[Tribune] Dépénalisation de l’homosexualité au Gabon : et si on en parlait ?
Si la dépénalisation de l’homosexualité, adoptée par le Parlement gabonais, est une excellente nouvelle pour les libertés, elle suscite l’indignation d’une partie de la population. Un débat aurait pourtant permis de désamorcer les critiques.
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Georges Dougueli
Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.
Publié le 6 juillet 2020 Lecture : 3 minutes.
Le Parlement gabonais a définitivement adopté le 29 juin un texte dépénalisant l’homosexualité. Bonne nouvelle pour les libertés, les homosexuels ne risqueront plus six mois de prison et 5 millions de F CFA [7 600 euros] d’amende pour le seul tort d’aimer une personne du même sexe.
Disons-le tout de suite, il est heureux que le Gabon se positionne en pays avant-gardiste dans la quête de nouveaux droits reconnus aux citoyens. Tant mieux, mais attention. Il en va des États comme des individus : la quête du bonheur peut rendre malheureux. Soutenue par le gouvernement, cette initiative a provoqué l’indignation d’une partie de l’opinion. Et cette colère pourrait engendrer un malentendu durable entre le peuple et ses représentants.
On le sait, le Gabon est attaché à une culture du consensus qui postule que les changements s’y font en douceur. « Un projet de loi qui suscite frictions et frustrations doit être purement et simplement retiré », a estimé ainsi Pierre-Claver Maganga Moussavou, un ancien vice-président de la République.
Dès lors, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas pris le temps de consulter au préalable les forces vives du pays, ou d’organiser un débat susceptible de désamorcer les critiques avant de proposer le texte à l’examen des députés ? La dispute intellectuelle aurait permis aux hommes et femmes politiques de tous bords de se confronter avec les armes de la dialectique.
Un sujet clivant
Dépénaliser l’homosexualité est un projet clivant et un sujet source de conflits. Le clivage dominant s’est formé entre tradition et modernité. Une partie des parlementaires qui ont voté contre – ou se sont abstenus – ont justifié leur vote par le fait que l’homosexualité était contraire aux traditions ancestrales, ce qui sous-entend qu’il n’y avait pas d’homosexualité dans l’Afrique précoloniale.
Mais cet argument est battu en brèche par le chercheur camerounais Charles Gueboguo, qui estime que « les mots et expressions désignant différentes pratiques homosexuelles dans les langues africaines nous indiquent qu’il s’agit de réalités qui ont été conceptualisées bien avant l’arrivée des colonisateurs ».
Le deuxième conflit engendré par cette séquence oppose l’Église à l’État. À la suite du vote de cette loi, qu’il considère comme étant une « abomination », Mgr Jean Bernard Asseko, vicaire général d’Oyem (Nord), a fait circuler une pétition signée par plus de 400 ecclésiastiques demandant la dissolution de l’Assemblée nationale. Dans le même temps, le prélat révolté a estimé que les députés et sénateurs avaient voté un texte « imposé » par la présidence.
Un raisonnement qui aboutit à une conclusion anti-système, poussant le gouvernement à s’investir dans la communication. Avec pour stratégie, notamment, de mettre l’Église face à ses contradictions. Sur ce point, le ministre des Sports, Frank Nguema, a marqué un point, citant le pape François : « Si une personne est gay et qu’elle cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? »
À Libreville, personne n’a jamais été condamné pour homosexualité
Une autre opposition a vu le jour jour entre l’urbain et le rural. Libreville, la capitale cosmopolite, libertine et gavée de séries Netflix prêchant la libéralisation des mœurs, se montre plus tolérante à l’égard des minorités sexuelles. Alors que 59 % des Gabonais y vivent, personne n’y a jamais été condamné pour homosexualité, comme le prévoyait le code pénal récemment modifié.
En revanche, l’arrière-pays, traditionaliste et conservateur, refuse d’y voir autre chose qu’une préférence contre-nature. C’est de la ruralité qu’est partie la complainte de ceux qui ne se reconnaissent pas dans le vote des élus.
Pourquoi maintenant ?
Des questions demeurent donc sans réponses sur l’opportunité de cette dépénalisation. Pourquoi maintenant, alors que l’on se rapproche de la présidentielle prévue en 2023 ?
Certains ont allégué un « caractère d’urgence » pour faire taire les divergences au sein même de la majorité sans que l’on sache en quoi cette réforme était « urgente », alors qu’une crise sanitaire maintient le pays sous tension depuis plusieurs mois. Par ailleurs, le pouvoir actuel s’est jusqu’à présent montré plutôt timide sur le terrain du progressisme sociétal, l’avortement étant toujours considéré comme une infraction.
Certes le nouveau Code pénal permet-il l’interruption thérapeutique de grossesse, mais il la limite à dix semaines. Quoi qu’il en soit, toute chose ayant un début, formulons le vœu que ce sens aigu des droits des minorités s’étende à d’autres domaines susceptibles de favoriser le plein épanouissement des Gabonais.
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