Le grand retour

Publié le 16 mai 2005 Lecture : 5 minutes.

En ce mois de mai 2005, la Chine est au centre de toutes les analyses : hommes politiques, chefs d’entreprise, chercheurs et journalistes n’ont que son nom à la bouche.
L’économie à la croissance la plus rapide ? La chinoise ! Le marché sur lequel il faut à tout prix se positionner ? La Chine ! La source de dollars nécessaire pour empêcher l’effondrement de l’économie américaine ? La Chine ! Le moteur de l’accroissement des échanges internationaux ? La Chine ! Le partenaire commercial qui joue sur la valeur (basse) de sa monnaie aux dépens de l’Europe et des États-Unis ? La Chine ! Le responsable du chômage dans les pays du Nord, et même du Sud ? La Chine ! Le seul pays au monde qui reçoit de l’étranger 1 milliard de dollars par semaine sous forme d’investissement ? La Chine.
À vrai dire, c’est depuis le début de cette année que nous entendons parler de la Chine, beaucoup plus encore qu’auparavant. On nous dit, en particulier, que son industrie textile, libérée des taxes et entraves douanières, est en train de submerger le monde et d’asphyxier ses concurrents dans tous les autres pays. Sans préciser que cette libéralisation a été décidée… il y a dix ans au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et acceptée par tous les autres pays, dans le cadre de la mondialisation.
Souvenez-vous de ce que disaient les Européens, il y a vingt ans, des voitures japonaises : produites à moindre coût, de meilleure qualité, elles menaçaient de mort leurs rivales allemandes, françaises ou italiennes…

« La Chine est un géant endormi. Le jour où il se réveillera, la terre tremblera… », avait prévenu, il y a deux siècles, l’empereur Napoléon. Il savait, lui, ce que la plupart d’entre nous ignorent encore aujourd’hui : la Chine, qu’on appelait « l’empire du Milieu », a déjà connu la puissance et la gloire. Pendant plus de douze siècles (de l’an 500 à l’an 1700 de l’ère chrétienne), elle a été, avec une partie de l’Asie, le leader économique et technique mondial, alors que l’Europe ne sortira des ténèbres de son Moyen âge qu’au XVe siècle et que l’empire islamique amorcera son déclin dès le XIIe siècle.
En 1776, à la naissance des États-Unis d’Amérique, la Chine donnait des signes d’essoufflement, mais elle était toujours la première économie du monde, avec près de la moitié du PIB de la planète. En 1800, à l’aube de l’ère industrielle, l’Asie représentait encore les trois cinquièmes de la production mondiale.
Un siècle plus tard, en l’an 1900, c’est la bascule : les États-Unis et l’Europe, principaux auteurs et bénéficiaires de la révolution industrielle, constituaient déjà les deux tiers de ce même PIB mondial, tandis que l’Asie dans son ensemble, tombant de son piédestal, ne comptait plus que pour le cinquième (20 %)…

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Mais nous voici, depuis plus de deux décennies, à l’aube d’un nouveau cycle, marqué par la renaissance économique de la Chine et par le retour en force de plusieurs autres pays d’Asie : le fossé entre la Chine et les États-Unis, entre l’Asie et l’Euramérique, se réduit à vue d’oeil.
Plus impressionnant encore et plus rapide que l’avènement de l’Europe au début du XVIIIe siècle, grâce à la révolution industrielle, et que l’entrée en scène des États-Unis au XXe siècle, à la faveur des deux guerres mondiales, ce phénomène a toutes les chances de dominer le siècle qui vient de commencer.
En tout cas, les experts sont unanimes : vers 2025, sauf accident, l’Asie retrouvera son niveau historique d’antan et la Chine y jouera un rôle prépondérant. En expansion fulgurante, son économie aura rattrapé celle des États-Unis, chacun des deux pays ayant alors une production annuelle de l’ordre de 20 000 milliards de dollars*.

La Chine compte 1,3 milliard d’habitants ; un être humain sur cinq est donc chinois, cela, tout le monde le sait. Mais d’autres chiffres, moins connus, donnent aussi le vertige :
– le revenu par habitant, très faible en 1978 (date du début de l’actuelle renaissance chinoise), a été multiplié par 7 en vingt-cinq ans. Les exportations chinoises vers les États-Unis ont augmenté de 1 600 % en quinze ans, les importations de ces mêmes États-Unis de 415 % et celles de l’Europe de 600 % ;
– la Chine est aujourd’hui le premier producteur mondial de charbon, d’acier et de ciment, le deuxième consommateur d’énergie (et importateur de pétrole) ;
– le nombre de Chinois en train d’apprendre l’anglais est égal à la totalité des populations des trois grands pays anglophones : États-Unis, Grande-Bretagne et Canada (50 000 étudiants américains seulement ont choisi d’apprendre le mandarin) ;
– la Chine a d’ores et déjà plus d’ingénieurs et plus d’étudiants diplômés que les États-Unis !
Sa main-d’oeuvre, très nombreuse, est la moins chère du monde, ce qui lui permet de concurrencer même les pays les plus pauvres d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Mais, en même temps, ses chercheurs et ses ingénieurs la mettent en position de concurrencer le Japon, l’Europe et les États-Unis.

On peut évoquer des dizaines d’autres réalisations qui font de la Chine de 2005 un prodige du développement économique. Mais le coup de génie des architectes de sa renaissance a été, probablement, de la fonder sur l’investissement étranger et l’interpénétration avec les autres grands acteurs des échanges internationaux.
La Chine a en effet impliqué les grandes entreprises du monde – y compris celles de Taiwan – et leurs gouvernements dans son développement : elles ont investi en Chine, y gagnent de l’argent et voudront que cela continue.
Quelle meilleure police d’assurance ?
Le professeur Yasheng Huang, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), décrit ainsi l’option chinoise :
Contrairement à certains de ses voisins, la Chine a pris le parti de miser sur l’investissement étranger plutôt que de confier son développement aux entreprises privées nationales, privées ou publiques. Les sociétés étrangères sont omniprésentes dans l’économie chinoise et en contrôlent des secteurs entiers.
En 2003, les profits des principales opérations des sociétés américaines en Chine ont été supérieurs à ceux obtenus au Japon. En 2002 déjà, cinq des quinze principaux exportateurs chinois étaient étrangers… Motorola, Logitech et Dell ont largement participé au « miracle » des exportations chinoises. […]
L’industrie chinoise est, en réalité, une vaste opération de transformation pour le compte des multinationales.
À cet égard, l’expression Made in China, « Fabriqué en Chine », est trompeuse : il faudrait dire plutôt Processed in China, « Transformé en Chine ». […]
C’est une des raisons pour lesquelles son ratio commerce-PIB est exceptionnellement élevé pour une économie continentale : plus de 40 %, contre environ 20 % pour les États-Unis.

Quoi qu’il en soit, pour la Chine, c’est « le grand retour » sur la scène mondiale : China is back.
Mais qui aurait pu prévoir que la renaissance de l’empire du Milieu serait conçue et réalisée par des « communistes » selon les normes du capitalisme le plus pur, en étroite association avec les multinationales qui en sont l’ossature et la personnification ?
Il reste que la Chine n’est pas une démocratie, tant s’en faut. Le Parti qui la dirige – est-il encore communiste ? – ne pourra pas la maintenir beaucoup plus longtemps à l’abri du mouvement planétaire qui est en train d’abattre un à un les murs épais de la dictature.

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*Il faudra cependant cinquante ans de plus pour que le revenu par tête du Chinois rejoigne celui de l’Américain.

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