aux statuts, les gouverneurs ont dû suspendre l’élection et décider de se réunir à nouveau, les 25 et 26 août 1995 à Abidjan, en assemblée extraordinaire. C’est là que j’ai été élu, avec à peu près les deux tiers des voix, après quatorze tours de scrutin, les cinq d’Abuja et les neuf d’Abidjan.
J.A.I. : Quel était le véritable enjeu de cette élection ?
O.K. : Les gouverneurs se devaient de trouver un président capable de relancer les activités de la Banque en exécutant les réformes déjà approuvées et en renouant le dialogue avec les pays non régionaux qui avaient suspendu leur contribution au Fonds africain de développement (FAD), le guichet « concessionnel » de la Banque [le FAD accorde des prêts à très long terme et quasiment sans intérêts, NDLR]. C’était une question de vie ou de mort pour la Banque. Mon mandat était donc clair.
J.A.I. : Mais il fallait du courage pour résister à la pression de quatorze tours de scrutin. N’avez-vous pas été tenté de renoncer ?
O.K. : Il y a eu des moments de découragement. Mais la décision de mon pays était stratégique. Le ministre marocain des Finances s’était bien battu. Il avait le soutien notamment de la Côte d’Ivoire, du Gabon et de la France. J’avais des chances sérieuses de l’emporter. Les gouverneurs ont finalement vu en moi un candidat du juste milieu, un homme de consensus…
J.A.I. : Pourtant, vous n’étiez pas très connu, vous étiez un homme neuf. Qu’est-ce qui a provoqué le déclic ?
O.K. : Je crois que c’est mon profil. Les gouverneurs avaient peut-être trouvé dans ma carrière ces petites choses nécessaires qui allaient me permettre de changer la Banque.
J.A.I. : Par exemple ?
O.K. : J’ai une expérience de financier tirée de mon travail à la Banque nationale de développement économique du Maroc, qui était en quelque sorte une mini-BAD. J’ai aussi une expérience de direction à la tête de deux grandes sucreries marocaines, je sais donc comment se fait un projet. J’ai en même temps travaillé dans des cabinets ministériels, ce qui m’a donné une vision économique globale. J’ai été ensuite membre des conseils d’administration de la Banque mondiale puis du Fonds monétaire international pendant une période assez longue. Ce qui m’a permis de me familiariser avec ces deux institutions et de suivre en particulier les programmes d’ajustement des pays que je représentais, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, le Ghana, et d’autres. Enfin, j’ai eu une expérience de ministre, laquelle m’a permis de voir comment fonctionne un État au plus haut niveau.
J.A.I. : Vous étiez considéré comme un « homme propre »…
O.K. : L’intégrité était en effet un facteur important dans le choix des gouverneurs. Et elle l’est toujours. En ce qui me concerne, je n’avais rien – et n’ai toujours rien – à me reprocher. Outre mon profil apparent, il y avait aussi la pratique. Je pense que le fait d’avoir passé quatorze ans, soit presque la moitié de ma carrière professionnelle, à Washington a dû jouer.
J.A.I. : Entre Washington et Abidjan, il y a un vaste océan… Qu’avez-vous ressenti en débarquant sous les tropiques ?
O.K. : Non, je n’étais pas dépaysé. J’avais beaucoup voyagé auparavant d’Abidjan à Dakar, à Kinshasa et ailleurs en Afrique. Mais en prenant mes fonctions le 1er septembre 1995, je n’avais plus de temps libre. Il me fallait prendre le taureau par les cornes et commencer à travailler immédiatement. J’étais au bureau de 7 heures du matin à généralement 10 heures du soir.
J.A.I. : On disait que vous n’aimiez pas la vie africaine, que vous préfériez résider à l’hôtel plutôt qu’à la résidence officielle de la Banque…
O.K. : On a raconté des tas d’autres choses (rires) ! La vérité, la voici. En arrivant, j’ai dû loger à l’hôtel parce que la résidence du président de la Banque n’était plus habitable, de l’avis même du conseil d’administration. Elle avait été construite en même temps que le siège de la Banque en 1978 et, comme le siège, elle avait pâti d’un manque d’entretien. Il fallait donc entreprendre des travaux de réparation et des aménagements mineurs. Il fallait construire une nouvelle cuisine parce que l’ancienne était pratiquement dans le salon. Pour que tout soit bien clair, je dois préciser que ces travaux ont été faits sous le contrôle direct du conseil d’administration de la Banque. Ce dernier avait désigné un comité de trois administrateurs, trois femmes, qui avaient eu l’amabilité de se charger de piloter cette tâche à laquelle je n’étais pas du tout associé personnellement. D’abord parce que je n’en avais pas le temps, ensuite parce que je voulais rester à l’écart de cette opération.
