Mandelamania et polémique

La commercialisation abusive de son nom à des fins pas toujours honorables amène l’ancien président à saisir la justice.

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Nelson Mandela s’en serait bien passé, mais il a fini par faire appel à la justice pour régler le conflit qui l’oppose depuis quelques semaines à son ancien avocat, Ismaïl Ayob. Le 10 mai, il a porté plainte devant la Haute Cour de Johannesburg contre celui en qui il avait une telle confiance qu’il lui a laissé le soin de protéger son nom et de gérer son copyright. Il l’accuse aujourd’hui d’avoir utilisé le précieux patronyme à des fins d’enrichissement personnel. « Je veux laisser un héritage de rectitude morale, a déclaré l’ancien chef de l’État sud-africain, et je désire que mes biens et ceux des institutions auxquelles j’ai donné mon nom soient administrés par des gens intègres. »
Les tentatives de récupération mercantile du nom de Mandela ne sont pas nouvelles : un nom de domaine sur Internet (nelsonmandela. com) en Australie, une école privée aux Pays-Bas, une entreprise de mode à l’autre bout du monde, une marque de boisson sans alcool par ici, un modèle de voiture par là. Ils sont nombreux ceux qui veulent s’approprier le patronyme d’un des hommes les plus célèbres encore en vie : les avocats de Nelson Mandela traitent aujourd’hui plus de quarante-cinq cas litigieux. On pouvait même trouver, il y a quelques mois, dans une boutique du quartier branché de Melville, à Johannesburg, des coussins à l’effigie du père de la nouvelle Afrique du Sud. Quel blasphème, pour le héros de la lutte antiapartheid, de voir son visage orner l’objet sur lequel viennent s’écraser les postérieurs fatigués ! Quel étrange caprice du destin a permis qu’à la fin de sa vie l’un des hommes les plus admirés du xxe siècle serve de vache à lait à des vendeurs sans scrupules, à l’affût d’idées lucratives ?
Depuis plusieurs années, l’ancien chef de l’État sud-africain bataille pour ne pas devenir le concurrent de Che Guevara sur les tee-shirts à la mode, mais, surtout, pour éviter que l’argent gagné sur son nom n’aille financer des causes qu’il ne soutient pas – ou, pis, approvisionner des comptes bancaires qui n’en soutiennent aucune. Après avoir fait interdire la reproduction de son visage sur des pièces de monnaie de collection en début d’année, Mandela s’attaque maintenant à son propre avocat qu’il accuse d’avoir utilisé son nom pour vendre ses oeuvres d’art. L’affaire est sulfureuse, car elle met en cause l’honnêteté du père de la nation Arc-en-Ciel.
L’histoire remonte, comme souvent avec Mandela, à Robben Island, l’île au large du Cap qui abritait la prison de haute sécurité où le régime blanc enfermait les opposants politiques. C’est là qu’Ayob rendait visite à Mandela régulièrement et que leur amitié s’est forgée. En 2002, longtemps après sa libération, ce dernier a accepté de collaborer avec un artiste pour réaliser en nombre limité des lithographies représentant la sinistre geôle où il a été condamné à passer presque un quart de sa longue vie, dans le but de les vendre au profit de sa fondation. Le lancement de la série a eu lieu le 7 février 2003, à Robben Island. Mais, selon George Bizos, son actuel avocat, qui est aussi celui qui l’avait défendu lors du fatidique procès de Rivonia en 1964, les deux responsables de la gestion de ces « oeuvres », Ismaïl Ayob et Ross Calder, en auraient fait circuler un nombre bien plus important. Des faux, donc. Récemment, certaines lithographies ont été vendues aux enchères à plus de 200 000 dollars (157 000 euros), sans qu’aucun n’ait été reversé à la fondation Nelson Mandela ou à un quelconque trust associé, contrairement au contrat initial.
Ayob et Calder ne comprennent pas les accusations qui pèsent sur eux. Calder revendique l’idée d’avoir fait dessiner Mandela. C’est lui et Ayob qui ont lancé le « Touch of Mandela Art Project », aujourd’hui montré du doigt. Madiba – surnom de l’ancien président aurait accepté de se prêter au jeu, car c’était un bon moyen de récolter des fonds. Pis, argumente Calder, les propres filles de Mandela, Zenani et Makaziwe, toutes deux actionnaires de l’entreprise, auraient touché les dividendes : plus de 36 millions de rands (4,5 millions d’euros). Aujourd’hui, la question est de savoir à qui appartiennent les comptes bancaires sur lesquels a été versé l’argent des faux tableaux. Madiba veut annuler les contrats qu’Ayob, le traître, lui a fait signer et récupérer son nom.
Le coup est rude pour celui qui avoue reposer entièrement, à 86 ans, sur sa famille et son entourage pour la gestion de ses affaires. Il ne compte pas pour autant mettre fin à ses activités de fund raiser – occupation qu’il connaît fort bien pour avoir sillonné la planète dès sa sortie de prison, en 1990, en quête de financement pour le Congrès national africain (ANC). Depuis sa retraite politique en 1999, c’est à la lutte contre le sida et pour le développement de l’Afrique qu’il consacre ses dernières forces. Et il s’apprête déjà à se rendre à Tromsoe, en Norvège, le 11 juin pour le concert « 46664 Arctic », titre inspiré du matricule de Mandela à Robben Island. Pour la troisième fois depuis qu’il a accepté de révéler son numéro de prisonnier politique, en novembre 2003, et de l’utiliser au profit de sa fondation et des institutions qui luttent contre la pandémie, il réunira à ses côtés des grands noms du show business et de la chanson, tels que Bono, Will Smith, et même de la politique avec Bill Clinton. C’est plus spectaculaire que de simples lithographies…

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