Ma sorcière mal aimée

Avec « Delwende », le cinéaste burkinabè Pierre Yaméogo défend les couleurs de l’Afrique subsaharienne au Festival. Et dénonce les traditions rétrogrades qui sévissent encore sur le continent.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Ce n’est qu’in extremis, la veille de l’annonce du programme du Festival, que Pierre Yaméogo a appris par un coup de téléphone que son dernier film, Delwende (titre français : Lève-toi et marche), figurerait à Cannes dans la sélection « officielle », dans la section « Un certain regard ». Comme le souligne le cinéaste burkinabè, « seuls 53 films ont eu droit à cet honneur parmi les 1 500 visionnés ». Il n’a pourtant pas accueilli la nouvelle avec un enthousiasme excessif : « Jusqu’à la fin, j’ai pensé que je pourrais faire partie des vingt réalisateurs en compétition pour la Palme d’or », laissait-il entendre à quelques jours de la première projection sur la Croisette.
Il est vrai que Yaméogo, membre à part entière du petit club des cinéastes reconnus du Burkina Faso dont les chefs de file historiques sont Idrissa Ouédraogo et Gaston Kaboré, est déjà un habitué du Festival. Dès le début des années 1990, il y était présent avec ses deux premiers véritables longs-métrages, Laafi et Wendemi, respectivement montrés dans la section parallèle de « La Semaine de la critique » et, déjà, à « Un certain regard ». Et Silmande (Le Tourbillon) a été projeté en 1999 sur la Croisette dans la sélection des cinéastes indépendants de l’Acid (Agence du cinéma indépendant pour sa diffusion). Seul Moi et mon Blanc, Prix du public au Fespaco en 1993, n’a pas eu droit en fait à une exposition cannoise.
Tout juste entré dans la cinquantaine, Yaméogo, qui a l’âge du cinéma d’Afrique subsaharienne, aurait tort de faire la fine bouche : Delwende n’avait pas été admis à concourir lors du dernier Fespaco. Une sacrée déception, même si cette absence tenait « plus à des raisons de personnes qu’à des motifs cinématographiques ». Il tient sa revanche : son oeuvre est la seule à représenter cette année l’Afrique subasaharienne à Cannes, toutes sélections confondues. Et avant que les organisateurs ne rajoutent hors délai à la liste un long-métrage marocain – Marock, de Laïla Marrakchi -, elle apparaissait même comme « le » film choisi pour porter en 2005 les couleurs de l’ensemble du continent Afrique anglophone comprise – au sein du Festival. Pour un cinéaste qui entend ne vivre que de son métier, quitte à accepter entre deux films « d’auteur » des commandes de documentaires pour maintenir à flot sa petite société de production, une telle distinction, qui lui assure l’attention des distributeurs de longs-métrages et des programmateurs de télévision, est évidemment essentielle.
Le sujet de Delwende est, il est vrai, très « enraciné ». Premier volet d’une trilogie sur les méfaits de certaines traditions dans la société africaine, le film raconte d’abord comment, à la suite d’une série de morts subites d’enfants, une femme, Napoko, est accusée d’être une « mangeuse d’âmes », autrement dit une sorcière, et chassée de son village après l’intervention d’un féticheur. Puis comment, grâce à sa fille Pougbila, elle sera réhabilitée quand il apparaîtra qu’elle a été victime d’un complot monté par… son mari. Car les décès avaient une explication très rationnelle – une épidémie de méningite -, et la dénonciation de la « coupable » une cause bien concrète : elle ne devait pas apprendre que son conjoint avait violé son enfant adolescente !
Dommage que le film utilise un style réaliste aux effets souvent trop appuyés pour distiller une morale certes inattaquable, mais parfois un peu simpliste. Pour autant, le réel tempérament de cinéaste de Yaméogo apparaît à travers de superbes images. Et surtout divers plans-séquences très bien menés, comme celui qui nous permet de suivre le féticheur à la recherche de la supposée sorcière ou, mieux encore, celui qui conduit Pougbila à retrouver Napoko dans une maison d’accueil pour femmes bannies à Ouagadougou, après une longue errance.
Ce choix du réalisme n’est guère surprenant, dans la mesure où le film rapporte une histoire vraie. C’est en tournant un documentaire pour l’émission de la télévision française Envoyé spécial que Pierre Yaméogo a rencontré les protagonistes du drame. Frustré de ne pouvoir évoquer que très rapidement un tel sujet, il a alors décidé de le reprendre dans le cadre d’une « fiction ». Et de poursuivre le combat qu’il mène à travers son oeuvre pour aider à la modernisation des sociétés africaines.

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