J.A.I. : Les travaux ont duré longtemps. Vos détracteurs disaient que vous étiez en train de construire un palais marocain…
O.K. : L’opération a effectivement pris beaucoup plus de temps que prévu parce que l’entreprise choisie s’est révélée très lente. La résidence, je puis vous l’assurer, n’a absolument rien de marocain, ni avant, ni après la transformation. Et ce n’est pas de gaieté de coeur que je suis resté pendant ce temps-là à l’hôtel sans ma famille. La même situation s’est d’ailleurs répétée à Tunis au moment de la relocalisation de la Banque en 2003.
J.A.I. : À Abidjan, vous bénéficiez d’une protection rapprochée. Aviez-vous reçu des menaces ?
O.K. : Dès mon arrivée en 1995, le président ivoirien Henri Konan Bédié, auquel je dois rendre hommage, a décidé, sans me consulter, d’assurer ma sécurité personnelle et celle de ma famille en mettant à notre disposition cinq gendarmes.
J.A.I. : Que s’est-il passé après le coup d’État de 1999 ?
O.K. : Avec la dégradation de la situation politique, la Banque ne pouvait plus fonctionner d’une manière normale. Elle avait de plus en plus de difficultés à opérer sur les marchés financiers internationaux, à recevoir les ministres, les délégations officielles, les fournisseurs, les consultants… et même à recruter les cadres. Abidjan faisait peur.
J.A.I. : L’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, en 2000, n’a-t-elle pas arrangé les choses ?
O.K. : Nous avons fait ce que nous avons pu pour maintenir l’excellence des relations entre la Banque et son pays hôte. Pendant quarante ans, la Côte d’Ivoire a donné à la BAD toutes les possibilités de travailler correctement. La Banque était parmi ses premiers bailleurs de fonds. Elle était même devenue la première en 1998, devançant la Banque mondiale. Après la crise de 1999, la BAD a contribué par deux fois, en 2000 et en 2002, à la reprise des relations entre la Côte d’Ivoire et la communauté financière internationale, en lui accordant deux prêts de 50 millions de dollars chacun. Il est malheureux que la crise de 2002 ait interrompu cette reprise.
J.A.I. : Ce qui a provoqué la colère d’Abidjan, c’est plutôt la délocalisation du siège de la BAD à Tunis, en février 2003.
O.K. : Une banque internationale comme la BAD ne peut fonctionner sans être en relation constante avec les marchés financiers. Plusieurs milliards de dollars sont en jeu. En plus, la BAD travaille avec l’ensemble de l’Afrique. Elle a plus de six cents projets à suivre. C’est dire que les activités de la Banque ne peuvent supporter la moindre interruption. Il y va de sa réputation et de sa rentabilité. La situation s’est beaucoup dégradée après les événements du 19 septembre 2002. La violence subie par le staff de la Banque était devenue insupportable : près de deux cents employés ont été braqués soit dans leur voiture, soit dans leur maison. Tout cela nous a conduits à envisager la création d’un centre de secours dans un autre pays africain. Les relations avec les autorités ivoiriennes s’en sont ressenties.
J.A.I. : La Banque dispose déjà d’un centre de secours à Paris. Ne pouvait-il pas faire l’affaire ?
O.K. : Non, ce centre, qui est une filiale d’une société américaine spécialisée, n’était pas suffisant en cas de prolongation des problèmes. La Banque avait besoin d’un centre opérationnel pouvant accueillir au moins quatre cents personnes.
J.A.I. : Comment avez-vous choisi Tunis ?
O.K. : Une offre a été adressée à l’ensemble des pays africains. Le choix de Tunis a été retenu par le conseil d’administration après une étude comparative approfondie. Nous avons essayé d’expliquer aux autorités ivoiriennes la nécessité pour la Banque de poursuivre ses activités sans risque, que le siège à Tunis était provisoire.
J.A.I. : Il n’en demeure pas moins qu’aux yeux d’Abidjan le responsable de ce déménagement, c’est bien vous…
O.K. : Le malentendu, qui persiste toujours aujourd’hui, vient de ce que les autorités ivoiriennes pensent que la décision du transfert était le fait de la direction, alors qu’elle a été prise à la quasi-unanimité des pays membres. Mieux, le conseil d’administration et le conseil des gouverneurs l’ont affirmé et réaffirmé : le siège de la Banque reste Abidjan. Dès que la situation le permettra, la Banque y retournera. Cette décision est entre les mains des gouverneurs, pas de la direction.
J.A.I. : Vous étiez pris entre le marteau et l’enclume. Vos premières réformes étaient du reste impopulaires…
O.K. : Et pourtant, elles étaient nécessaires ! En 1995, la Banque était vraiment menacée de disparition. Des actionnaires importants et non des moindres avaient écrit à tous les gouverneurs pour exiger la mise en oeuvre des réformes, faute de quoi ils allaient se retirer. Comme cela était déjà arrivé à l’Unesco, il fallait prendre la menace au sérieux. Car sans les ressources des pays non régionaux il n’y avait quasiment plus d’opérations de prêts… Dès mon élection, il fallait donc lancer les réformes sur tous les fronts. Pour redonner à la Banque sa crédibilité.
J.A.I. : Vous avez licencié trois cents personnes d’un coup !
O.K. : Oui, mais pas n’importe comment. Nous avons procédé à une évaluation des compétences et eu recours à des mesures d’incitation au départ volontaire. En tout, les effectifs sont passés de 1 300 à 1 000 personnes. Cet assainissement a créé un choc salutaire. Cela a coûté 35 millions de dollars, amortis en un an. Ici et là, des journaux m’ont critiqué. Mais j’avais les mains libres pour agir dans l’intérêt vital de la Banque.
J.A.I. : Vous avez également éliminé 20 % des projets de la Banque. Quelle a été la réaction des États ?
O.K. : L’objectif était d’assainir le portefeuille. Les projets éliminés n’avaient aucune chance d’être réalisés ou d’être rentables. Il n’était d’ailleurs pas dans l’intérêt des États bénéficiaires de les poursuivre et de continuer à payer les intérêts en pure perte. Nous les avons supprimés avec leur accord. La Banque a ainsi récupéré 2,5 milliards de dollars. Depuis, nous avons amélioré l’étude des projets et leur supervision.
J.A.I. : Vous vous êtes aussi attaqué au problème des arriérés de paiement. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
O.K. : Le montant des arriérés sur les prêts a été considérablement réduit. Il concerne une dizaine de pays vraiment incapables de rembourser. Avant, certains ne remboursaient pas parce qu’ils considéraient que l’argent de la Banque était le leur… Quant au problème des arriérés sur le paiement des souscriptions au capital, la réforme engagée a permis d’y mettre fin. Les pays qui ne paient pas une seule tranche de leur souscription en perdent la totalité, leurs actions deviennent automatiquement disponibles pour les autres pays. Elles tombent, selon le cas, dans le pot des pays régionaux ou dans celui des pays non régionaux. Les actions non souscrites par un pays africain ne peuvent ainsi être reprises que par un autre pays africain [ce qui permet de maintenir intacte la répartition du capital : 60 % pour le groupe africain et 40 % pour le groupe non régional, NDLR]. Cette réforme a aussi permis de moduler les souscriptions en fonction du poids économique des pays. Auparavant, un pays pouvait acheter ce qu’il voulait sans quelquefois avoir la capacité de payer. Grâce à ce système, la part de l’Afrique du Sud est passée de 1 % à 4 %.
J.A.I. : Quels moyens avez-vous mis en oeuvre pour rendre la Banque plus présente en Afrique ?
O.K. : Après les réformes du gros oeuvre entre 1995 et 1997, il nous fallait préparer une vision stratégique de la Banque. Au terme de deux ans de travail à l’intérieur de la BAD, de consultations des pays bénéficiaires et des pays partenaires, nous avons finalisé notre stratégie en 1999. Nous avons été parmi les premiers, bien avant la définition des Objectifs du millénaire par l’ONU, à avoir parlé de la lutte contre la pauvreté et de la nécessité de promouvoir une croissance économique élevée et durable. Nous avons consacré trois vice-présidences, au lieu d’une seule, aux opérations : deux pour les opérations sous-régionales et une pour les opérations horizontales, c’est-à-dire l’harmonisation des politiques, la gestion des secteurs transversaux comme l’environnement ou l’égalité entre les hommes et les femmes. Nous avons enfin donné aux pays la responsabilité de leur développement. Nous avons rendu l’allocation des ressources conforme à la performance et à la bonne gouvernance des pays. Le staff s’est professionnalisé. Croyez-moi, la Banque ne fait plus n’importe quoi comme avant 1995.
J.A.I. : Quelles mesures avez-vous prises pour lutter contre la fraude et la corruption ?
O.K. : La première mesure, c’est la levée de l’impunité. La sanction, dans les cas graves, c’est le licenciement. Un indicateur qui ne trompe pas : avant 1995, 42 % des marchés soumissionnés par les pays sur financement de la Banque donnaient lieu à plainte. Aujourd’hui, ce taux est pratiquement nul. Des brebis galeuses, il y en a toujours. Mais nous restons extrêmement vigilants. Notre tolérance est égale à zéro. Un projet de renforcement de la lutte va être bientôt mis en oeuvre. Il s’agit notamment de la mise en place d’un système de dénonciation anonyme de la corruption.
J.A.I. : Comme aux États-Unis…
O.K. : Oui, ce système est pratiqué là-bas. Mais il va se généraliser à la demande pressante des pays donateurs, qui conditionnent désormais l’accroissement de leur aide à sa mise en place.
J.A.I. : Concrètement, comment allez-vous procéder ?
O.K. : Ce système sera géré par un organisme neutre et externe à la Banque. Ce qui permet d’éviter que l’on cache tel ou tel cas. Un numéro de téléphone spécial sera rendu public et disponible de façon permanente sur le site Internet de la Banque. N’importe qui pourra téléphoner à l’organisme en question. Son anonymat sera strictement protégé. Même la Banque ne pourra connaître son identité. L’organisme devra s’assurer du caractère sérieux des dénonciations, prendre garde aux dénonciations fantaisistes et diligenter les premières enquêtes.
J.A.I. : Le problème est d’autant plus crucial que la Banque est aujourd’hui prospère. Elle dispose d’une quinzaine de milliards de dollars. Contre rien en 1995. Comment avez-vous fait ?
O.K. : À mon arrivée, le niveau de ressources était effectivement à plat. Après neuf mois de réformes intensives, j’ai pu obtenir 2 milliards de dollars au titre de la septième reconstitution des ressources du FAD, gelées depuis 1993. Réservé aux pays africains à faibles revenus, le FAD est le guichet « doux » du groupe BAD. Deux milliards, c’était un peu plus de la moitié du FAD antérieur. Mais c’était un bon redémarrage. Les donateurs avaient encore besoin d’être convaincus. Ils voulaient surveiller les réformes.
J.A.I. : Il y avait, en effet, un autre enjeu, celui de la cinquième augmentation du capital de la Banque.
O.K. : Petit à petit, je me devais de gagner la confiance de l’ensemble des actionnaires. Car la Banque ne pouvait ni prêter ni emprunter. Son capital utilisable, qui sert à alimenter le premier guichet destiné aux pays aisés, était entièrement épuisé. Il fallait très vite procéder à une nouvelle augmentation du capital.
J.A.I. : Mais les partenaires non régionaux réclamaient un accroissement de leurs pouvoirs. Certains disaient même qu’ils voulaient prendre le contrôle de la Banque…
O.K. : Non, leur objectif était d’augmenter leurs droits de vote, sans demander un pourcentage précis. Les options étaient ouvertes. Après deux années de négociations difficiles et délicates, nous avons abouti à un très bon compromis : les droits de vote des non-régionaux passent de 33 % à 40 %, et celui des régionaux de 67 % à 60 %. La plupart des décisions sont prises à la majorité des deux tiers au conseil d’administration comme au conseil des gouverneurs, l’instance suprême de la Banque.
J.A.I. : Les non-régionaux disposent donc d’une minorité de blocage.
O.K. : Oui. Avant, ce n’était pas le cas. Le nouveau partage signifie seulement que les pays régionaux ne peuvent plus prendre une décision sans le consentement d’au moins deux pays non régionaux (sur vingt-quatre). Les non-régionaux ne veulent pas imposer leurs points de vue, mais éviter qu’une coalition africaine n’impose les siens à tout le monde. Ce système a parfaitement fonctionné jusqu’à présent. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement à l’avenir. C’est ce qui fait que la Banque est aujourd’hui en position de force. Ses ressources disponibles pour de nouvelles opérations de prêts et dons s’élèvent au total à plus de 14 milliards de dollars, dont près de 9 milliards au titre du guichet non concessionnel de la Banque et 5,4 milliards au titre du Xe FAD, dont la reconstitution a été scellée en décembre 2004.
J.A.I. : La majorité des deux tiers s’applique-t-elle à toutes les décisions ?
O.K. : Oui, sauf une, l’élection du président de la Banque. Celui-ci devra être élu à la double majorité, la majorité simple de tous les actionnaires et la majorité simple des actionnaires africains.
J.A.I. : Que répondez-vous à ceux qui craignent encore pour l’africanité de la Banque ?
O.K. : Les critères définis en 1979 lors de l’ouverture du capital aux pays non régionaux demeurent respectés, à savoir : le président de la Banque est africain ; son siège est en Afrique ; ses prêts ne vont qu’aux pays africains ; son staff est à dominante africaine ; et son capital appartient en majorité aux Africains. Cela dit, l’africanité pour l’africanité ne servirait à rien si la Banque ne rassemblait pas les compétences africaines, si la Banque ne portait pas la voix de l’Afrique sur la scène financière internationale.
J.A.I. : Pensez-vous que votre mission est aujourd’hui achevée ?
O.K. : Il y a toujours matière à correction. Il y a tout le temps des requêtes des États membres pour améliorer encore les opérations et les services. C’est pour cela que nous avons lancé un plan d’action pour les années 2005-2007. Il permettra à la Banque de renforcer ses capacités humaines avec le recrutement de deux cents professionnels supplémentaires, portant ainsi le staff à 1 400 personnes. Des juristes, des économistes, des experts pour réaliser notre initiative sur l’eau au profit des populations rurales africaines, des chercheurs… Il permettra également à la Banque de se rapprocher des pays bénéficiaires grâce à la décentralisation et à la création de seize nouveaux bureaux nationaux ou sous-régionaux, portant ainsi le nombre total de bureaux à vingt-cinq d’ici à 2006. Ces bureaux recruteront trois cents agents locaux. La Banque va renforcer ses capacités en recherche, ses opérations au profit du secteur privé, ses financements pour les partenariats public-privé, notamment dans les infrastructures, son aide pour les pays qui sortent de conflits, sa contribution aux projets du Nepad… Non, la mission de la Banque n’est pas achevée, mais la mienne, oui.
J.A.I. : Que direz-vous à votre successeur le jour de la passation ?
O.K. : Chacun a ses idées et son approche face à tel ou tel problème. Si mon successeur me le demandait, et sans vouloir donner des leçons à qui que ce soit, je lui donnerais ces quatre conseils :
– continuer à porter haut la voix de l’Afrique, militer pour les causes africaines, être à la disposition de tous nos pays, contribuer autant que possible à leur développement et à leur programme de lutte contre la pauvreté ;
– maintenir la cohésion qui existe entre l’ensemble des actionnaires, entre les organes de la Banque, le conseil des gouverneurs, le conseil d’administration et la direction, entre l’ensemble du personnel ;
– veiller jalousement aux acquis des réformes déjà entreprises, en particulier les points vitaux suivants : la transparence du système de recrutement, un système sans quota ni exclusive, sans favoritisme ni népotisme ; la transparence du système budgétaire et le souci de ne jamais dépasser les enveloppes arrêtées avec le conseil d’administration ;
– préserver la réputation d’intégrité de la Banque, notamment dans le système de passation des marchés en continuant à être extrêmement vigilant ; promouvoir la bonne gouvernance et aider les États à lutter sans relâche contre la corruption.

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